CAA de NANCY, 3ème chambre, 28/09/2021, 19NC00984, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision28 septembre 2021
Num19NC00984
JuridictionNancy
Formation3ème chambre
PresidentM. WURTZ
RapporteurM. Eric MEISSE
CommissaireM. BARTEAUX
AvocatsMERLL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 15 mars 2016 par laquelle la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre a refusé de lui attribuer l'allocation de reconnaissance en faveur des rapatriés, anciens membres de formations supplétives et assimilés ayant servi en Algérie.

Par un jugement n° 1603825 du 30 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er avril 2019, M. A... B..., représenté par Me Merll, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1603825 du tribunal administratif de Strasbourg du 30 janvier 2019 ;
2°) d'annuler la décision de la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre du 15 mars 2016 ;

3°) de condamner l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la décision en litige du 15 mars 2016 est insuffisamment motivée ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de fait ;
- elle est également entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'il n'a pas bénéficié de la présomption de la qualité de rapatrié et qu'il remplit les conditions légales pour prétendre au bénéficie de l'allocation sollicitée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2019, l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, représenté par la SCP Matuchansky-Poupot-Valdelièvre, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le moyen tiré du défaut de motivation, qui relève d'une cause juridique distincte de celle à laquelle se rattachent les moyens invoqués par M. B... en première instance, n'est pas recevable et que, en tout état de cause, les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 ;
- la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 ;
- la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 ;
- la loi n° 99-1173 du 31 décembre 1999 ;
- la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;
- la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 ;
- le décret n°2005-477 du 17 mai 2005 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse,
- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Ressortissant marocain, présent sur le territoire métropolitain de la France depuis 1965, M. A... B... a sollicité l'attribution de l'allocation de reconnaissance instituée, en faveur des rapatriés anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie, par les articles 6 et 9 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Par une décision du 15 mars 2016, la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre a refusé de faire droit à cette demande au motif que l'intéressé, arrivé en France en provenance du Maroc après l'indépendance de l'Algérie et " sans motif politique avéré ", ne justifie pas de sa qualité de rapatrié. M. B... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 15 mars 2016. Il relève appel du jugement n° 1603825 du 30 janvier 2019, qui rejette sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... n'a invoqué, en première instance, que des moyens tirés de la légalité interne de la décision en litige. Si, devant la cour, il soutient en outre que cette décision serait entachée d'un défaut de motivation, ce moyen, fondé sur une cause juridique distincte, constitue une demande nouvelle irrecevable en appel.

3. En tout état de cause, si la décision en litige du 15 mars 2016, en tant qu'elle refuse un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes remplissant les conditions légales pour l'obtenir, doit être motivée en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, il ressort des pièces du dossier que cette décision, après avoir mentionné les articles 1er de la loi du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des français d'outre-mer et 6 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, indique que M. B... ne justifie pas de sa qualité de rapatrié dès lors que, bien que résidant en France depuis 1965, il est arrivé sur le territoire français après l'indépendance de l'Algérie, sans motif politique avéré et en provenance du Maroc, où il a fondé sa famille puisque ses neuf enfants y sont nés entre 1956 et 1981. Dans ces conditions, la décision en litige, qui énonce, dans ses motifs, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, satisfait aux exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Et, à supposer même que la directrice générale de l'Office des anciens combattants et victimes de guerre aurait indiqué à tort que le requérant est arrivé en France " sans motif politique avéré ", l'erreur ainsi commise, si elle peut affecter le bien-fondé de la décision, n'est pas de nature à affecter la régularité de sa motivation. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait insuffisamment motivée ne peut en tout état de cause qu'être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des français d'outre-mer : " Les Français, ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d'événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, pourront bénéficier du concours de l'Etat en vertu de la solidarité nationale affirmée par le préambule de la Constitution de 1946, dans les conditions prévues par la présente loi. / Ce concours se manifeste par un ensemble de mesures de nature à intégrer les Français rapatriés dans les structures économiques et sociales de la nation. / (...) ". Aux termes du premier alinéa du premier paragraphe de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1999, dans sa rédaction issue de l'article 67 de la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificatives pour 2002 : " Une allocation de reconnaissance (...), sous conditions d'âge, est instituée, à compter du 1er janvier 1999, en faveur des personnes désignées par le premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie. ". Ainsi qu'il résulte de ces dispositions, les bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance sont désignées au premier alinéa de l'article 2 de la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, lequel renvoie aux " bénéficiaires des dispositions du premier alinéa de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987, relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés ". Aux termes du premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés : " Une allocation de 60 000 F est versée, à raison de 25 000 F en 1989 et 1990, et de 10 000 F en 1991, aux anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local ayant servi en Algérie, qui ont fixé leur domicile en France. ".

5. Par ailleurs, aux termes du premier alinéa du premier paragraphe de l'article 6 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, dans sa rédaction alors applicable : " Les bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 (n° 2002-1576 du 30 décembre 2002) peuvent opter, au choix : -pour le maintien de l'allocation de reconnaissance dont le montant annuel est porté à 3 415 € à compter du 1er janvier 2015 ; -pour le maintien de l'allocation de reconnaissance d'un montant annuel de 2 322 € à compter du 1er janvier 2015 et le versement d'un capital de 20 000 € ; -pour le versement, en lieu et place de l'allocation de reconnaissance, d'un capital de 30 000 €. ". Aux termes de l'article 9 de cette même loi, dans sa rédaction alors applicable : " Par dérogation aux conditions fixées pour bénéficier de l'allocation de reconnaissance et des aides spécifiques au logement mentionnées aux articles 6 et 7, le ministre chargé des rapatriés accorde le bénéfice de ces aides aux anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie ou à leurs veuves, rapatriés, âgés de soixante ans et plus, qui peuvent justifier d'un domicile continu en France ou dans un autre Etat membre de la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973. / Cette demande de dérogation est présentée dans le délai d'un an suivant la publication du décret d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 17 mai 2005 pris pour application des articles 6, 7 et 9 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés : " Les bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 susvisée choisissent entre les options prévues par l'article 6 de la loi du 23 février 2005 susvisée avant le 1er octobre 2005. / (...) / Pour les personnes bénéficiaires de l'allocation postérieurement à la publication du présent décret, le choix s'effectue lors du dépôt de la demande. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article 3 du même décret : " Le bénéfice de la dérogation prévue à l'article 9 de la loi du 23 février 2005 susvisée est accordé par le ministre chargé des rapatriés : I. - Aux personnes âgées de soixante ans et plus, et sur justification par les intéressés : / 1° De leurs services en Algérie dans une des formations supplétives suivantes : a) Harka ; b) Maghzen ; c) Groupe d'autodéfense ; d) Groupe mobile de sécurité (...) ; e) Auxiliaires de la gendarmerie ; f) Section administrative spécialisée ; g) Section administrative urbaine. 2° De leur qualité de rapatrié et de leur résidence continue depuis le 10 janvier 1973 en France ou dans un Etat membre de la Communauté européenne; (...) ".

6. Il résulte de la combinaison des dispositions législatives citées ci-dessus que, pour être en droit de bénéficier de l'allocation de reconnaissance, le demandeur d'une telle aide doit pouvoir justifier de sa qualité de rapatrié. Cette qualité ne s'attache qu'aux personnes qui, établies sur des territoires anciennement placés sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, ont dû ou estimé devoir quitter ces territoires pour la France par suite d'événements politiques qui sont la conséquence directe de la cessation de souveraineté, du protectorat ou de la tutelle de la France sur l'un de ces territoires. Si le bénéfice de l'allocation en litige n'est pas subordonné à une condition de concomitance entre la date de l'accession du territoire algérien à l'indépendance et celle du retour en France du demandeur, il n'en reste pas moins conditionné à la justification par l'intéressé, lorsque son entrée en France n'est pas concomitante à l'accession du territoire à l'indépendance, de sa qualité de rapatrié. Enfin, les dispositions de la loi du 23 février 2005 n'ont ni pour objet, ni pour effet d'instituer, au bénéfice des anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie, une présomption de ce que le départ éventuel des intéressés pour la France ou pour un autre Etat membre de la Communauté européenne aurait été motivé par des événements politiques directement causés par la cessation de la souveraineté de la France en Algérie.

7. Pour refuser de faire droit à la demande d'attribution de l'allocation de reconnaissance présentée par M. B..., la directrice générale de l'Office nationale des anciens combattants et victimes de guerre s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé, arrivé en France après l'indépendance de l'Algérie, sans motif politique avéré et en provenance du Maroc, ne justifiait pas de sa qualité de rapatrié. Le requérant fait valoir qu'il a servi dans l'armée française comme harki du 21 juillet 1959 au 1er septembre 1962 et que, à la suite de l'indépendance de l'Algérie, il a été contraint de fuir au Maroc dans la famille de son épouse, avant de gagner la France en 1965. Toutefois, s'il allègue qu'il a quitté le territoire algérien pour éviter d'être tué par le Front de libération nationale, M. B... n'établit pas que son départ pour la France aurait été imposé par des événements politiques qui sont la conséquence directe de la cessation de souveraineté de la France sur ce territoire. En outre, le requérant, qui a développé une vie familiale au Maroc, où sont nés ses neuf enfants entre 1956 et 1981, ne démontre pas davantage qu'il aurait été dans l'impossibilité de rejoindre le sol français entre 1962 et 1965. Enfin, eu égard à ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt, ni la circonstance que sa demande d'attribution de l'allocation de reconnaissance aurait été présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article 6 de la loi du 23 février 2005, ni celle qu'il aurait servi comme harki dans l'armée française, ne sauraient le dispenser de justifier de sa qualité de rapatrié. A défaut d'une telle démonstration, la directrice de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre a pu, sans commettre d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation, refuser d'attribuer à M. B... l'allocation de reconnaissance sollicitée. Par suite, ces trois moyens doivent être écartés.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Par suite, il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les dépens :

9. La présente instance n'ayant pas généré de dépens, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par M. B... en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais de justice :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'intimé en application de ces dispositions.

D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre.

N° 19NC00984 6