CAA de NANCY, 2ème chambre, 14/10/2021, 19NC02930, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 octobre 2021
Num19NC02930
JuridictionNancy
Formation2ème chambre
PresidentM. MARTINEZ
RapporteurM. Marc AGNEL
CommissaireMme HAUDIER
AvocatsPONSEELE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg l'annulation pour excès de pouvoir d'une part, de la décision du 23 novembre 2016 par laquelle les chefs de la cour d'appel de Metz ont fixé au 2 septembre 2016 la date de consolidation de son état de santé à la suite d'un accident de service du 27 août 2012 et décidé que les frais supportés au cours des arrêts de travail postérieurs à cette date seraient pris en charge au titre de la maladie ordinaire, d'autre part, de la décision du 1er février 2017 par laquelle les chefs de la cour d'appel de Metz ont fixé son taux d'incapacité à zéro %. M. E... a également demandé l'annulation des décisions des 10 mars et 5 mai 2017 par lesquelles ces mêmes autorités ont rejeté ses recours gracieux contre ces décisions.

Le jugement de ces affaires a été attribué au tribunal administratif de Nancy en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 26 mars 2019.

Par un jugement numéros 1723562 et 18023563 du 6 août 2019, le tribunal administratif de Nancy a fait droit à ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 octobre 2019, la Garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de M. E... présentées devant le tribunal administratif de Nancy.

Elle soutient que :
- c'est à tort que le jugement attaqué a retenu que la commission de réforme n'avait pas été saisie alors que cette instance a été consultée le 25 avril 2016 et a rendu son avis le 19 mai 2015 ;
- c'est à tort que le jugement attaqué a retenu que les frais médicaux et arrêts de travail postérieurs au 2 septembre 2016 et jusqu'au 1er janvier 2017 devaient être pris en charge au titre de l'accident de service du 27 août 2012 en se fondant exclusivement sur les conclusions du docteur B... alors que ni ce rapport, ni les autres pièces médicales ne permettent d'établir un lien direct entre l'accident et la prolongation de l'arrêt de travail après la date de consolidation et qu'au contraire l'expertise du docteur C... et l'avis de la commission de réforme sont en ce sens que les soins à compter du 20 mars 2015 étaient à prendre en charge au titre de la maladie ordinaire ;
- c'est à tort que le jugement retient un taux d'incapacité de 20 % en se fondant sur le seul rapport du docteur B... alors que toutes les expertises et pièces médicales concluent à une absence d'incapacité permanente.


Par un mémoire enregistré le 30 juillet 2021, M. E..., représenté par Me Ponseele, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- les décisions des 23 novembre 2016 et 1er février 2017 ont inexactement apprécié son état de santé compte tenu des conclusions de l'expertise du docteur B... confirmée par l'expertise du docteur A... du 12 mai 2021.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret 2006-1760 portant statut du corps des adjoints administratifs de l'Etat ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique ;
- et les conclusions de Me Ponseele , représentant M. E....


Considérant ce qui suit :

1. M. E..., adjoint administratif au tribunal judiciaire de Metz, a été victime, le 27 août 2012, d'un accident reconnu imputable au service et a été placé en congé de maladie imputable au service à compter de cette date jusqu'au 2 septembre 2016. Par une décision du 23 novembre 2016, les chefs de la cour d'appel de Metz ont fixé la date de consolidation de l'état de santé de l'intéressé au 2 septembre 2016 et décidé que les arrêts de travail postérieurs à cette date seraient pris en compte au titre de la maladie ordinaire. Le recours gracieux formé par M. E... contre cette décision a été rejeté le 10 mars 2017. Par une décision du 1er février 2017, les chefs de la cour d'appel de Metz ont fixé le taux d'incapacité permanente partielle consécutif à cet accident de service à zéro %. Le recours gracieux formé par M. E... contre cette décision a été rejeté le 5 mai 2017. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 6 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy, à qui l'affaire a été attribuée par l'ordonnance ci-dessus visée du 26 mars 2019, a fait droit aux demandes de M. E... tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la légalité de la décision fixant la date de consolidation :

2. Aux termes de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 : " La commission de réforme est consultée notamment sur : (...) / La réalité des infirmités résultant d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, la preuve de leur imputabilité au service et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, en vue de l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité instituée à l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984 (...) ". Il résulte de ces dispositions que les éléments de fait sur lesquels l'administration se fonde pour fixer la date de consolidation des lésions dont souffre un fonctionnaire victime d'un accident de service doivent, préalablement à cette décision, avoir fait l'objet d'une appréciation par la commission de réforme, laquelle se prononce selon une procédure qui permet à l'intéressé de faire valoir ses arguments.

3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

4. Alors que le garde des sceaux, ministre de la justice n'avait pas produit de défense devant le tribunal administratif, il produit pour la première fois en appel l'avis du 19 mai 2016 par lequel la commission de réforme a estimé que la date de consolidation de l'état de santé de M. E... devait être fixée au 19 mars 2015 sans séquelle. Il ressort de la décision du 23 novembre 2016 que les chefs de cour ont fixé la date de consolidation de l'état de M. E... au 2 septembre 2016 conformément au rapport d'expertise du docteur B... du 22 octobre 2016, que l'intéressé avait sollicité et dont il se prévaut, et contrairement à l'avis de la commission de réforme du 19 mai 2016. Dès lors, s'il est vrai que l'administration n'a pas procédé à une nouvelle saisine de la commission de réforme, M. E... n'a pas, compte tenu du sens de la décision attaquée, été privé d'une garantie. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué, afin d'annuler la décision du 23 novembre 2016, a jugé que cette décision n'avait pas été précédée de la consultation de la commission de réforme et, en l'absence d'autre moyen soulevé à l'appui de la demande, à en demander l'annulation sur ce point.

Sur l'imputabilité à l'accident de service des arrêts de travail postérieurs au 2 septembre 2016 :

5. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 ci-dessus visée : " Le fonctionnaire en activité a droit : / 1° A un congé annuel avec traitement dont la durée est fixée par décret en Conseil d'Etat ; / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de maladie consécutive à un accident de service, le fonctionnaire a droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par l'accident. Doivent être pris en charge au titre de l'accident de service les honoraires médicaux et frais directement entraînés par celui-ci, y compris, le cas échéant, s'ils sont exposés postérieurement à la date de consolidation constatée par l'autorité compétente.

6. Il ressort du rapport médical particulièrement circonstancié du docteur B..., non remis en cause par les précédents rapports médicaux et avis de la commission de réforme, que les arrêts de travail prescrits à M. E... postérieurement au 2 septembre 2016 demeurent en lien direct avec l'accident de service du 27 août 2012. Par suite, c'est à tort que l'autorité administrative a estimé que les arrêts de travail prescrits postérieurement au 2 septembre 2016 devaient être pris en compte au titre de la maladie ordinaire par le seul fait que la consolidation de l'état de M. E... était survenue à cette date. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a annulé la décision du 23 novembre 2016 en tant qu'elle a décidé que les arrêts de travail postérieurs au 2 septembre 2016 seraient pris en charge au titre de la maladie ordinaire.

Sur la légalité de la décision du 1er février 2017 :

7. L'administration a saisi la commission de réforme aux fins d'apprécier le taux d'incapacité permanente partielle de M. E... consécutivement à son accident de service, notamment en vue d'une allocation temporaire d'invalidité. Par un avis du 19 janvier 2017, cette instance, reprenant une date de consolidation au 19 mars 2015, a estimé qu'il ne subsistait aucune séquelle de cet accident. Par la décision attaquée du 1er février 2017, les chefs de cour ont en conséquence décidé que le taux d'incapacité permanente partielle de M. E... devait être fixé à zéro.

8. Il ressort du rapport du docteur B... du 22 octobre 2016 que M. E... demeure atteint d'une incapacité permanente partielle de 80 % postérieurement à la consolidation de son état au 2 septembre 2016 alors que son état antérieur se caractérisait par une incapacité permanente partielle de 60 %. Le rapport conclut en conséquence que le taux d'incapacité permanente partielle imputable à l'accident de service du 27 août 2012 est de 20 %. Afin de conclure à un taux d'incapacité de 0 % consécutif à l'accident de service, la décision du 1er février 2017 ainsi que celle du 5 mai 2017 rejetant le recours gracieux de M. E..., se bornent à reprendre l'avis de la commission de réforme du 19 mai 2016 lequel avis se fonde sur un rapport du docteur C... que le ministre en appel ne produit pas mais dont les conclusions sont reprises dans la décision de rejet du 5 mai 2017. Toutefois, ces conclusions, ni aucune des autres pièces du dossier, ne sont pas de nature à remettre en cause l'exactitude du rapport circonstancié du docteur B... dont les conclusions paraissent également confirmées par une expertise du 12 mai 2021 du docteur A.... Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé ces décisions du 1er février 2017 et 5 mai 2017.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision du 23 novembre 2016 en tant qu'elle fixe la date de consolidation au 2 septembre 2016 et à en demander dans cette mesure l'annulation.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. E... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui dans la présente instance.



D E C I D E :



Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 6 août 2019 est annulé en tant qu'il a annulé la décision du 23 novembre 2016 portant fixation de la date de consolidation et la décision du 10 mars 2017 rejetant sur ce point le recours gracieux de M. E....

Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Nancy tendant à l'annulation de la décision du 23 novembre 2016 en tant qu'elle fixe la date de consolidation de son état et de celle 10 mars 2017 rejetant son recours gracieux sur ce point est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. E... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


N° 19NC02930 6