CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 28/10/2021, 19BX01942, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision28 octobre 2021
Num19BX01942
JuridictionBordeaux
Formation1ère chambre
PresidentMme HARDY
RapporteurMme Fabienne ZUCCARELLO
CommissaireM. ROUSSEL
AvocatsSELARL MDMH

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :
- d'annuler la décision implicite du 15 janvier 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours dirigé contre la décision du 13 juillet 2016 la plaçant en congé pour longue maladie en tant qu'elle a qualifié l'affection motivant ce congé comme étrangère à l'exercice de ses fonctions ;
- d'annuler la décision implicite du 15 avril 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours dirigé contre la décision du 16 novembre 2016 de renouvellement de son congé de longue durée pour une période de six mois en tant qu'elle ne se prononce pas sur l'imputabilité au service de l'affection motivant le congé ;
- d'annuler la décision du 13 novembre 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours dirigé contre la décision du 19 mai 2017 de renouvellement de son congé de longue durée pour une période de six mois en tant qu'elle ne se prononce pas sur l'imputabilité au service de l'affection motivant le congé.

Par un jugement n° 1700864, 1702343, 1800111 du 13 mars 2019, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces décisions en tant qu'elles ne reconnaissaient pas l'imputabilité au service de l'affection de Mme C... épouse A....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 mai 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 13 mars 2019.

Il soutient que :
- le tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit en retenant l'imputabilité au service de l'affection de Mme C... épouse A... dès lors que seul un certificat médical établi par un médecin des armées ou un avis technique de l'inspecteur du service de santé des armées ont la qualité pour apprécier le lien entre l'infirmité et le congé de longue durée ;
- ni le médecin des armées ni l'inspecteur du service de santé des armées n'ont reconnu ce lien entre la pathologie et le service ;
- les faits de harcèlement allégués par la requérante ne sont pas établis et les difficultés professionnelles qu'elle rencontre sont la conséquence de sa personnalité et non des conditions de service ainsi que le démontre le rapport établit à l'issue de l'enquête administrative.

Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés le 16 octobre 2019 et le 28 octobre 2020, Mme C... épouse A..., représentée par Me Maumont, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 7 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me Mougin, représentant Mme C... épouse A....



Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C... épouse A..., recrutée par la gendarmerie nationale en 2002, a été affectée au peloton motorisé de Villefranche-de-Lauragais (31290) à compter du 16 mars 2014. A la suite de son placement en congé de maladie à plusieurs reprises, le ministre de l'intérieur l'a, par une décision du 13 juillet 2016, placée en congé de longue durée pour une première période de six mois pour une affection considérée comme étrangère à ses fonctions. Puis par une deuxième décision du 16 novembre 2016, ce congé a été renouvelé pour une période de six mois. Enfin, par une troisième décision du 19 mai 2017, le congé de Mme C... épouse A... a de nouveau été renouvelé pour une durée de six mois. Mme C... épouse A... a formé les recours préalables obligatoires devant la commission des recours des militaires contestant ces trois décisions en tant qu'elles ne reconnaissaient pas l'imputabilité au service de son affection. Devant le silence de la commission, Mme C... épouse A... a saisi le tribunal administratif de Toulouse de demandes tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet des 15 janvier 2017, 15 avril 2017 et 13 novembre 2017. Le tribunal a annulé ces trois décisions par un jugement du 13 mars 2019 dont le ministre de l'intérieur relève appel.

2. Aux termes de l'article R. 4138-47 du code de la défense : " Le congé de longue durée pour maladie est la situation du militaire, qui est placé, au terme de ses droits à congé de maladie ou de ses droits à congé du blessé, dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions pour l'une des affections suivantes : (...) 3° Troubles mentaux et du comportement présentant une évolution prolongée et dont le retentissement professionnel ou le traitement sont incompatibles avec le service. ". Selon l'article R. 4138-48 du même code : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, sur demande ou d'office, dans les conditions fixées à l'article L. 4138-12, par décision du ministre de la défense, ou du ministre de l'Intérieur pour les militaires de la gendarmerie nationale, sur le fondement d'un certificat médical établi par un médecin des armées, par périodes de six mois renouvelables ". L'article R. 4138-49 de ce code dispose que : " La décision mentionnée à l'article R. 4138-48 précise si l'affection ouvrant droit à congé de longue durée pour maladie est survenue ou non du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues par les dispositions de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Lorsqu'il est établi que l'origine de l'affection du militaire placé en congé de longue durée pour maladie diffère de celle initialement retenue, la décision mentionnée au premier alinéa est modifiée. ".

3. En premier lieu, pour demander l'annulation du jugement contesté, le ministre de l'intérieur fait valoir que seul le service de santé des armées était compétent pour apprécier l'existence d'un lien entre la pathologie du militaire et le service et qu'ainsi les premiers juges ne pouvaient se fonder sur les éléments médicaux émanant des services de santé civils qui ont suivi Mme C... épouse A.... Toutefois, si la procédure à l'issue de laquelle le ministre de l'intérieur prend une décision d'imputabilité au service d'une pathologie implique de recueillir l'avis du seul service de santé des armées, il appartient au juge, dans l'exercice de sa mission, d'examiner les éléments qui lui sont soumis, qu'ils émanent du service de santé des armées ou des services civils. En conséquence, et alors en outre que le service de santé des armées n'émet qu'un avis qui ne lie pas le ministre, c'est à bon droit que les premiers juges ont tenu compte, pour exercer leur office, de tous les éléments médicaux qui leur étaient soumis sans restreindre leur examen aux certificats du médecin des armées ou de l'inspecteur du service de santé des armées.

4. En second lieu, une maladie contractée par un fonctionnaire civil ou militaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que Mme C... épouse A... bénéficiait jusqu'en 2013 d'évaluations élogieuses et d'appréciations très favorables sur ses capacités intellectuelles et rédactionnelles, sur son implication dans ses missions et sur sa rigueur et sa loyauté, son environnement de travail s'est subitement dégradé lors de son affectation au peloton motorisé de Villefranche-de-Lauragais (31290) en 2014 ainsi que cela ressort du compte rendu qu'elle a adressé à son supérieur hiérarchique le 3 octobre 2014. Les relations conflictuelles avec ses supérieurs et collègues ont culminé en 2016 et l'ont amenée à dénoncer des faits de harcèlement qui ont conduit à l'ouverture d'une enquête administrative. Si les résultats de l'enquête administrative ne sont pas favorables à l'intéressée, cependant il ressort de la lecture de ce rapport produit par le ministre de l'intérieur, au demeurant largement tronqué et ne permettant pas à Mme C... épouse A... d'en contester la teneur, qu'il est rédigé uniquement à charge, en des termes péremptoires sans que les allégations relatives à sa personnalité ne soient étayées par des éléments ou faits objectifs. Il ressort également des pièces du dossier, et il n'est pas sérieusement contesté, que Mme C... épouse A... a été entendue par ses collègues pendant plus de trois heures dans le cadre de l'examen d'un incident lors d'une interpellation à laquelle elle a assisté et qu'elle a, à cette occasion, subi de fortes pressions pour l'amener à changer son témoignage. Aussi, dans un contexte de travail pathogène, et quand bien même l'intéressée, qui n'avait pas d'antécédent médicaux ou professionnels notables, aurait présenté une fragilité qui aurait favorisé le développement de sa pathologie anxio dépressive, celle-ci doit être regardée comme étant en lien direct avec le service. La seule circonstance que les certificats médicaux versés au dossier ne se prononcent pas sur l'imputabilité au service de la pathologie de l'agent, ne suffit pas à démontrer que trouble anxieux dépressif réactionnel qu'elle a présenté ne trouve pas son origine dans le service. Au demeurant, par une décision du 16 octobre 2020 la commission de recours de l'invalidité a reconnu l'imputabilité au service du syndrome anxio dépressif de Mme C... épouse A... pour l'attribution d'une pension militaire d'invalidité.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ses décisions implicites des 15 janvier 2017, 15 avril 2017 et 13 novembre 2017 en tant qu'elles ne reconnaissaient pas l'imputabilité au service de l'affection de Mme C... épouse A....

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 500 euros à verser à Mme C... épouse A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





DECIDE :



Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme C... épouse A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... C... épouse A....
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 octobre 2021.
La rapporteure,
Fabienne Zuccarello La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01942