CAA de NANCY, 2ème chambre, 18/11/2021, 19NC01644, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 novembre 2021
Num19NC01644
JuridictionNancy
Formation2ème chambre
PresidentM. MARTINEZ
RapporteurM. Marc AGNEL
CommissaireMme HAUDIER
AvocatsCABINET RACINE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 janvier 2018 par laquelle le directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) la Mais'ange a refusé de reconnaître sa pathologie comme étant imputable au service.

Par un jugement numéro 1800436 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mai 2019, Mme C..., représentée par Me Boucher, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision attaquée ;

3°) d'enjoindre à l'Ehpad Mais'Ange de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont elle souffre et de lui accorder le bénéfice des dispositions du I de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 et du 20 de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Ehpad Mais'Ange une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- toutes les pièces médicales produites démontrent que la pathologie dont elle est atteinte, en dépit d'un état antérieur, dès lors qu'un lien exclusif entre la maladie et le service n'est pas exigé, est directement imputable à ses fonctions d'aide-soignante.


Par un mémoire en défense enregistré le 12 septembre 2019 l'Ehpad La Mais'Ange, représenté par Me Mulller-Pistre, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme C... une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'établissement soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.


Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née en 1976, exerce au sein de l'Ehpad La Mais'Ange les fonctions d'aide-soignante stagiaire à compter du mois d'avril 1999, puis titulaire à compter du 14 juin 2001. L'intéressée a été opérée d'une hernie discale le 7 juillet 2016 et a présenté un certificat médical établi le 30 septembre 2016 par le docteur B... faisant état d'une " sciatique paralysante L5 S1 droit sur hernie discale lombaire ". Après avoir recueilli l'avis de la commission de réforme émis le 20 janvier 2017, l'Epahd La Mais'Ange a décidé de placer Mme C... en position de congé de maladie ordinaire à compter du 7 juillet 2016. Après avoir retiré cette décision, ainsi qu'une autre décision analogue, que Mme C... avait contestées, l'établissement a de nouveau saisi la commission de réforme qui a rendu un avis le 15 décembre 2017 au vu duquel le directeur de l'établissement, par une décision du 23 janvier 2018, a refusé de reconnaître comme imputable au service la pathologie de Mme C... et a placé l'intéressée en congé de maladie ordinaire du 7 juillet 2016 au 6 juillet 2017. Mme C... relève appel du jugement du 4 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la légalité de la décision du 23 janvier 2018 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...) ". Et aux termes de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps (...) peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé (...). / L'intéressé a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° du I de l'article L. 24 du présent code. (...) ".

3. Par ailleurs, aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017, portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique : " I.- Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. (...) / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) / IV.- Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. / (...) / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".

4. En l'absence de dispositions contraires, les dispositions précitées du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, qui sont suffisamment claires et précises, sont d'application immédiate. Elles ont donc vocation à régir les situations en cours, sous réserve des exigences attachées au principe de sécurité juridique, qui exclut qu'elles s'appliquent à des situations juridiquement constituées avant leur entrée en vigueur intervenue le 21 janvier 2017. Les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée.

5. Il ressort des pièces du dossier que la hernie discale et les lombo-sciatalgie dont souffre Mme C... ont été diagnostiquées à compter de l'année 2007 et ont donné lieu à un épisode aigu survenu au mois de juillet 2016. Par suite, la situation de l'intéressée doit être regardée comme entièrement régie par les dispositions ci-dessus rappelées de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986.

6. En deuxième lieu, en l'absence de présomption légale d'imputabilité, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Il appartient au juge d'apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l'absence de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée.

7. Il ressort des pièces du dossier que les fonctions d'aide-soignante de la requérante comportaient, ainsi que l'a décrit le médecin du travail du centre hospitalier Louis Pasteur de Dole, dans son certificat du 30 mars 2017, " des gestes en force, effectués de façon habituelle et répétée, dans le cadre de soins paramédicaux incluant la manutention de personnes dépendantes (lever-coucher, nursing, toilettes, mise au fauteuil,...) ". Il ressort des pièces du dossier que Mme C... souffre d'une hernie discale L5-S1 droite ayant justifié l'opération chirurgicale d'urgence du 7 juillet 2016.

8. Il ressort des différents certificats médicaux produits que Mme C... a présenté des épisodes de lombosciatiques du membre inférieur droit à compter de l'année 2007, puis plus franchement de l'année 2009, alors qu'elle était déjà employée par l'Ehpad La Mais'Ange. Si l'épisode aigu ayant justifié l'opération chirurgicale du 7 juillet 2016 est effectivement survenu à l'occasion d'une activité privée de loisir, il ressort tant du rapport du docteur A... que des certificats des docteurs Orset, Gondy et Donguy que la pathologie dont souffre Mme C... est en lien direct avec l'exercice de ses fonctions au sein de l'établissement. La circonstance que ces documents médicaux estiment toutefois que la maladie de Mme C... n'est pas exclusivement due à ses fonctions ne saurait faire obstacle, en vertu des règles ci-dessus rappelées, à ce que ses congés soient pris en charge au titre de la maladie imputable au service en application des dispositions du 2° de l'article 41 de la loi ci-dessus visée du 9 janvier 1986. Par suite, Mme C... est fondée à demander l'annulation de la décision du 23 janvier 2018 lui refusant le bénéfice de ces dispositions.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. L'annulation de la décision du 23 janvier 2018 ci-dessus prononcée implique nécessairement que les congés de maladie de Mme C... du 7 juillet 2016 au 6 juillet 2017 soient pris en charge au titre de la maladie contractée au service en application du 2° de l'article 41 de la loi ci-dessus visée du 9 janvier 1986. Il y a lieu par suite, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre l'Ehpad Mais'Ange d'y procéder selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Ehpad La Mais'Ange le versement à Mme C... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle dans la présente instance. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle en revanche à ce que Mme C..., qui n'est pas la partie perdante, verse à l'Ehpad La Mais'Ange la somme qu'il demande sur ce fondement.



D E C I D E :



Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon n° 1800436 du 4 avril 2019 est annulé.

Article 2 : La décision du directeur de l'Ehpad La Mais'Ange n° 2018/01 du 23 janvier 2018 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à l'Ehpad Mais'Ange de prendre en charge au titre de la maladie contractée au service les congés de maladie de Mme C... du 7 juillet 2016 au 6 juillet 2017 dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Ehpad La Mais'Ange versera à Mme C... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de l'Ehpad La Mais'Ange tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et à l'Ehpad Mais'Ange.


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