CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 18/11/2021, 19BX03999, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de la Gironde d'annuler la décision du 30 septembre 2015 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de " valvulopathie aortique à prédominance de rétrécissement non serré ".
Par un jugement du 7 février 2019, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 mars 2019 et des mémoires enregistrés les 14 février et 21 juillet 2020 et le 10 février 2021, M. B..., représenté par Me Saint-Martin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 30 septembre 2015 ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à défaut de réexaminer sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'il indique, le jugement ne maintient pas la décision de rejet dès lors qu'il en modifie le motif ;
- la " substitution de motif " à laquelle les premiers juges ont procédé d'office était irrégulière en l'absence de demande en ce sens de l'administration ;
- le jugement est insuffisamment motivé en tant qu'il n'indique pas les dispositions législatives qui fondent le rejet de sa demande ;
- la décision du 30 septembre 2015 est entachée d'incompétence ;
- la décision est insuffisamment motivée, ce qui révèle un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- l'administration semble avoir dissimulé devant le tribunal la partie du rapport d'expertise précisant que le rhumatisme articulaire aigu était consécutif à une angine non soignée durant le service militaire, ce qui est de nature à entraîner l'annulation de la décision ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la valvulopathie, qui a pour origine une angine d'origine bactérienne mal soignée lors de son service militaire en 1972, ne résulte pas d'une maladie mais d'une infection, de sorte que le degré d'invalidité requis pour ouvrir droit à une pension n'est pas de 30 % mais de 10 % ;
- le lien entre la valvulopathie et son service militaire est établi dès lors que l'infirmerie de la caserne a manqué à son obligation de soins ; l'absence de prise en charge de l'angine dont il souffrait peut être assimilée à une atteinte extérieure, de sorte que le degré d'invalidité requis pour ouvrir droit à une pension n'est pas de 30 % mais de 10 % ;
- la décision, qui a retenu un taux d'invalidité inférieur à 10 %, n'a pas tenu compte de la réalité de l'atteinte à son état général dès lors que l'expertise avait retenu un taux d'invalidité de 10 %.
Par des mémoires en défense enregistrés les 5 février et 11 août 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- c'est dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation que le tribunal, qui s'est implicitement fondé sur les dispositions de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, a estimé que l'affection dont M. B... est atteint n'ouvrait pas droit à une pension ;
- le signataire de la décision disposait d'une délégation régulièrement publiée ;
- l'expertise, dont M. B... avait connaissance, a été produite dans sa totalité, sans aucune dissimulation ;
- une angine mal soignée ne peut être assimilée à une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service, et une infection n'est pas une blessure ;
- le taux minimum de 30 % pour l'indemnisation d'une maladie n'étant pas atteint, il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'imputabilité au service.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, en dernier lieu par une décision modificative du 4 août 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Saint-Martin, représentant M. B....
Une note en délibéré présentée pour M. B... a été enregistrée le 26 octobre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a présenté le 19 mars 2013 une demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de " valvulopathie aortique à prédominance de rétrécissement non serré ". L'expertise médicale organisée par l'administration a conclu que ce rétrécissement, qui n'entraînait pas de gêne fonctionnelle, était la conséquence d'un rhumatisme articulaire aigu survenu en 1972, lors du service militaire, et a fixé le taux d'invalidité à 10 %. Par une décision du 30 septembre 2015, le ministre de la défense a rejeté la demande de pension au motif que le taux d'invalidité était inférieur au minimum de 10 % requis pour l'ouverture du droit à pension. M. B... relève appel du jugement du 7 février 2019 par lequel le tribunal des pensions de la Gironde a rejeté sa demande d'annulation de cette décision et de reconnaissance de son droit à pension au motif que le taux d'invalidité de 10 % était inférieur au taux minimum de 30 % exigé pour les maladies.
Sur la régularité du jugement :
2. Au nombre des règles générales de procédure que les juridictions des pensions sont tenues de respecter figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application. En l'espèce, le jugement attaqué, qui ne fait référence à aucune disposition législative ou réglementaire, ne comporte aucune motivation en droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, il est irrégulier et doit être annulé.
3. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal des pensions militaires de la Gironde.
Sur la régularité de la décision du ministre de la défense :
4. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.
5. Par une décision du 21 avril 2015 publiée au Journal officiel du 24 avril 2015, le directeur des ressources humaines du ministère de la défense a donné délégation à M. E... D..., adjoint au sous-directeur des pensions, à l'effet de signer, au nom du ministre, tous les actes, arrêtés et décisions relevant des attributions de cette direction, à l'exclusion des décrets. Par suite, M. D... avait compétence pour prendre la décision contestée.
6. La décision énonce l'objet de la demande de M. B..., vise le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, notamment les articles L. 4 et L. 5, et indique que le taux d'invalidité, après expertise réglementaire, est inférieur au minimum indemnisable
de 10 % requis pour l'ouverture du droit à pension. Il ressort de cette motivation
que l'administration a procédé à l'examen particulier de la demande et a mis le requérant comme le tribunal en mesure de contester utilement le motif retenu.
7. Si M. B... soutient également que la décision serait entachée d'irrégularités dans la procédure suivie, il ne peut utilement se prévaloir ni d'une lenteur anormale dans l'examen de sa demande, ni de l'absence de motivation du constat provisoire, ni du défaut de réponse de l'administration aux observations qu'elle l'avait invité à présenter, ni de la prétendue erreur de fait à indiquer " origine non recherchée " dans la décision alors que l'expert missionné par l'administration l'a longuement interrogé sur des faits antérieurs à 1972 pouvant être en lien avec la valvulopathie, tous ces éléments ne contrevenant à aucune règle en vigueur et étant sans influence sur l'appréciation qui a été faite en l'espèce de ses droits à pension.
Sur le droit à pension de M. B... :
8. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " La pension est concédée : / 1° Au titre
des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / (...) / 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / 30 % en cas d'infirmité unique ; (...). " L'article L. 10 de ce code précise que les degrés de pourcentage des barèmes d'invalidité : " tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service.
9. M. B... a sollicité une pension pour une " valvulopathie à prédominance de rétrécissement non serré " dont il attribuait l'origine à un rhumatisme articulaire aigu consécutif à une angine négligée à streptocoque bêta-hémolytique, survenu en novembre 1972 lors de son service militaire au centre d'instruction du service de santé de Nantes. L'expert cardiologue qui l'a examiné dans le cadre de l'instruction de sa demande a confirmé que les lésions constatées pour la première fois par une échographie cardiaque réalisée en 1999, constituées en 2014 par un rétrécissement aortique calcifié non serré, étaient la conséquence du rhumatisme articulaire aigu survenu en 1972. Il a précisé que le patient n'avait pas de gêne fonctionnelle, que l'épreuve d'effort de 2013 était tout à fait satisfaisante et l'électrocardiogramme normal, et a proposé un taux d'invalidité de 10 %. La pathologie cardiaque de M. B... constitue ainsi une infirmité résultant exclusivement d'une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du service. Ni l'origine infectieuse de l'angine en lien avec la survenue du rhumatisme articulaire, ni la circonstance que cette angine a été négligée n'ont d'incidence sur cette qualification. Le taux d'invalidité de 10 % évalué par l'expert est inférieur au minimum de 30 % prévu au 3° de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par suite, M. B..., qui ne peut en tout état de cause utilement soutenir dans le cadre du présent litige que la responsabilité du service de santé des armées serait engagée pour défaut de soins en 1972, n'est pas fondé à se prévaloir d'un droit à pension.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. B... devant le tribunal des pensions militaires de la Gironde doit être rejetée, ensemble et par voie de conséquence ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
11. M. B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions militaires de la Gironde du 7 février 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal des pensions militaires de la Gironde et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX03999