CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 14/12/2021, 17MA03936, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 décembre 2021
Num17MA03936
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentMme HELMLINGER
RapporteurM. Philippe D'IZARN DE VILLEFORT
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsMDMH - MAUMONT MOUMNI AVOCATS ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 947 238 euros en réparation de préjudices résultant d'agissements survenus à l'occasion de son service.

Par un jugement n° 1504411 du 20 juillet 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit n° 17MA03936 du 21 mai 2019, la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur l'appel formé par M. A... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulon du 20 juillet 2017, a d'une part annulé ce jugement, et d'autre part, après avoir évoqué l'affaire, ordonné la réalisation d'une expertise aux fins de déterminer la date de consolidation du syndrome dépressif de M. A... ainsi que la durée et le taux du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances physiques et psychiques en relation directe avec cette pathologie, et notamment de son préjudice sexuel.

Par ordonnance du 13 juin 2019, la président de la Cour a désigné le docteur C... en qualité d'expert.

L'expert a remis son rapport le 11 octobre 2019. Ce rapport a été communiqué aux parties, qui ont été invitées à produire leurs observations, le 14 octobre 2019.

Par ordonnance du 15 octobre 2019, la présidente de la Cour a liquidé et taxé les frais de l'expertise à la somme de 1 200 euros toutes taxes comprises.

Par deux mémoires enregistrés le 5 novembre 2019 et le 28 juillet 2021, M. A... a produit des observations sur ce rapport, et maintenu ses précédentes écritures tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 947 238 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation de ses préjudices, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- en refusant illégalement l'imputabilité au service de sa maladie, l'administration a commis une illégalité fautive ;
- la date de consolidation retenue par l'expert est erronée et arbitraire, la cotation à retenir au titre des souffrances endurées sur une période de seize années doit être fixée à 5 / 7, et non à 3 / 7 comme l'a estimé l'expert, et son préjudice sexuel, qui doit être évalué en fonction du retentissement subjectif, a perduré après la consolidation ;
- les montants qui lui seront alloués au titre de la réparation de ses préjudices extrapatrimoniaux seront fixés sous réserve des sommes versées en exécution du jugement à intervenir sur sa demande de pension militaire d'invalidité.

Par des mémoires, enregistrés les 8 janvier 2020 et 17 novembre 2020, la caisse nationale militaire de sécurité sociale indique que le montant des prestations servies au titre des dépenses de santé actuelles de M. A... est de 1 794, 32 euros.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2021, la ministre des armées a produit des observations sur le rapport d'expertise, et conclu à ce que la Cour réduise à de plus justes proportions les prétentions indemnitaires de M. A....

La ministre soutient que :
- en raison de l'imputabilité au service du syndrome dépressif de M. A..., seuls peuvent être réparés, au titre de la responsabilité sans faute, les souffrances endurées avant consolidation, le préjudice d'agrément, le préjudice esthétique, le préjudice d'établissement et le préjudice sexuel ;
- compte tenu de l'évaluation par l'expert des souffrances endurées, la somme réclamée par le requérant à ce titre est manifestement excessive ;
- faute de présenter un caractère permanent, d'après le rapport d'expertise, le préjudice sexuel ne peut être indemnisé ;
- le préjudice de carrière est déjà indemnisé forfaitairement par la pension militaire d'invalidité, en cas de responsabilité sans faute de l'Etat et, dans l'hypothèse où la Cour retiendrait la responsabilité pour faute de l'Etat, les prétentions indemnitaires relatives à ce chef de préjudice devraient être réduites, faute pour le requérant de justifier d'une perte de revenus professionnels, et de démonter un lien de causalité directe entre le syndrome dépressif et une perte de chance dans son évolution de carrière, ainsi qu'une impossibilité de travailler à l'issue de son congé de longue maladie ;
- en tout état de cause, une éventuelle pension militaire d'invalidité devra être déduite des sommes à allouer au titre de la responsabilité pour faute.




Par ordonnance du 8 juillet 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juillet 2021 à 12 heures puis reportée au 1er septembre 2021, à 12 heures, par ordonnance du 29 juillet 2021.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :
1. M. A..., médecin chef du service de sante´ des armées, atteint d'un syndrome dépressif, a été placé en congé de longue maladie à compter du 25 mars 2011. Par décision du 18 avril 2014, le ministre de la défense a rejeté la demande de pension militaire d'invalidité qu'il avait présentée au titre de ce syndrome dépressif, le recours présenté par l'intéressé à l'encontre de cette décision étant actuellement pendant devant le tribunal départemental des pensions militaires d'invalidité de Paris. Par décision du 7 septembre 2015, prise en exécution d'un jugement du tribunal administratif de Toulon du 21 novembre 2014, l'affection ayant justifié ce congé a été reconnue imputable au service. L'intéressé a demandé au tribunal administratif de Toulon la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 947 238 euros en réparation intégrale, d'une part, de son préjudice de carrière et, d'autre part, des souffrances psychiques et physiques, qu'il estime avoir subis en raison de cette maladie professionnelle. Saisie de l'appel de M. A... contre le jugement du 20 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande, la Cour a, par arrêt avant dire droit du 21 mai 2019, d'une part annulé ce jugement, et d'autre part, après avoir évoqué l'affaire, ordonné la réalisation d'une expertise aux fins de déterminer la date de consolidation du syndrome dépressif de M. A... ainsi que la durée et le taux du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances physiques et psychiques en relation directe avec cette pathologie, et notamment de son préjudice sexuel.

Sur le cadre juridique applicable :

2. Eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, reprises aux articles L. 125-2 à L. 132-3 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille. Lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, devenu l'article L. 133-1 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais d'assistance par une tierce personne.
3. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. En outre, dans l'hypothèse où le dommage engage la responsabilité de l'Etat à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l'exercice des fonctions, et notamment lorsqu'il trouve sa cause dans des soins défectueux dispensés dans un hôpital militaire, l'intéressé peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale. Lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif.

Sur la responsabilité pour faute

4. Aux termes de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense, issu de la loi du
4 août 2014 : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ". Ces dispositions, qui n'étaient pas en vigueur à la date des faits en cause, s'inspirent du principe selon lequel aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions d'exercice de son service susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour l'application de ce principe, il appartient au militaire qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. En premier lieu, la seule circonstance qu'au cours de l'exercice de ses fonctions, un militaire a développé une maladie ayant justifié son placement en congé de longue durée, et ayant été reconnue à ce titre imputable au service n'est pas, par elle-même, de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral dont le militaire aurait été l'objet. En pareille hypothèse, contrairement aux affirmations du requérant, il ne revient pas à l'administration de rapporter la preuve que cette pathologie trouverait une cause étrangère à des faits de harcèlement moral.
6. En deuxième lieu, pour soutenir avoir été la victime de faits de harcèlement moral à compter de son affectation en 2000, en tant que chef du service d'anesthésie, à l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Bégin de Saint-Mandé, puis à partir de son affectation en 2002 à l'hôpital d'instruction des armées (HIA) du Val-de-Grâce, M. A... fait état de la répétition d'attitudes vexatoires et déplacées, de remarques verbales et de brimades relatives à ses qualités professionnelles et personnelles, de la dévalorisation de ses compétences, des pressions exercées par sa hiérarchie et des oppositions de celle-ci à toutes ses initiatives professionnelles, ainsi que de l'interruption de ses perspectives d'avancement.
7. Toutefois, et d'une part, au cours de son affectation à l'HIA Bégin, si les témoignages d'anciens médecins anesthésistes ou anesthésistes-réanimateurs du service d'anesthésie et de réanimation de cet établissement permettent d'établir l'existence d'un différend entre la direction et les médecins de ce service, que M. A... dirigeait alors, au sujet d'un repos dit de sécurité, ni ces pièces ni aucun autre élément de l'instruction ne sont de nature à faire présumer la commission, à son encontre, d'agissements répétés de harcèlement moral.
Il est constant qu'à cette période, la direction de l'établissement n'avait pas autorisé la prise de cette catégorie de repos, pourtant pratiquée par M. A... et par son service à son initiative. Il est tout aussi constant que c'est pour ce motif que M. A... s'est vu infliger le 19 février 2002 une sanction de dix jours d'arrêt, assortie d'un sursis de trois mois par la décision prise
le 9 mars 2002 par le ministre de la défense sur recours de l'intéressé, décision n'ayant remis en cause ni le principe ni la matérialité des faits sanctionnés, et du reste non contestée devant le juge. La circonstance que le repos de sécurité était pratiqué au cours de la même période à l'HIA du Val-de-Grâce et qu'il sera plus tard appliqué à l'ensemble des hôpitaux d'instruction des armées, n'est en tout état de cause pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de la sanction disciplinaire ainsi infligée. M. A..., qui ne soutient pas avoir désobéi à un ordre manifestement illégal, ne peut ainsi se prévaloir de cette sanction pour faire présumer de faits de harcèlement moral. Si, enfin, M. A... indique dans ses écritures relatives à son affectation à l'HIA Bégin, en contradiction avec les termes de son recours préalable, mentionnant à ce titre l'HIA du Val-de-Grâce, que deux de ses collègues se sont suicidés, qu'un autre a commis une tentative de pendaison dans son bureau, et que deux autres collègues ont été placés en congés de longue durée ou de longue maladie, du fait d'agissements fautifs de ses supérieurs, il n'apporte aucun élément susceptible d'en faire présumer l'existence.
8. A supposer que M. A... considère comme constitutive d'un agissement de harcèlement moral sa mutation d'office à l'HIA du Val-de-Grâce, alors qu'il n'avait sollicité que son changement de poste au sein du même HIA, compte tenu des difficultés relationnelles avec sa direction, il admet lui-même ne pas avoir contesté cette mutation, ni devant sa hiérarchie, ni devant le juge et n'affirme pas qu'elle n'aurait pas été décidée dans l'intérêt du service.
9. D'autre part, au titre de son affectation à l'HIA du Val-de-Grâce, M. A... ne livre aucune précision sur les conditions dans lesquelles il aurait été affecté d'abord au poste de chef du service, puis à celui d'adjoint au chef de ce service, et ne permet donc pas de présumer qu'il s'agirait d'une rétrogradation, susceptible de constituer un agissement de harcèlement moral. Il en va de même de son affectation au poste de chef du département de la formation continue de l'école du Val-de-Grâce, liée à la fermeture du centre d'instruction des infirmiers anesthésistes diplômés d'Etat (CIIADE) dont il était directeur, selon la ministre des armées qui n'est pas sur ce point contredite. Le courriel daté du 12 mars 2010, à lui envoyé par le médecin général inspecteur et dont copie a été adressée à l'ensemble du personnel du service, se borne à lui demander, en des termes ni discourtois ni excédant les limites du pouvoir hiérarchique, d'adapter son emploi du temps à celui de l'école du Val-de-Grâce et de se conformer à ses directives.
Ni cette pièce ni aucun autre élément de l'instruction ne fait apparaître des propos ou agissements de ses supérieurs hiérarchiques, de nature à dévaloriser sa manière de servir. Ses allégations selon lesquelles il aurait été l'objet d'insultes, en salle de réveil, en présence de collègues, infirmières et malades, sa boîte aux lettres professionnelle aurait été retirée sans information préalable, et sa place de stationnement supprimée, ne sont pas assorties des précisions suffisantes pour en apprécier le caractère plausible. Par ailleurs, la note de service du 5 février 2017, par laquelle le chef du département d'anesthésie-réanimation du Val-de-Grâce, dont M. A... était l'adjoint, a fixé les dates de trois réunions pour le même mois, alors que le requérant indique avoir été jusqu'alors chargé d'organiser les réunions de service, ne permet pas de considérer qu'il se serait vu retirer cette prérogative. Si M. A... verse au dossier une attestation d'un médecin ayant été affecté six mois, en 1991, au service d'anesthésie-réanimation de l'HIA du Val-de-Grâce, selon lequel l'ambiance dans le service était délétère du fait du professeur de médecine qui le dirigeait, ce document n'est de pas de nature à éclairer utilement les conditions de travail dans ce même service au cours de la période postérieure. Aucun des éléments d'appréciation dans la notation de M. A... pour l'année 2003, retenus par les différents notateurs appelés à se prononcer, n'est, par son contenu ou sa formulation, susceptible de se rattacher à un agissement de harcèlement moral ou d'en faire présumer l'existence. Il ne résulte pas de l'instruction, pas même de la lettre adressée le 8 décembre 2009 par le chef de l'école du Val-de-Grâce à un général, que la sanction de dix jours avec trois mois de sursis, dont le ministre de la défense avait décidé le 3 mars 2002 qu'elle ne figurerait pas au dossier du militaire, aurait influé sur ses conditions d'avancement ou sur tout autre décision relative à sa carrière. Il ne résulte pas davantage des éléments de l'instance que la carrière de M. A... aurait été illégalement bloquée. Enfin, l'attestation établie le 17 juillet 2012 par un médecin, non plus qu'aucune autre pièce du dossier, ne montre que M. A..., professeur agrégé de médecine, aurait été entravé dans ses activités universitaires et de recherche.
10. Les éléments de fait apportés par M. A..., pris isolément ou cumulativement, ne sont ainsi pas de nature à caractériser des agissements répétés de harcèlement moral dont il aurait été l'objet et qui auraient été à l'origine du syndrome dépressif dont il a souffert à compter de l'année 2000.
11. Enfin, si M. A... invoque en cause d'appel la faute commise par l'Etat du fait de l'illégalité du refus de reconnaître l'imputabilité au service de son affection au titre de son congé de longue durée, ni sa demande d'indemnisation préalable, ni sa demande devant le tribunal ne fondaient ses prétentions indemnitaires sur un tel fait générateur. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est du reste pas allégué, que le syndrome dépressif dont
M. A... sollicite la réparation des conséquences dommageables, qui ne trouve pas son origine dans l'illégalité de cette décision de refus, reconnue par jugement définitif du tribunal administratif de Toulon du 21 novembre 2014, aurait été aggravé par cette mesure. Il en va de même du retard avec lequel le ministre de la défense a reconnu l'imputabilité au service de son affection par décision du 7 septembre 2015. De tels faits, présentés à tort par M. A... comme dommageables, ne sont pas davantage rattachables à un harcèlement moral.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander la réparation intégrale de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'Etat. Ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice de carrière, qui recouvre les pertes de revenus ainsi que les pertes futures de pension de retraite, et qui est une conséquence de l'atteinte à son intégrité physique et psychique, que l'Etat aurait été condamné à réparer si l'affection avait été regardée comme la conséquence d'une faute, ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur la responsabilité sans faute :

13. Il résulte de l'instruction et il n'est d'ailleurs plus contesté par la ministre des armées dans le dernier état de ses écritures, que le syndrome dépressif de M. A..., dont les troubles sont apparus au cours de l'année 2000, et qui a justifié son placement en congé de longue durée à compter du 25 mars 2011, a été reconnu imputable au service par décision du
7 septembre 2015. L'imputabilité au service de cette affection a du reste été confirmée par le rapport d'expertise du 11 juin 2019 rendu sur jugement avant dire droit du tribunal des pensions militaires de Paris, l'expert qualifiant l'affection de dépression chronique séquellaire. M. A... peut ainsi prétendre, ainsi qu'il a été dit au point 3, à l'indemnisation des préjudices subis du fait de cette infirmité imputable au service, et autres que ceux qu'une pension militaire d'invalidité a pour objet de réparer.
14. A ce titre, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise diligentée par arrêt avant dire droit, que la date de consolidation de l'affection de M. A... peut être fixée au 25 mars 2011, date de son placement dans la position de congé de longue durée qui lui a permis de s'éloigner utilement et durablement du service. En produisant un certificat médical dit " de consolidation " établi le 21 avril 2017 par un praticien hospitalier exerçant dans le groupe hospitalier Thiais-Fresnes-Rungis, fixant la date de consolidation de son état de santé psychique au 15 avril 2016, sans autre précision, M. A... ne conteste pas efficacement les conclusions sur ce point du rapport d'expertise. La circonstance, également avancée par le requérant, qu'il ait dû après le 25 mars 2011 continuer d'être médicalement pris en charge tous les deux mois et traité de manière médicamenteuse, ne suffit pas à considérer que ses troubles ne seraient pas encore consolidés à cette date.


15. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise diligentée par la Cour, que depuis l'apparition de ses troubles dépressifs, en 2000, jusqu'au 25 mars 2011, date de leur consolidation, M. A... a subi des souffrances physiques et psychiques évaluées à 3 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, lequel correspond également aux troubles d'ordre sexuel subis avant comme après la consolidation, compte tenu des traitements médicamenteux reçus par M. A..., et de la réparation qui lui est due, en condamnant l'Etat à lui verser la somme globale de 10 000 euros.

Sur les intérêts :

16. M. A... a droit aux intérêts de la somme de 10 000 euros, en application de
l'article 1153 du code civil, à compter du 2 juillet 2015, date de réception de sa demande préalable d'indemnisation par la commission des recours des militaires.

Sur les frais d'expertise :

17. Il y a lieu de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés par ordonnance de la présidente de la Cour du 15 octobre 2019 à 1 200 euros, à la charge de l'Etat.

Sur les frais liés à l'instance

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. A... une somme de 10 000 euros en réparation de ses souffrances physiques et psychiques. Cette somme produira intérêts à compter du
2 juillet 2015.
Article 2 : Les frais d'expertise, pour un montant de 1 200 euros, sont mis à la charge de l'Etat.
Article 3: L'Etat versera à M. A... une somme de 2 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la ministre des armées et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale.
Copie en sera transmise à l'expert.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2021.
N° 17MA039364