CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 21/12/2021, 20MA03277, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal départemental des pensions du Gard, qui a transmis sa demande au tribunal administratif de Nîmes, d'annuler la décision du 3 août 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension militaire d'invalidité pour infirmité nouvelle, et de faire droit à sa demande de révision de pension.
Par un jugement n° 1903702 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande et a mis à la charge définitive de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise prescrite le 8 mars 2019.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 août 2020 et les 1er et 20 septembre 2021, M. C..., représenté par Me Mattler, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 30 juin 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler la décision du 3 août 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension militaire d'invalidité ;
3°) de lui accorder le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité définitive au taux de 10 %, à compter du 1er décembre 2016, et de le renvoyer devant l'autorité compétente pour la mise en œuvre des dispositions financières liées à cette pension ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise médicale.
Il soutient que :
- le jugement qui lui a été notifié n'est pas signé du président de la formation de jugement ni de ses membres et il appartient à la Cour de s'assurer que la minute le soit régulièrement ;
- il n'est pas établi que le signataire de la décision en litige ait bien reçu délégation régulière à cet effet, c'est-à-dire suffisamment précise, y compris au vu de la délégation produite par la ministre en cours d'instance, le contenu des matières déléguées posant difficulté dès lors que l'arrêté portant organisation de la direction des ressources humaines du ministère a été abrogé le 1er juillet 2020, et le pouvoir de délégation de la ministre n'étant pas avéré ;
- comme le montrent un certificat médical de son médecin traitant et le rapport d'expertise médicale du 20 juin 2019, ses douleurs dorsales sont à l'origine pour lui d'une gêne fonctionnelle indemnisable au taux d'invalidité de 10 % ;
- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande de révision de pension au titre de l'infirmité nouvelle, au seul motif que l'accident de la circulation du 10 septembre 1998, survenu en service, et auquel est imputable cette infirmité, n'a pas en son temps donné lieu à pension, aucune prescription n'étant posée par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pour former une demande, alors que cet accident n'a pu qu'aggraver les séquelles de l'accident de service du 3 novembre 1980, ce qui explique qu'il ait présenté une demande de révision, et non une nouvelle demande de pension ;
- contrairement à ce qu'affirme la ministre en défense, le rapport d'expertise médicale démontre la filiation de soins en lien avec les séquelles de ce traumatisme depuis 1998, même si avant son retour à la vie civile, les traitements et soins dispensés par les médecins militaires n'ont pas été consignés dans son livret militaire ;
- les sauts en parachute qu'il a effectués à répétition de 1979 à 1993 ont aggravé les blessures causées par les deux accidents de service de 1980 et de 1998 ;
- la jurisprudence sur les conditions générales de service ne fait pas obstacle aux préconisations du guide-barème qui prévoient, par exception, l'indemnisation des lésions traumatiques latentes et des lésions non traumatiques en ce qui concerne les maux de dos.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 août 2021 et 9 septembre 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête, en soutenant, dans le dernier état de ses écritures, que les moyens qui y sont développés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 3 août 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 15 septembre 2021, à 12 heures, puis reportée au 30 septembre 2021, à 12 heures, par ordonnance du 1er septembre 2021.
Un mémoire a été présenté le 2 décembre 2021 par la ministre des armées, qui n'a pas été communiqué.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- l'avis n° 451980 du Conseil d'Etat du 9 juillet 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., caporal-chef de la Légion étrangère, rayé des contrôles le 17 juillet 2001 et bénéficiaire d'une pension militaire d'invalidité concédée le 3 août 2015, a demandé le 1er décembre 2016 la révision de sa pension au titre de l'infirmité nouvelle de type " douleurs cervico-dorso-lombaires ". Par décision du 3 août 2017, la ministre des armées a rejeté cette demande. Par jugement du 30 juin 2020, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Nîmes, après jugement avant dire droit du tribunal départemental des pensions du Gard du 8 mars 2019 et rapport d'expertise du 20 juin 2019, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision et d'autre part à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité au taux de 10 %.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le droit applicable :
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve d'une relation certaine, directe et déterminante entre les troubles qu'il invoque et un fait ou des circonstances particulières de service. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires soumis à des contraintes identiques.
3. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa version alors applicable : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % (...) /3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / 30 % en cas d'infirmité unique ; / 40 % en cas d'infirmités multiples ". Aux termes de l'article L. 9 du même code: " (...) Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. / Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur (...) ". Aux termes de l'article L. 14 du même code: " Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante. / A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. / Toutefois, quand l'infirmité principale est considérée comme entraînant une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories, soit de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité. ".
4. Enfin, l'article L. 26 de ce code dispose que : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué ".
En ce qui concerne les droits à pension :
5. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise établi le 20 juin 2019 sur jugement avant dire droit du tribunal départemental des pensions militaires d'invalidité du Gard, que l'infirmité au titre de laquelle M. C... a demandé la révision de sa pension militaire d'invalidité correspond à une pathologie de type rachidien et se traduit par des douleurs cervico-dorso-lombaires ainsi que par une gêne fonctionnelle. Selon ce rapport qui propose un taux d'invalidité de 10 % au vu des éléments d'appréciation du guide-barème, cette infirmité trouve son origine, à raison d'une proportion d'un tiers chacun, dans trois faits de service différents que sont, d'abord, une mauvaise réception après un saut en parachute effectué le 3 novembre 1980, dont M. C... a conservé une " désaxation " de l'arrière-pied droit, une arthrose tibio-tarsienne ainsi qu'une légère boiterie, ensuite un accident de la circulation survenu en mission le 10 septembre 1998, dont l'intéressé tire une entorse cervicale ayant évolué en arthrose cervicale et, enfin, les 218 sauts en parachute réalisés par l'intéressé entre 1979 et 1993, engendrant des pincements discaux avec arthrose diffuse cervicale et lombaire.
6. Le rapport d'expertise précité, que la ministre des armées ne remet pas en cause, montre d'abord que l'infirmité nouvelle est, pour partie, à raison du tiers du rapport de causalité déterminé par l'expert, en relation directe et certaine avec le premier accident de service, au titre duquel d'ailleurs M. C... est déjà pensionné au taux de 20%, et à l'origine pour ce dernier, selon l'expert, de répercussions au niveau de la sphère rachidienne, par lésions arthrosiques tant cervicales que lombaires. Il y a donc lieu de juger que M. C... rapporte la preuve d'une relation certaine et directe entre les troubles qu'il invoque et l'accident de service du 3 novembre 1980.
7. Il résulte en outre de ce rapport d'expertise, ainsi que d'un rapport circonstancié du 18 octobre 1998, que M. C... a pu valablement produire pour la première fois au soutien de son recours devant le tribunal, et il n'est du reste pas sérieusement contesté par la ministre des armées, que malgré le délai qui sépare l'accident de circulation du 10 septembre 1998, constitutif d'un fait précis de service, et la demande de révision de pension pour infirmité nouvelle, il est établi une filiation médicale, directe et certaine, entre les séquelles tirées de cet accident, liées à une arthrose cervicale, et les douleurs cervico-dorso-lombaires au titre desquelles sa demande de révision est formulée. Ce rapport, contre les motifs et conclusions duquel la ministre ne livre aucune pièce médicale contraire, la demande de révision de pension de M. C... n'ayant été soumise, qui plus est, à aucun médecin expert avant la prise de la décision en litige, propose de considérer que cet accident de service constitue la deuxième cause, directe et certaine, de l'affection cervico-dorso-lombaire dont il souffre, à raison du tiers du rapport de causalité. Ainsi M. C... est fondé à soutenir qu'il établit l'existence d'une relation directe et certaine entre son infirmité et l'accident de service du 10 septembre 1998.
8. Certes et en revanche, si le rapport d'expertise du 20 juin 2019 considère que les 218 sauts en parachute effectués par M. C... entre 1979 et 1993 ont favorisé l'apparition de sa pathologie de type rachidien cervico-dorso-lombaire, il ne résulte ni de ce document ni d'aucune autre pièce du dossier, ni même du guide-barème, dont les préconisations ne portent pas sur l'imputabilité au service des infirmités, que cette affection peut être à ce titre rattachée à une circonstance précise de service, les multiples sauts en parachute réalisés par l'intéressé dans le cadre des conditions générales de service auxquelles il était exposé au sein de son unité, ne pouvant être retenus à ce titre, en l'absence de circonstances particulières permettant de leur imputer l'affection invoquée.
9. Dans ces conditions, néanmoins, les éléments de l'instruction, et spécialement le rapport d'expertise du 20 juin 2019, montre que les deux accidents de service subis par M. C... le 3 novembre 1980 et le 10 septembre 1998 ont été la cause déterminante des troubles cervico-dorso-lombaires qu'il invoque et dont le taux d'invalidité de 10 % retenu par l'expert n'est contesté par aucune des parties à l'instance. Il est par conséquent fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande et que, par la décision en litige, la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension pour défaut d'imputabilité au service de son infirmité nouvelle. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement et cette décision.
10. Il résulte tout ce qui précède que M. C... a droit à la révision de sa pension militaire d'invalidité, du fait de l'apparition de l'infirmité dite " douleurs cervico-dorso-lombaire ", par l'octroi, à compter du 1er décembre 2016, date de dépôt de sa demande de révision de pension, d'un taux d'invalidité de 10 %. Sa pension sera révisée suivant les modalités de calcul posées à l'article L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, citées au point 3.
Sur les frais et honoraires de l'expertise :
11. Il résulte de ce qui précède que les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le jugement du tribunal départemental des pensions du Gard du 8 mars 2019, doivent être laissés à la charge de l'État.
Sur les frais du litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens. La présente instance n'ayant pas donné lieu à dépens, les conclusions présentées à ce titre doivent quant à elles être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1903702 du tribunal administratif de Nîmes du 30 juin 2020 et la décision de la ministre des armées du 3 août 2017 sont annulés.
Article 2 : M. C... a droit à la révision de sa pension militaire d'invalidité au taux de 10 % pour l'apparition de l'infirmité dite " douleurs cervico-dorso-lombaires " à compter du 1er décembre 2016.
Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le jugement du tribunal départemental des pensions du Gard du 8 mars 2019 sont mis à la charge de l'Etat.
Article 4 : L'Etat versera à M. C... une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à M. C... et à la ministre des armées.
Copie en sera adressé à l'expert, le docteur B... A....
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2021.
N° 20MA032777