CAA de PARIS, 8ème chambre, 22/12/2021, 19PA03690, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris d'annuler la décision du ministre de la défense du 17 août 2015 rejetant sa demande du
21 juillet 2014 tendant au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " décompensation psychotique amendée par la thérapeutique ".
Par un jugement n° 15/00027 du 14 septembre 2018, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
La Cour régionale des pensions de Paris a transmis à la Cour, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, la requête présentée par M. A... le 5 novembre 2018 et un mémoire en défense présenté par la ministre des armées enregistré à son greffe le 23 mai 2019.
Par cette requête et un mémoire complémentaire enregistrés au greffe de la Cour sous le n° 19PA03690 les 1er novembre 2019 et 7 juillet 2021, M. A..., représenté par Me Rouanet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 15/00027 du 14 septembre 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris ;
2°) d'annuler la décision du ministre de la défense du 17 août 2015 ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " décompensation psychotique amendée par la thérapeutique " avec un taux d'invalidité de 60 % à compter de la date d'enregistrement de la demande, soit le 21 juillet 2014.
Il soutient qu'il existe un lien de causalité entre le service et son infirmité entraînant un taux d'invalidité de 60 %.
Par ce mémoire en défense et un second mémoire enregistrés au greffe de la Cour les 1er novembre 2019 et 1er septembre 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. A....
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 30 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 29 novembre 1986, a été incorporé le 10 mai 2010 à Mailly-le-Camp et a fait l'objet d'une réforme définitive pour infirmité à compter du 1er juin 2011. Le 22 juillet 2014, il a sollicité l'attribution d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " décompensation psychotique amendée par la thérapeutique ", demande qui a été rejetée par décision du ministre de la défense du 17 août 2015 au motif que la preuve d'imputabilité n'est pas établie en l'absence de fait de service légalement constaté et que la présomption d'imputabilité ne peut s'appliquer, l'infirmité invoquée n'ayant pas été constatée pendant une période ouvrant droit à ce bénéfice. Par jugement n° 15/00027 du 14 septembre 2018, dont M. A... relève appel, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris a rejeté le recours formé contre cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur au 22 juillet 2014, date de la demande de bénéfice de la pension : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ". Selon l'article L. 3 du même code alors en vigueur : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code alors en vigueur : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. (...) ". Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2, L. 3 et L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que lorsque la présomption légale d'imputabilité ne peut être invoquée, l'intéressé doit apporter la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre l'infirmité et un fait précis ou des circonstances particulières de service. Cette relation de causalité est requise aussi bien en cas d'infirmité trouvant sa cause exclusive dans le service qu'en cas d'aggravation par le service d'une infirmité préexistante ou concomitante au service et vaut pour toutes les affections y compris celles de nature psychologique. Enfin, l'existence d'une telle relation ne peut résulter de la seule circonstance que l'infirmité ou l'aggravation ait été révélée durant le service, ni d'une vraisemblance ou d'une hypothèse, ni des conditions générales du service.
3. Il n'est ni soutenu ni allégué que l'infirmité dont M. A... se prévaut aurait fait l'objet d'une inscription au registre des constatations d'une blessure ou d'une maladie survenue pendant le service dans les délais prévus par les dispositions précitées de l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre. Dès lors, la présomption légale d'imputabilité ne peut s'appliquer en l'espèce à la situation de l'intéressé à qui il appartient, par suite, d'apporter la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre l'infirmité et un fait précis ou des circonstances particulières de service.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise médicale du 18 mai 2015 du professeur Bazot, qui a examiné M. A... dans le cadre de sa demande de pension, et du rapport d'expertise du 13 juillet 2017 du professeur Peretti, diligenté par le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris, que M. A... est atteint, selon le premier expert, d'une décompensation psychotique amendée par la thérapeutique, avec un taux global de 60 %, antérieur ou étranger au service et, selon le second expert, d'une décompensation délirante paranoïde avec hallucinations auditives à type de dialogue hallucinatoire, avec un taux de 60 % en relation avec le service.
5. Pour le professeur Bazot, " le dossier ne comporte aucun élément en faveur de l'imputabilité de cette affection chez ce sujet classé P=0 lors de son incorporation, P=1 à la fin de la période probatoire (pas de rapport circonstancié) ". Son expertise ne rapporte aucun fait lié au service. Selon le professeur Peretti, les antécédents psychiatriques personnels et psycho-traumatiques de M. A... ne révèlent rien de significatif, aucun traumatisme crânien, aucune perte de connaissance, fracture du crâne ni épilepsie. Il note que l'examen de sa personnalité révèle un homme avec des crises anxieuses, des idées suicidaires épisodiques, un tempérament colérique et un abaissement du seuil de passage à l'acte violent, un déficit de contrôle pulsionnel, des troubles du sommeil et une humeur dépressive en relation avec une douleur de la hanche gauche sans troubles du caractère. Il souligne que les troubles neurophysiologiques sont apparus après des sessions d'entraînement sous la pluie en 2010. L'expert conclut que " l'imputabilité au service de cet état mental est établie par l'absence d'antériorité pathologique chez M. A... avant le service, la période d'apparition du trouble est concomitante à la période des entraînements militaires ".
6. M. A... soutient qu'après l'arrivée dans sa compagnie à la suite de ses classes, en septembre 2010, il a rapidement subi une grande pression de la part de ses supérieurs hiérarchiques. Il indique que lorsqu'il semblait être fatigué ou en retrait, il avait le droit à des réflexions déplaisantes et que dans la compagnie, tous avaient une chambre sauf lui. Il ajoute que pendant la période sur le terrain, il avait le droit systématiquement au tour de garde entre 2 h et 4 h du matin alors qu'il devait, ensuite, se lever à 6 h pour faire sa journée complète et que devant son épuisement physique et psychologique, il n'avait droit de la part de ses supérieurs qu'au " mépris et aux réflexions désagréables et vexantes " et que les " reproches étaient quotidiens, démoralisants et rabaissants ". De plus, sur le terrain de tir, pendant qu'il apprenait à tirer, un caporal lui donnait des coups de pied par derrière pour qu'il rate ses tirs et suite à une provocation d'un autre soldat, il a été le seul à être sanctionné à des travaux d'intérêt général pendant plusieurs heures consistant à faire le nettoyage d'un bâtiment de trois étages. Il fait valoir que le week-end précédent le 17 janvier 2011, date de la cérémonie de remise du grade de 1ère classe aux soldats de sa compagnie, il a commencé à se sentir mal et a attendu, comme le lui avait suggéré son adjudant-chef, pour consulter les médecins du régiment plutôt que l'hôpital public. Son état ayant empiré après cette cérémonie, il a été pris en charge successivement le 17 janvier 2011 à l'hôpital de Troyes, le 19 janvier 2011 au centre hospitalier régional de Metz-Thionville, puis du 20 janvier au 7 février 2011 à l'hôpital d'instruction des armées Legouest à Metz pour " un mutisme évoluant depuis le 17 janvier 2011 " sans antécédent médical connu. M. A... soutient que sa souffrance psychotique est liée à la période passée en tant qu'engagé volontaire dans l'armée de terre, suite aux pressions et au harcèlement moral qu'il a subis et que les " faits déclenchants sont sa nomination au grade de 1ère classe et le comportement de ses gradés exigeant de lui plus que des autres et ayant la parole facile pour lui rappeler qu'il peut rentrer chez lui ".
7. Toutefois, en l'absence de tout rapport circonstancié, de toute pièce venant à l'appui des déclarations de M. A... sur les faits de harcèlement qu'il relate et de toute mention dans le livret médical ou dans un compte rendu ou une expertise médicale relative à des circonstances professionnelles, et alors que le professeur Peretti se borne à retranscrire les déclarations de ce dernier selon lesquelles ses troubles neurophysiologiques sont apparus après des sessions d'entraînement sous la pluie en 2010, le requérant ne peut être regardé comme établissant que l'affection dont il est atteint trouve son origine dans un fait précis ou des circonstances particulières de service. Ni l'absence d'antériorité pathologique avant le service, ni la concomitance entre la période d'apparition du trouble et celle des entraînements militaires, relevées par le professeur Peretti, dont les conclusions ne lient pas le juge auquel il appartient de prendre en considération l'ensemble des éléments produits par les parties, ne sont de nature à établir la preuve que l'affection de M. A... est imputable au service. Dans ces conditions, la preuve, exigée par les articles
L. 2, L. 3 et L. 4 précités du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, de l'imputabilité à un fait précis ou à des circonstances particulières de service de l'affection pour laquelle M. A... a formé une demande de pension n'est pas rapportée.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense du 17 août 2015 rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " décompensation psychotique amendée par la thérapeutique ". Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris par voie de conséquence ses conclusions à fin d'injonction.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2021.
La rapporteure,
A. COLLET Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA03690