CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 04/11/2021, 19BX04071, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 novembre 2021
Num19BX04071
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Anne MEYER
CommissaireMme GALLIER
AvocatsDAKESSIAN JOANNE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal des pensions de Pau d'annuler la décision du 19 janvier 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité pour l'aggravation de l'infirmité de séquelles d'amibiase intestinale et la prise en compte de l'infirmité relative à un état de stress post-traumatique.

Par un jugement n° 2019/10 du 9 mai 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 15 juillet et le 7 août 2019 et un mémoire récapitulatif enregistré le 10 mars 2020, M. C..., représenté par Me Dakessian, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de constater son droit à pension pour l'état de stress post-traumatique et d'enjoindre à la ministre des armées de réviser sa pension en retenant cette infirmité avec un taux d'invalidité de 40 %, ou à titre subsidiaire d'ordonner une expertise avant dire droit ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a écarté le certificat médical du 12 février 2015 au prétexte qu'il n'avait pas été réalisé dans le cadre d'une expertise ; ce certificat établi par un psychiatre, médecin militaire, fait état de deux événements marquants durant son séjour au Maroc en août 1955, explicite ses troubles psychiques et établit leur imputabilité au service ; pour rejeter sa demande, le tribunal a exclusivement retenu une expertise incomplète et des détails (propos de son épouse) ne répondant pas aux exigences du décret du 10 janvier 1992 ;
- l'expert a interrogé son épouse, en violation du décret du 10 janvier 1992 déterminant les règles et barèmes pour la classification et l'évaluation des troubles psychiques de guerre, et du principe de confidentialité prévu par le code de déontologie médicale ; il convient de s'interroger sur la pertinence de la présence de Mme C... lors de l'entretien, et au surplus, les propos de l'expert sur le " regard de l'épouse " sont interprétatifs et subjectifs ;
- l'expert, qui ne connaît pas le milieu militaire, n'a pas réalisé sa mission en connaissance de cause ; ni le fait que le demandeur a une vie sociale, ni la circonstance qu'il n'a jamais bénéficié d'une prise en charge psychiatrique ne sont de nature à exclure l'existence d'un état de stress post-traumatique ;
- en relevant que les événements traumatiques étaient antérieurs de près de 60 ans à la demande de pension, les premiers juges ont méconnu les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre permettant de présenter une demande de pension à tout moment, ainsi que celles du décret du 10 janvier 1992 , lequel précise que les manifestations de l'affection peuvent être très différées par rapport à l'événement traumatisant ; il appartient à une génération de militaires pour lesquels le stress post-traumatique était un sujet tabou, alors que certains de ceux de la nouvelle génération, qui ont souscrit des engagements leur permettant de bénéficier de primes et d'avantages, obtiennent en outre des pensions d'invalidité pour névrose de guerre ;
- le tribunal a méconnu l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l'interdiction de discrimination dès lors que lors de la même audience, il a accepté de porter de 30 à 50 % le taux d'invalidité d'un militaire d'une autre génération pensionné pour un état de stress post-traumatique ;
- il a été exposé à des faits particulièrement traumatiques en Indochine, au Maroc et en Algérie, et son état de stress post-traumatique justifie un droit à pension comme l'a retenu le certificat médical du 12 février 2015 ;
- à titre subsidiaire, si la cour s'estimait insuffisamment éclairée, il conviendrait d'ordonner une expertise.

Par des mémoires en défense enregistrés le 16 décembre 2019 et 23 juin 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né en 1931, militaire de carrière rayé des contrôles le 1er octobre 1971, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive concédée au taux de 70 % par arrêté du 22 décembre 2014, avec jouissance à partir du 21 juillet 2009, pour les infirmités de séquelles d'amibiase intestinale et de prolapsus hémorroïdaire en lien avec une maladie contractée en service et constatée en 1952 en Indochine. Le 19 mars 2015, il en a sollicité la révision pour aggravation des séquelles d'amibiase intestinale et pour la prise en compte d'une nouvelle infirmité au titre d'un état de stress post-traumatique. Par une décision du 19 janvier 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande aux motifs qu'aucune aggravation n'avait été constatée sur la première infirmité et que, l'état de stress post-traumatique allégué étant inexistant, son origine n'avait pas été recherchée. M. C... a saisi la cour régionale des pensions de Pau d'un appel du jugement du 9 mai 2019 par lequel le tribunal des pensions de Pau a rejeté sa demande d'annulation de cette décision, en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande relative à l'état de stress post-traumatique. Cette procédure a été transmise à la cour administrative d'appel de Bordeaux en application de la loi du 13 juillet 2018 susvisée.


Sur la régularité de l'expertise :

2. Aux termes de l'article R. 151-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les expertises auxquelles sont soumis les militaires en vue de l'obtention d'une pension d'invalidité sont effectuées par un médecin mandaté par le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre. / Ce médecin, qualifié médecin expert, est choisi soit parmi les médecins militaires, soit parmi les médecins civils spécialement agréés à cet effet. / (...). " Il résulte de ces dispositions que l'administration n'était pas tenue de faire appel à un médecin militaire pour réaliser l'expertise. Si M. C... s'interroge sur la pertinence de la présence de son épouse lors de l'expertise, il a lui-même accepté qu'elle l'accompagne, et les circonstances qu'elle a été interrogée et que la teneur de ses propos a été consignée dans le rapport d'expertise ne caractérisent, par elles-mêmes, aucune irrégularité.

Sur le droit à pension :
3. Aux termes l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre applicable à la date de la demande : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) ". Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / (...). " Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie.
4. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3 citées ci-dessus que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut pas bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service, il incombe à ce dernier d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service. Lorsqu'il est établi que les troubles psychiques trouvent leur cause directe et déterminante dans une ou plusieurs situations traumatisantes auxquelles le militaire en opération a été exposé, en particulier pendant des campagnes de guerre, la seule circonstance que les faits à l'origine des troubles n'aient pas été subis par le seul demandeur de la pension mais par d'autres militaires participant à ces opérations, ne suffit pas, à elle-seule, à écarter la preuve de l'imputabilité.
5. L'expertise a conclu à l'existence de troubles anxieux mineurs, évalués à moins de 10 %, en relevant, d'une part, que si M. C... a vécu des événements potentiellement traumatiques il y a plus de soixante ans, il n'a jamais bénéficié d'une prise en charge psychiatrique et a conservé une vie sociale active avec des fonctions associatives y compris nationales, et d'autre part, que son état de santé physique peut entraîner une fragilité expliquant certaines de ses difficultés. S'il est vrai que l'ancienneté des faits, l'absence de traitement et l'existence d'une vie sociale ne permettent pas d'exclure l'existence de troubles psychiques en lien avec des expériences traumatisantes vécues en service, ils sont de nature à en relativiser la gravité, laquelle s'apprécie notamment, selon le guide-barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, au regard de l'intensité des troubles et de la perte relative de la capacité relationnelle. M. C... fait valoir que sa carrière militaire a été émaillée de nombreux événements traumatisants, en particulier en Indochine de 1950 à 1951, et à deux reprises au Maroc en août 1955, lorsqu'il a eu pour mission de photographier les victimes d'un massacre, et lorsqu'il a échappé à une embuscade dans laquelle l'un de ses camarades a été tué et un autre grièvement blessé. Il se plaint de cauchemars, de reviviscences diurnes, d'une hypervigilance avec réaction de sursaut associée à une agoraphobie, ainsi que de périodes de repli et d'isolement. Toutefois, le certificat médical du 12 février 2015 dont il se prévaut, émanant du chef de service adjoint d'un hôpital d'instruction des armées, se fonde sur les doléances décrites pour conclure que " les troubles présentés par ce patient constituent un état de stress post-traumatique caractérisé, d'apparition ancienne, en relation avec de nombreuses expériences traumatiques vécues dans le cadre de sa carrière militaire ", et l'avis personnel de ce médecin se limite à affirmer que l'existence de " cette pathologie invalidante " justifie que M. C... bénéficie d'une expertise psychiatrique afin que le lien entre ses troubles et le service soit reconnu et que ses droits à pension soient évalués. Cette pièce ne suffit pas à contredire l'experte qui a admis l'existence d'un lien entre les troubles anxieux qu'elle a constatés et les événements vécus plus de soixante ans auparavant, mais a évalué le taux d'invalidité correspondant à un niveau inférieur au seuil de 10 % ouvrant droit à pension. Par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, M. C... n'est pas fondé à se prévaloir d'un droit à pension au titre d'un état de stress post-traumatique.
6. La circonstance que le tribunal aurait fait droit à la demande d'un militaire souffrant d'un syndrome de stress post-traumatique dans une autre affaire appelée à la même audience est sans incidence sur le bien-fondé du jugement.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Pau a rejeté sa demande. Par suite, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.



DÉCIDE :


Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2021.

La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX04071