CAA de NANTES, 6ème chambre, 25/10/2022, 21NT00908, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 18 décembre 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 1905780 du 15 février 2021 le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er avril 2021, Mme B..., représentée par Me Ledoux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 février 2021 ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le lien entre le décès et la maladie est certain même s'il n'est pas unique ; l'absence de lien exclusif ne peut justifier le refus de prise en charge ;
- le lien entre la pathologie et le service est établi ;
- son exposition à l'amiante dans le cadre professionnel est établi.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 septembre 2021 le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience et ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., maitre principal dans la marine nationale radié des contrôles le 2 avril 1997, était titulaire d'une pension militaire d'invalidité à titre définitif, concédée par arrêté ministériel du 15 mai 2017, à compter du 22 mars 2016, au taux global de 30 pour cent pour 1'infirmité " plaques pleurales bilatérales asbestosiques ". Il est décédé le 8 août 2017 à l'âge de 71 ans. Mme B... a sollicité le 26 août 2017 une pension de conjointe survivante. Le ministre de la défense a rejeté cette demande par décision du 18 décembre 2017. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2017.
2. Aux termes de l'article L. 141-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le droit à pension est ouvert au conjoint ou partenaire survivant mentionnés à l'article L. 141-1 : / (...) / 3° Lorsque le décès du militaire résulte de maladies contractées ou aggravées par suite de fatigues, dangers ou accidents survenus par le fait ou à l'occasion du service, et ce, quel que soit le pourcentage d'invalidité éventuellement reconnu à l'ouvrant droit. ". Aux termes de l'article R. 153-2 du même code : " Les demandes de pension, formulées par les conjoints ou partenaires survivants ou les orphelins de militaires dont le décès n'est pas survenu lors de l'accomplissement du service, et dans les cas où l'invalide n'était pas titulaire d'une pension d'au moins 85 % permettant d'ouvrir droit à pension au taux normal, doivent être accompagnées d'un rapport médico-légal, établi par le médecin qui a soigné le militaire ou l'ancien militaire pendant la dernière maladie ou, à défaut de soins donnés pendant la dernière maladie, par le médecin qui a constaté le décès. Le rapport mentionné à l'alinéa précédent fait ressortir d'une façon précise la relation de cause à effet entre le décès et la blessure reçue ou la maladie contractée ou aggravée en service. Les postulants à pension doivent fournir tous documents utiles pour établir la filiation médicale entre l'affection, cause du décès, et les blessures ou maladies imputables au service dans les conditions définies aux articles L. 121-1 et L. 121-2. ".
3. Lorsque le demandeur d'une pension ne peut, comme en l'espèce, du fait que l'affection invoquée n'a pas été constatée par un document émanant de l'autorité militaire dans les délais prescrits rappelés au point précédent, bénéficier de la présomption légale d'imputabilité et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il lui incombe d'apporter la preuve de l'imputabilité de l'affection au service par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Il peut, à cet égard, faire état de son exposition à un environnement ou à des substances toxiques, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. S'il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui a affecté le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie.
4. Il résulte de l'instruction, en particulier du certificat médical d'un pneumologue en 2015, que M. B... souffrait d'un carcinome broncho-pulmonaire micro cellulaire en rapport avec l'amiante.
5. Il résulte de l'instruction que, sur les navires de la marine nationale construits jusqu'à la fin des années quatre-vingt, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord et ces matériaux d'amiante ont tendance à se déliter du fait des contraintes physiques imposées à ces matériels, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin. En conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, sont susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.
6. M. B... a servi dans la marine nationale entre 1967 et 1986 dans la spécialité de missilier artilleur, sur des bâtiments effectuant des missions de longue durée comportant des équipements renfermant des matériaux à base d'amiante, notamment sous forme de calorifugeages, comme cela ressort de l'attestation en date du 25 octobre 2016 du directeur du personnel militaire de la marine. M. B... était d'ailleurs titulaire d'une pension d'invalidité pour l'infirmité " plaques pleurales bilatérales asbestosiques " en lien direct avec l'amiante inhalée, au taux de 30%, confirmant une exposition effective et intense à cette substance cancérogène. Enfin, Mme B... a produit une attestation du fonds d'intervention des victimes de l'amiante mentionnant le lien entre le cancer broncho-pulmonaire dont il était atteint et l'exposition de son mari à l'amiante. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu, d'une part, du lien, admis par la science, entre l'exposition à l'amiante et les cancers bronchiques, d'autre part, des éléments établissant que M. B... a été exposé pendant près de vingt ans à un environnement professionnel à forte présence d'amiante ainsi que des conditions dans lesquelles il exerçait ses fonctions, la preuve de l'imputabilité au service de sa pathologie doit être regardée comme établie sans que l'administration compte tenu du faisceau d'indices réunis puissent se borner à opposer l'absence de production du rapport médico-légal mentionné à l'article R. 153-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. En l'état du dossier, l'administration n'établit pas que d'autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie cause du décès. Ainsi, Mme B... pouvait bénéficier d'une pension au titre du décès de son mari dans les conditions prévues à l'article R. 153-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905780 du 15 février 2021 du tribunal administratif de Rennes et la décision du 18 décembre 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 7 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Giraud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2022.
Le rapporteur,
T. A...
Le président,
O. GASPON
Le greffier,
S. PIERODE La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00908