CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 22/11/2022, 20MA04307, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision22 novembre 2022
Num20MA04307
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. MARCOVICI
RapporteurM. Michaël REVERT
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsVAN DER HORST

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 26 juin 2018 par laquelle le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire l'a informé d'un trop-perçu de traitements, sur la période de janvier à juillet 2018, d'un montant de 7 055, 93 euros et de l'intervention consécutive d'une retenue sur son traitement du mois de juillet 2018.

Par un jugement n° 1806655 du 21 septembre 2020, rectifié par ordonnance du
22 octobre 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 et 27 novembre 2020,
30 décembre 2020, 29 janvier 2021 et les 6 septembre et 11 octobre 2022, M. C..., représenté en dernier lieu par la société d'avocats interbarreaux Sanguinède Di Frenna et associés, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 septembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 26 juin 2018 par laquelle le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire l'a informé d'un trop-perçu par lui, d'un montant de
7 055, 93 euros, et de l'intervention consécutive d'une retenue sur son traitement du mois de juillet 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la procédure suivie devant le tribunal est irrégulière, dès lors, d'une part, que le jugement a été rectifié par voie d'ordonnance, pour corriger une erreur qui n'est pas purement matérielle, une telle ordonnance étant entachée de fraude, d'autre part, que le tribunal s'est fondé sur les dispositions du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 qui n'étaient pas invoquées par l'administration et enfin, que par sa motivation, le jugement querellé prive le requérant d'un recours efficace contre la décision en litige, et ne répond pas à tous ses moyens ;
- la décision litigieuse, qui ne s'analyse pas comme une simple mesure comptable, mais comme une décision de récupération de sommes indument versées et donc comme imposant une sujétion, doit être motivée en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et ne l'est pas en l'espèce ;
- il avait droit, sur le fondement de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, au maintien de l'intégralité de son traitement pour la période du 31 octobre 2017, date de consolidation de sa maladie, au 1er juillet 2018, date de son admission à la retraite pour invalidité, dès lors que les arrêts de travail correspondants sont en lien direct et certain avec son accident de service du
18 décembre 2015, contrairement aux indications des décisions du 11 juin 2018, de sorte que la décision en litige méconnaît ces dispositions ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, son moyen tiré du défaut de prise en compte du report de ses droits à congé était suffisamment précis ;
- ont été méconnus les principes de sécurité juridique, d'impartialité et de
non-rétroactivité ;
- en se fondant essentiellement sur la date de consolidation de l'état de santé du demandeur, le tribunal a rendu une décision discriminatoire, en méconnaissance des articles 1 et 7 de la déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- son recours se fonde également sur l'article 1er et le titre XI bis de la Constitution, les articles 1, 20, 21 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi sur son préambule, les articles 15, 16 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et des citoyens et son préambule, les articles 2, 7, 8, 10 et 17 de la déclaration universelle des droits de l'homme et les articles 6, 13, 14 et 17 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que sur l'article 1er de son premier protocole additionnel.


Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2022, le garde des Sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête, en soutenant que les moyens d'appel ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :


1. M. C..., magistrat du siège exerçant les fonctions de vice-président du tribunal de grande instance de Marseille, a été victime le 17 décembre 2015 d'un accident qui a été reconnu imputable au service par une décision du 13 mai 2016. Par une décision du 14 juin 2018, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a fixé la date de consolidation de son état de santé au 31 octobre 2017, avec un taux d'incapacité partielle permanente de 35 %. Par arrêté du 31 décembre 2018, pris à sa demande, M. C... a été admis à la retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2018. Par une décision du 26 juin 2018, le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire l'a informé d'un trop-perçu par lui, d'un montant de
7 055, 93 euros, pour la période de janvier à juillet 2018, et de l'intervention consécutive d'une retenue sur son traitement du mois de juillet 2018. Par un jugement du 21 septembre 2020, rectifié par ordonnance du 22 octobre 2020, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la nature de la décision en litige :

2. Une requête dirigée contre un titre exécutoire ou un ordre de reversement relève, par nature, du plein contentieux. Il en va de même pour la requête dirigée contre la lettre par laquelle l'administration informe un fonctionnaire qu'une somme indument payée fera l'objet d'une retenue sur son traitement.

3. Par la décision en litige, le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire ne s'est pas borné, au nom du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et du procureur général près cette cour, à opérer une retenue sur la rémunération devant être servie à M. C... pour le mois de juillet 2018, mais a décidé la récupération auprès de l'intéressé de la somme de 7 055, 93 euros au titre d'un trop-perçu et l'a informé qu'à ce titre, cette somme ferait l'objet d'une retenue sur son traitement. Ainsi cette décision n'est pas seulement une mesure comptable, susceptible de recours pour excès de pouvoir, mais un ordre de reversement, dont M. C... demande l'annulation par un recours qui a donc la nature d'un recours de pleine juridiction.

Sur la légalité de la décision en litige :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.
A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 3° ...imposent des sujétions ; ".
L'article L. 211-5 du même code précise que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".



5. La décision par laquelle l'autorité administrative procède à la récupération de sommes indûment versées à un fonctionnaire au titre de ses traitements est au nombre des décisions imposant une sujétion et doit, par suite, être motivée en application de
l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en résulte qu'une telle décision doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. A ce titre, l'autorité administrative doit faire figurer dans la motivation de sa décision la nature de la prestation et le montant des sommes réclamées, ainsi que le motif et la période sur laquelle porte la récupération. En revanche, elle n'est pas tenue d'indiquer dans cette décision les éléments servant au calcul du montant de l'indu.

6. Si la décision litigieuse mentionne la nature de la créance détenue sur M. C..., son montant et la période au titre de laquelle elle est due, elle ne fait pas apparaître le motif pour lequel la récupération est ainsi décidée. Elle ne peut donc être regardée comme suffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions législatives citées au point 4 et doit être annulée pour ce premier motif.

7. D'autre part, aux termes de l'article 67 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout magistrat est placé dans l'une des positions suivantes : 1° En activité... " et que selon l'article 68 : " les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les positions ci-dessus énumérées s'appliquent aux magistrats dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles statutaires du corps judiciaire et sous réserve des dérogations ci-après ". L'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, qui n'est pas contraire aux règles statutaires du corps judiciaire et qui s'applique aux magistrats judiciaires, dispose, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ".

8. Il résulte des dispositions précitées qu'un agent qui n'est plus apte à reprendre son service à la suite d'un accident de service et auquel aucune offre de poste adapté ou de reclassement n'a été faite a droit à être maintenu en congé de maladie avec le bénéfice de son plein traitement, sans autre limitation que celles tenant à sa mise à la retraite ou au rétablissement de son aptitude au service.

9. Il résulte de l'instruction que si, par une décision du 14 juin 2018, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. C... au 31 octobre 2017, avec un taux d'incapacité partielle permanente de 35 %, ce n'est que par des décisions du 11 juin 2018 que cette autorité a déterminé le nombre de jours de congés de maladie de l'intéressé donnant lieu à versement de demi-traitements, en considération desquelles a été prise la mesure en litige. Par suite, la circonstance, non contestée, que
M. C... n'a pas remis en cause la légalité de cette décision du 14 juin 2018 demeure sans incidence sur la recevabilité de l'exception, qu'il doit être regardé comme ayant soulevée dès sa requête introductive de la présente instance, eu égard à l'argumentation qu'il y présente, et qu'il articule à l'encontre de ces mesures du 11 juin 2018.





10. Dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que, à la suite de son accident de service survenu le 17 décembre 2015, M. C... n'a plus été en mesure de reprendre son service jusqu'à son admission à la retraite, prononcée à compter du 1er juillet 2018 par arrêté du
3 décembre 2018 pris sur le fondement de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, il devait bénéficier de son plein traitement jusqu'au 1er juillet 2018. C'est donc en méconnaissance des dispositions législatives citées au point 7 que, pour décider par la décision en litige, de récupérer la somme de 7 055, 93 euros auprès de M. C..., le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire a considéré, sur la base des décisions du
11 juin 2018, que l'intéressé ne pouvait bénéficier de son plein traitement pour la période de janvier à juin 2018 inclus.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 juin 2018. Ce jugement et cette décision doivent donc être annulés.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance au bénéfice de M. C..., la somme de 2 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.










DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1806655 du tribunal administratif de Marseille du
21 septembre 2020, rectifié le 22 octobre 2020, et la décision du 26 juin 2018 par laquelle le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire a informé M. C... d'un trop-perçu de traitements, sur la période de janvier à juillet 2018, d'un montant de 7 055, 93 euros et de l'intervention consécutive d'une retenue sur son traitement du mois de juillet 2018, sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. C... la somme de 2 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022.
N° 20MA043072