CAA de NANTES, 6ème chambre, 24/01/2023, 22NT01181, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, devenu compétent par l'effet de la loi du 13 juillet 2018, d'annuler la décision du 18 février 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation.
Par un jugement n° 1905853 du 21 février 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 avril 2022, M. A..., représenté par Me Moumni, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 février 2022 ;
2°) d'ordonner une expertise médicale aux fins de vérifier si la baisse auditive qu'il présente est due ou non au vieillissement de l'infirmité pensionnée ou si elle est liée à l'âge ;
3°) d'annuler la décision du 18 février 2019 ;
4°) d'ordonner la révision de sa pension militaire d'invalidité ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- s'il justifie d'une perte auditive de 108,75 décibels à droite et de 100 décibels à gauche en produisant les résultats de ses derniers audiogrammes, l'aggravation auditive dont il se plaint est plus ancienne ;
- l'aggravation d'une affection liée au vieillissement justifie la révision d'une pension militaire d'invalidité ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors que le décret n° 2003-924 du 25 septembre 2003 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles annexé au livre IV du code de la sécurité sociale ne s'applique pas aux pensions militaires d'invalidité ;
- cette affection a nécessairement été contractée en période de guerre notamment en Algérie, en Tunisie et au Maroc.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Le mémoire présenté le 3 janvier 2023 pour M. A... n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., qui est né en 1929, a effectué sa carrière militaire dans l'Armée de Terre du 4 novembre 1949 au 1er décembre 1976. Il est bénéficiaire de plusieurs pensions militaires d'invalidité. Le 14 avril 2017, il a sollicité la révision pour aggravation de sa pension correspondant à l'infirmité : " hypoacousie bilatérale des deux côtés - audiogramme du 6 novembre 1986 - perte auditive oreille droite = 65 décibels - perte auditive oreille gauche = 70 décibels ". Il relève appel du jugement du 21 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 février 2019 de la ministre des armées rejetant sa demande.
Sur l'aggravation de l'hypoacousie bilatérale dont souffre M. A... :
2. Aux termes de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre en vigueur depuis le 1er janvier 2017 : "Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée (...). Toutefois l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée.".
3. Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
4. Dans son rapport du 12 juin 2018, l'expert oto-rhino-laryngologiste, qui a examiné M. A... le 29 décembre 2017, indique que l'hypoacousie bilatérale dont il souffre ne s'est pas aggravée par rapport aux examens figurant dans son dossier. Il ressort toutefois des résultats de l'audiogramme que ce médecin spécialisé a lui-même pratiqué, que l'intéressé présente, à cette date, une perte auditive de 108,75 décibels à droite et de 100 décibels à gauche, ce qui confirme les examens réalisés par le patient le 13 avril 2017, alors qu'à la date de l'attribution de sa pension sa perte auditive était de 65 décibels au niveau de l'oreille droite et de 70 décibels au niveau de l'oreille gauche. Ni cet expert, ni le médecin chef des pensions militaires d'invalidité n'ont évoqué une autre pathologie auditive qui serait liée à l'âge de l'intéressé. Pour rejeter la demande de révision présentée par M. A..., la ministre des armées s'est fondée sur le motif tiré de ce que cette infirmité pensionnée ne s'est en réalité pas aggravée, la baisse d'audition constatée ne pouvant, selon elle, être en relation avec l'accident de service dont il a été victime alors qu'il est radié des contrôles depuis plus de 40 ans. Elle invoque, sans toutefois le documenter, les connaissances médicales généralement admises qui reconnaissent le caractère stationnaire, voire régressif, des hypoacousies d'origine sono traumatique lorsque le sujet n'est plus soumis à des agressions sonores répétées. La ministre des armées ne justifie cependant pas de ces allégations alors que l'infirmité pensionnée relevait du régime de la présomption et que les constatations de l'expert montrent une évolution défavorable de la surdité de M. A.... Dans ces conditions, en l'absence d'éléments médicaux de nature à établir l'apparition d'une nouvelle pathologie, indépendante de l'infirmité pensionnée, liée uniquement au vieillissement, l'intéressé a droit à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " hyperacousie bilatérale" dont il souffre. Le taux d'invalidité de cette infirmité doit être porté à 100 %, à la date de sa demande présentée le 14 avril 2017.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur la liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. A... :
6. Le ministre des armées procédera à la liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. A... sur la base d'un taux de 100 % à compter du 14 avril 2017 pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale" dont il souffre.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905853 du tribunal administratif de Rennes en date du 21 février 2022 ainsi que la décision du 18 février 2019 de la ministre des armées sont annulés.
Article 2 : Le ministre des armées procédera à la liquidation de la pension militaire d'invalidité allouée à M. A... sur la base d'un taux de 100 % à compter du 14 avril 2017 pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale ".
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 janvier 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01181