CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 24/01/2023, 21TL21789, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :
1°) d'annuler la décision du 12 février 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Rodez a rejeté sa demande de prise en charge financière ;
2°) d'enjoindre au centre hospitalier de prendre en charge financièrement, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, les frais dentaires s'élevant à la somme de 14 061,92 euros qu'elle doit engager ;
3°) d'ordonner avant dire droit, à titre subsidiaire, une expertise judiciaire afin de se prononcer sur le lien de causalité entre sa maladie professionnelle et les soins dentaires qu'elle requiert ;
4°) de condamner le centre hospitalier à lui verser 5 000 euros en indemnisation de son préjudice moral ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Rodez une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Par un jugement n° 1902417 du 4 mars 2021, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision du 12 février 2019, enjoint au centre hospitalier de Rodez de prendre en charge au titre de la maladie professionnelle les frais de prothèses dentaires de Mme A... s'élevant à 14 061,92 euros, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, mis à la charge du centre hospitalier le versement à Mme A... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er mai 2021 sous le n° 21BX01789 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL21789, le centre hospitalier de Rodez, représenté par Me Poudampa, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 mars 2021 ;
2°) d'ordonner avant dire droit, à titre subsidiaire, une expertise médicale ayant pour mission de se prononcer sur le lien de causalité entre l'ostéoporose de la mâchoire de Mme A... et l'asthme bronchique reconnu comme maladie professionnelle ainsi que la pertinence des soins entrepris pour un montant de 14 061,92 euros ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux entiers dépens.
Il soutient que :
- la requête de Mme A... devant le tribunal administratif était tardive ;
- la décision contestée est parfaitement motivée et a été prise à l'issue d'une procédure contradictoire ;
- elle n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation compte tenu de l'absence de causalité entre la maladie professionnelle et les frais médicaux dont il est demandé la prise en charge ;
- il y aurait lieu de faire application de l'article R. 621-1 du code de justice administrative afin de s'assurer que les soucis dentaires de Mme A... n'ont pas pour origine une autre maladie que celle pour laquelle le caractère professionnel a été reconnu.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2021, Mme A..., représentée par Me Luciani, conclut au rejet de la requête, demande de confirmer le jugement du 4 mars 2021 et de mettre à la charge du centre hospitalier de Rodez le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- sa requête devant le tribunal administratif était recevable ;
- la requête en appel présentée par le centre hospitalier ne tend pas à l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé la décision du 12 février 2019 ;
- la décision contestée est dépourvue de toute motivation ;
- les droits de la défense ont été méconnus en ce que les conclusions de l'expert désigné en 2016 n'ont pas été soumises au contradictoire, entachant la procédure suivie d'irrégularité ; en outre, les pièces produites n'ont pas été prises en considération ;
- la décision est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle méconnaît la présomption d'imputabilité énoncée par l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;
- elle est fondée sur des faits matériellement inexacts et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par ordonnance du 11 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 2 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Poudampa, représentant le centre hospitalier de Rodez.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., qui exerçait en qualité d'infirmière au centre hospitalier de Rodez depuis 1976, a été admise à faire valoir ses droits à la retraite d'office pour invalidité à compter du 1er août 2009, après reconnaissance d'une maladie professionnelle par décision du 23 février 2007. Le 26 janvier 2016, elle a adressé au centre hospitalier une demande de prise en charge financière de prothèses dentaires qu'elle estimait en lien avec sa maladie professionnelle. Cette demande a été rejetée par décision du 18 juillet 2016. Mme A... a contesté la légalité de cette décision, qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1604563 du 10 janvier 2019, devenu définitif, au motif de l'incompétence de l'auteur de l'acte. Le 4 février suivant, l'intéressée a adressé au centre hospitalier une nouvelle demande ayant le même objet. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de la décision du 12 février 2019 par laquelle le centre hospitalier de Rodez a refusé de faire droit à sa demande. Par un jugement du 4 mars 2021 dont le centre hospitalier de Rodez relève appel, le tribunal a annulé cette décision et enjoint au centre hospitalier de prendre en charge au titre de la maladie professionnelle les frais de prothèses dentaires de Mme A... s'élevant à la somme de 14 061,92 euros.
Sur l'étendue des conclusions présentées par le centre hospitalier de Rodez :
2. En demandant l'annulation du jugement du 4 mars 2021 du tribunal administratif de Toulouse le condamnant à prendre en charge les frais de prothèses dentaires de Mme A... s'élevant à la somme de 14 061,92 euros, le centre hospitalier de Rodez doit être regardé, contrairement à ce que soutient Mme A..., comme demandant l'annulation de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du 12 février 2019 et lui a enjoint de prendre en charge au titre de la maladie professionnelle les frais de prothèses dentaires de Mme A... s'élevant à 14 061,92 euros.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 23 février 2007, l'asthme dont Mme A... est atteinte a été reconnu comme maladie professionnelle du tableau n°66 des maladies professionnelles. L'intéressée a sollicité le remboursement des prothèses dentaires rendues nécessaires par l'ostéoporose de la mâchoire qui lui a été causée par les traitements médicaux utilisés pour soigner ses problèmes respiratoires la première fois le 26 janvier 2016. Le centre hospitalier de Rodez a alors diligenté une expertise confiée au docteur C..., pneumologue. Selon le rapport de cet expert en date du 1er juillet 2016, si certaines pathologies de Mme A... sont en lien direct avec le traitement médicamenteux de la maladie professionnelle, impliquant que les soins médicaux y afférents doivent être à la charge du centre hospitalier, il a cependant estimé qu'aucun lien ne peut être établi entre le traitement dont bénéficie Mme A... pour soigner l'asthme dont elle souffre et l'apparition de problèmes dentaires. En effet, selon l'expert : " La corticothérapie a sans doute pu favoriser une ostéoporose postménopausique. La répercussion au niveau dentaire semble peu probable et le rôle de l'Actonel est non probable ", ajoutant que " d'autre part la nécessité de la corticothérapie ne peut pas être attribuée en totalité à l'asthme professionnel, la responsabilité des produits de désinfection n'étant plus en cause actuellement dans l'évolution de cet asthme, l'asthme professionnel ayant seulement pu servir de révélateur d'une hyperréactivité bronchique préexistante compte-tenu de l'allergie constatée et d'épisodes antérieurs de bronchites à répétition ". Les certificats médicaux produits par Mme A... émanant de son médecin traitant, notamment ceux établis les 6 octobre 2010, les 17 septembre 2012 et 10 mars 2017, se bornent à retenir " un lien possible " entre " le déchaussement dentaire " et " Actonel et corticoïdes, et donc avec les traitements de l'allergie respiratoire de long cours " et que le traitement subi " semble avoir provoqué une ostéoporose de la mâchoire, avec caries accélérées ". Eu égard aux termes dans lesquels ils sont rédigés se limitant à évoquer un lien hypothétique, ni les certificats médicaux produits, ni les autres pièces concernant de la littérature médicale et des notices des médicaments qui sont ou ont été prescrits à Mme A..., ne permettent d'établir un lien de causalité direct et certain entre les traitements employés pour soigner l'asthme contracté en service et l'apparition d'une ostéoporose de la mâchoire et de caries, rendant nécessaire la pose de prothèses dentaires.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions énoncées à l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière pour annuler la décision du 12 février 2019 du directeur du centre hospitalier de Rodez.
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif.
Sur les autres moyens soulevés en première instance :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; (...) ".
8. Mme A... soutient que la décision du 12 février 2019 se borne à faire état du rapport d'expertise du docteur C..., sans prendre en compte les pièces qu'elle avait produites à l'appui de sa demande. Il ressort cependant des termes de la décision contestée, laquelle a été prise à la suite de l'annulation de la précédente décision du 18 juillet 2016 par jugement n° 1604563 du 10 janvier 2019 du tribunal administratif de Toulouse au seul motif de l'incompétence de l'auteur de l'acte, qu'elle énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, permettant à l'intéressée de connaître les raisons pour lesquelles sa demande a été rejetée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, Mme A... ne saurait sérieusement soutenir que le rapport de l'expert n'a pas été porté à sa connaissance avant l'édiction de la décision du 12 février 2019, alors qu'ainsi qu'il vient d'être rappelé cette décision a été prise à la suite de l'annulation de la décision du 18 juillet 2016 qui avait le même objet et que l'intéressée a été en mesure de présenter ses observations à l'encontre du rapport d'expertise du 1er juillet 2016 à tout le moins dans le cadre de la précédente instance n° 1604563 devant le tribunal administratif de Toulouse. Le moyen tiré de la violation des droits de la défense doit dès lors être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale : " (...) Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) ". Mme A... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de ces dispositions qui instituent une présomption d'imputabilité professionnelle des maladies désignées dans l'un des tableaux, à l'encontre de la décision lui refusant la prise en charge du coût de ses prothèses dentaires, en l'absence de lien de causalité directe entre la pose de ces appareillages et sa maladie professionnelle.
11. En dernier lieu, il y a lieu d'écarter, pour les motifs énoncés au point 4, les moyens tirés de l'inexactitude matérielle des faits qui fondent la décision contestée et de l'erreur manifeste d'appréciation dont elle serait entachée, en l'absence de lien de causalité directe entre la pose de prothèses dentaires et la maladie professionnelle de Mme A....
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale et de statuer sur la fin de non recevoir opposée à la demande de première instance, que le centre hospitalier de Rodez est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 12 février 2019 par laquelle il a refusé de prendre en charge les frais de prothèses dentaires de Mme A....
Sur les frais de l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Rodez, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Celle-ci ne justifie pas avoir engagé, dans la présente instance, des frais mentionnés à l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier aux entiers dépens ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... la somme que demande le centre hospitalier de Rodez sur le fondement des mêmes dispositions. Celui-ci ne justifie pas avoir engagé, dans la présente instance, des frais mentionnés à l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, ses conclusions, tendant à la condamnation de Mme A... aux entiers dépens ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1902417 du 4 mars 2021 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier de Rodez et de Mme A... présentées au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Rodez et à Mme B... A....
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°21TL21789 2