CAA de LYON, 3ème chambre, 25/01/2023, 21LY00628, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon :
1°) d'annuler la décision du 5 avril 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier ... a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie ;
2°) d'enjoindre au directeur du centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or, à titre principal, de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie et d'en tirer toutes les conséquences de droit ou, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1902371 du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du directeur du centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or du 5 avril 2019, enjoint au centre hospitalier de prendre une décision de reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de Mme B..., dans un délai de deux mois, et a mis à la charge de cet établissement une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er mars 2021 et deux mémoires enregistrés le 6 décembre 2021 et le 23 mai 2022, le centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or, représenté par Me Renouard, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 7 janvier 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Dijon ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la pathologie de l'intéressée ne présente pas de lien direct et certain avec le service, dès lors qu'elle tient à sa personnalité et est par suite détachable du service ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés ;
- à supposer même le moyen tiré de l'erreur de droit fondé, une substitution de motifs pourra être opérée, la pathologie de l'intéressée ne présentant pas de lien direct et certain avec le service.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 15 juillet 2021 et le 15 février 2022, Mme B..., représentée par Me Tronche (SCP CGBG), avocat, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge du centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés et réitère ses autres moyens soulevés en première instance.
Par ordonnance du 12 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sophie Corvellec, première conseillère,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Brendel, avocate, représentant le centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or, et de Me Tronche, avocat, représentant Mme B... ;
Une note en délibéré, enregistrée le 12 janvier 2023, a été présentée pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or relève appel du jugement du 7 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de son directeur du 5 avril 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B..., alors assistante médico-administrative.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...). 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. (...) Si la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les périodes fixées ci-dessus sont respectivement portées à cinq ans et trois ans (...) ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. Mme B... a été recrutée en 1992 par l'hôpital local F..., depuis devenu centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or, d'abord comme aide-soignante puis, à la suite d'un accident de service qui lui a causé une invalidité de 21 % et a justifié sa reconversion professionnelle, comme adjointe administrative hospitalière puis, à compter de 2011, comme assistante médico-administrative en charge de tâches de secrétariat médical. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de l'inspection du travail du 11 octobre 2018, que son poste d'assistante médico-administrative a régulièrement évolué et qu'à compter du mois d'avril 2013, elle a été chargée de la coordination des secrétariats médicaux des cinq établissements du centre hospitalier. Elle s'est pleinement investie dans cette mission, jusqu'à ce que celle-ci soit supprimée, au mois de mai 2015. Elle a alors été affectée comme secrétaire dans deux de ces sites. Compte tenu d'un manque d'effectifs et de la distance séparant les différents établissements du centre hospitalier, elle a ainsi assumé une importante charge de travail et de nombreux déplacements, outrepassant les restrictions préconisées par le médecin du travail le 7 juillet 2011. Alors que le projet de l'affecter dans un seul établissement du centre hospitalier venait d'être abandonné, Mme B... a été arrêtée à compter du 14 janvier 2016 par son médecin traitant pour pathologie psychique, de type épuisement professionnel ou dépression.
5. S'il est ainsi établi qu'à compter de 2013, Mme B... a connu des conditions de travail difficiles, il ressort toutefois du rapport d'examen psychiatrique établi le 5 janvier 2017 par le Pr G..., expert près la cour d'appel de Dijon, qui relève que " dans le discours de Mme B..., il n'est pas question d'un excès de travail qui l'aurait mise en difficulté " et évoque " une quête de reconnaissance " et " une profonde insatisfaction " de l'intéressée, que le syndrome anxio-dépressif dont elle souffre n'est pas lié à cette charge de travail, mais à la remise en cause des responsabilités qui lui avaient été confiées en tant que coordinatrice des secrétariats médicaux et à un manque de reconnaissance de son implication professionnelle. Ce rapport n'est pas utilement contredit, à cet égard, par celui établi le 8 septembre 2016 par le Dr A..., psychiatre, lequel ne rapporte aucun propos de l'intéressée relatif à cette charge de travail, mais laisse apparaître que sa pathologie s'est développée à compter de mai 2015, alors qu'elle était affectée " au même niveau de responsabilité que les gens qu'elle a encadrés pendant deux ans ". Cette analyse est par ailleurs corroborée par les premiers constats opérés par son médecin traitant qui, dans une attestation établie le 13 octobre 2016, a indiqué qu'elle avait alors " ressenti une dévalorisation de son activité " à la suite d'une modification brutale de son poste de travail, ainsi que par l'expertise réalisée le 26 novembre 2016 par le Dr D..., psychiatre, qui mentionne qu' " elle se présente comme hyperactive " et " a été blessée par le fait de se retrouver en mai 2015 (...) auprès d'agents qu'elle avait plus ou moins formés ", qu'elle a " un sentiment d'injustice " et est " dévalorisée " et par les constats du Dr C..., psychiatre, du 26 septembre 2017, évoquant son " parcours professionnel " dans lequel elle se sent " déclassée voire désavouée ", des " ruminations incessantes " et " un sentiment de dévalorisation ". Ainsi, et alors même que certaines font par ailleurs état de la charge de travail et des nombreux déplacements qui lui incombaient, il résulte de l'ensemble de ces pièces médicales que le syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme B... n'est pas lié à ses conditions de travail mais à des traits de sa personnalité, détachables du service.
6. Il suit de là que le centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a, pour annuler la décision de son directeur du 5 avril 2019, retenu le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par celui-ci en écartant l'existence d'un lien direct entre la pathologie de Mme B... et l'exercice de ses fonctions.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif de Dijon que devant la cour.
8. En premier lieu, selon l'article 3 de l'arrêté 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " Cette commission comprend : 1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s'il y a lieu, pour l'examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes ; 2. Deux représentants de l'administration ; 3. Deux représentants du personnel (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par un agent est nécessaire pour éclairer l'examen de son cas, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision litigieuse.
9. Il est constant que, outre le rapport précis du Pr G... visé dans son avis, la commission de réforme a notamment disposé des rapports des Dr A... et D..., tous deux psychiatres, pour se prononcer sur la demande de Mme B.... Nonobstant les appréciations divergentes que peuvent comporter certains de ces rapports, il n'est, dès lors, pas manifeste que la participation d'un psychiatre à la séance de la commission était en outre nécessaire. Par suite, l'absence d'un tel spécialiste n'a pas été de nature à entacher la consultation de la commission de réforme d'irrégularité.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière : " Le médecin du travail attaché à l'établissement auquel appartient le fonctionnaire dont le cas est soumis au comité médical ou à la commission départementale de réforme des agents des collectivités locales (...) remet obligatoirement un rapport écrit dans les cas prévus aux articles 16, 21, 23 et 32 ". Sont notamment concernées les demandes tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service d'un accident ou d'une maladie.
11. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.
12. Il est constant que la commission de réforme n'a pas disposé, pour l'examen de la demande de Mme B..., d'un rapport du médecin du travail, pourtant obligatoire. Toutefois, et comme indiqué au point 9, elle a disposé, à cette fin, de trois rapports médicaux de spécialistes en psychiatrie, dont l'un, établi par le Pr G..., décrivait précisément la carrière et les conditions de travail de l'intéressée. Ces dernières, notamment sa charge de travail et les déplacements requis, ont également fait l'objet d'un rapport détaillé de l'inspection du travail daté du 11 octobre 2018, et, sans que cela ne soit contesté, soumis à la commission. Par suite, et dans la mesure où le rapport du médecin du travail tend à éclairer la commission quant aux conditions et à l'environnement de travail de l'agent, l'absence d'un tel rapport, qui n'a pas affecté la compétence de l'auteur de la décision en litige, n'a pas davantage été de nature, dans les circonstances particulières de l'espèce, à priver Mme B... d'une garantie, ni à exercer une influence sur le sens de la décision en litige. Le moyen tiré de ce vice de procédure doit donc être écarté.
13. En dernier lieu, si la décision litigieuse reprend les conclusions du rapport du Pr G..., qui écarte l'existence d'un lien " direct, certain et exclusif " entre la pathologie de Mme B... et l'exercice de ses fonctions, et suit l'avis de la commission de réforme, également émis au vu de ce même rapport, il ne résulte pour autant ni des motifs de la décision en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier que le directeur du centre hospitalier se serait, à tort, fondé sur le défaut de lien exclusif entre la pathologie de Mme B... et le service pour rejeter sa demande. Le moyen tiré d'une telle erreur de droit manque en fait et doit être écarté.
14. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé
la décision de son directeur du 5 avril 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B... et lui a enjoint de prendre une décision de reconnaissance de l'imputabilité au service de cette pathologie.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme B.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le paiement des frais exposés par le centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 7 janvier 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Dijon et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de la Haute Côte-d'Or et à Mme E... B....
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2023.
La rapporteure,
Sophie CorvellecLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY00628