CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 23/03/2023, 21BX00504, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Fort-de-France d'annuler la décision du 20 juin 2018 par laquelle la ministre des armées a fixé sa pension militaire d'invalidité au taux de 100 % + 10 ° à titre définitif à compter du 20 septembre 2013, en ce qu'elle a rejeté sa demande relative à l'infirmité d'hypoacousie bilatérale, d'enjoindre à la ministre de lui accorder une pension militaire d'invalidité pour cette infirmité ou à défaut de réexaminer sa demande, et à titre subsidiaire d'ordonner une expertise avant dire droit.
L'affaire a été transmise au tribunal administratif de la Martinique en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018.
Par un jugement n° 2000142 du 22 décembre 2020, ce tribunal a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 février 2021 et des mémoires enregistrés
les 21 janvier, 23 février et 11 avril 2022, M. B..., représenté par Me Uzan Kaufmann, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 20 juin 2018 en ce qu'elle a rejeté sa demande relative
à l'infirmité d'hypoacousie bilatérale ;
3°) d'ordonner si besoin une nouvelle expertise avant dire droit ;
4°) d'enjoindre au ministre des armées de lui accorder une pension au taux de 10 % pour cette infirmité, ou à titre subsidiaire de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'hypoacousie bilatérale retenue par l'expert correspond à la " dureté des deux oreilles " du guide barème de 1915, dont il est fondé à demander l'application en vertu des dispositions de l'article L. 125-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; c'est à tort que le tribunal a refusé d'appliquer le guide barème de 1915 au motif que le diagnostic de dureté des deux oreilles ne ressortait pas du dossier ;
- l'expert a conclu que l'infirmité d'hypoacousie ne s'était pas améliorée ; compte tenu des mauvaises conditions dans lesquelles l'audiogramme a été réalisé, il a retenu un taux
de 10 % malgré une perte d'acuité auditive de 33,75 dB à droite et 38,75 dB à gauche correspondant à un taux de 5 % ; le " 11 " novembre 2017, la commission de réforme a réalisé un nouvel audiogramme montrant une perte de 56,25 dB à droite et 53,75 dB à gauche et a conclu à un taux d'invalidité de 15 % au constat que l'infirmité ne s'était pas améliorée ; cette absence d'amélioration est confirmée par l'audiogramme du 17 octobre 2016 objectivant une perte de 36,25 dB à droite et 40 dB à gauche, réalisé au centre médical interarmées dans le cadre de son engagement dans la réserve opérationnelle ; il est d'ailleurs appareillé de façon bilatérale depuis 2012, et le refus de reconnaître l'hypoacousie au taux de 10 % le prive de la prise en charge de l'appareillage par la CNMSS ;
- contrairement à ce qu'affirme l'administration, il est médicalement établi qu'une hypoacousie d'origine post-traumatique peut s'aggraver avec le temps ;
- à titre subsidiaire, si la cour ne s'estimait pas convaincue, il conviendrait d'ordonner une expertise compte tenu des résultats discordants des audiogrammes des 24 juin 2016
et " 11 " novembre 2017.
Par des mémoires en défense enregistrés le 28 décembre 2021 et les 11 février
et 25 mars 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'infirmité " hypoacousie bilatérale - perte auditive moyenne oreille droite : 35 dB - perte auditive moyenne oreille gauche : 40 dB " a été pensionnée au taux de 10 % pour une première période allant du 20 septembre 2010 au 19 septembre 2013 ; comme l'ont relevé l'avis du médecin chargé des pensions militaires du 29 juillet 2016 et l'avis de la commission consultative médicale du 19 avril 2018, les pertes auditives de 33,75 dB à droite et 38,75 dB à gauche correspondent à un taux de 5 % au guide barème, et non de 10 % comme l'a retenu l'expert, ce qui caractérise une amélioration par rapport au taux antérieur de 10 % ainsi que
l'a retenu la commission dans son avis du 31 mai 2018 ;
- le barème de 1915 dont se prévaut M. B... a été établi au regard d'évaluations empiriques avant l'existence de l'audiométrie, de sorte que comme l'a retenu le tribunal, l'infirmités de " dureté des deux oreilles " qu'il prévoit ne correspond pas exactement
à celle d'" hypoacousie bilatérale " ;
- les audiogrammes réalisés après le 20 septembre 2013 ont révélé des pertes auditives moyennes de 33,75 dB à droite et 38,75 dB à gauche le 22 juin 2016, de 36,25 dB à droite
et de 40 dB à gauche le 17 octobre 2016, et de 56,25 dB à droite et 53,75 dB à gauche
le 11 novembre 2017 ; alors que l'audiogramme du 22 juin 2016 montrait sans contestation possible que l'hypoacousie n'était plus indemnisable, l'aggravation ultérieure, survenue alors que l'intéressé n'a pas été exposé à un nouveau traumatisme sonore, n'est pas imputable au service.
Par ordonnance du 24 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 avril 2022.
Un mémoire présenté par le ministre des armées a été enregistré le 19 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., militaire de carrière radié des cadres le 31 août 2014, était titulaire à compter du 20 septembre 2010 d'une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % + 13 ° pour plusieurs infirmités résultant de blessures par l'explosion d'un obus de mortier lors d'une opération extérieure en Afghanistan le 18 septembre 2010, dont un " blast " auriculaire bilatéral. Le 16 avril 2015, il a sollicité le renouvellement de cette pension en ce qu'elle était provisoire pour les infirmités d'acouphènes bilatéraux et d'hypoacousie bilatérale. Par une décision
du 20 juin 2018, la ministre des armées lui a concédé une pension au taux de 100 % + 10 ° à titre définitif à compter du 20 septembre 2013 en incluant l'infirmité d'acouphènes au taux
de 10 %, mais en rejetant la demande relative à l'hypoacousie. M. B..., qui est appareillé de façon bilatérale depuis 2012, a contesté ce rejet partiel devant le tribunal des pensions militaires de Fort-de-France, et la procédure a été transmise au tribunal administratif de la Martinique en application de la loi du 13 juillet 2018 susvisée. M. B... relève appel du jugement
du 22 décembre 2020 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de pension : " Ouvrent droit à
pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; (...). " Aux termes de l'article L. 8 de ce code : " La pension temporaire est concédée pour trois années. Elle est renouvelable par périodes triennales après examens médicaux. / Au cas où la ou les infirmités résultent uniquement de blessures, la situation du pensionné doit, dans un délai de trois ans, à compter du point de départ légal défini à l'article L. 6, être définitivement fixée soit par la conversion à un taux supérieur, égal ou inférieur au taux primitif, de la pension temporaire en pension définitive, sous réserve toutefois de l'application de l'article L. 29, soit, si l'invalidité a disparu ou est devenue inférieure au degré indemnisable par la suppression de toute pension. / (...). "
3. Il ressort des pièces du dossier que l'expertise réalisée le 22 juin 2016 dans le cadre de l'instruction de la demande a conclu à une perte auditive moyenne de 33,75 dB à droite
et 38,75 dB à gauche, ce qui correspond à un taux de 5 % au guide barème, sur la base d'un audiogramme réalisé dans de mauvaises conditions de nature à mettre en cause la fiabilité de ses résultats. Dans le cadre de son engagement à servir dans la réserve opérationnelle, M. B... a bénéficié quelques mois plus tard, le 17 octobre 2016, d'un nouvel audiogramme qui a fait apparaître des pertes auditives de 36,25 dB à droite et 40 dB à gauche, justifiant un taux de 10 % au guide barème. Par lettre du 27 octobre 2016, il a sollicité une contre-expertise, et le 10 novembre 2017, après avoir réalisé le même jour un audiogramme montrant des pertes auditives de 56,25 dB à droite et 53,75 dB à gauche, la commission de réforme des pensions militaires d'invalidité a émis un avis non conforme à la proposition de l'administration de retenir une hypoacousie non indemnisable au taux de 5 %. Dans ces circonstances, et alors qu'une hypoacousie provoquée par un traumatisme peut s'aggraver sans traumatisme ultérieur par l'effet du vieillissement, la ministre des armées ne pouvait déduire des résultats du seul audiogramme du 22 juin 2016, en contradiction avec l'aggravation progressive de l'hypoacousie mise en évidence par tous les autres examens réalisés depuis l'accident du 18 septembre 2010, que l'infirmité pensionnée au taux de 10 % s'était améliorée pour devenir inférieure à ce taux.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens
de la requête, que la décision du 20 juin 2018 doit être annulée en tant qu'elle a rejeté
la demande relative à l'infirmité d'hypoacousie bilatérale, et qu'il doit être enjoint au ministre des armées de concéder à M. B... un droit à pension définitif au taux de 10 % à compter
du 20 septembre 2013 pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale - perte auditive moyenne oreille droite : 36,25 dB - perte auditive moyenne oreille gauche : 40 dB ".
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision de la ministre des armées du 20 juin 2018 en tant qu'elle a rejeté la demande de M. B... relative à l'infirmité d'hypoacousie bilatérale et le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 2000142 du 22 décembre 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de concéder à M. B... un droit à pension définitif au taux de 10 % à compter du 20 septembre 2013 pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale - perte auditive moyenne oreille droite : 36,25 dB - perte auditive moyenne oreille gauche : 40 dB ".
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 28 février 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX00504