CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 01/06/2023, 21BX02303, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision01 juin 2023
Num21BX02303
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Anne MEYER
CommissaireMme GALLIER
AvocatsSHBK AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 26 avril 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Saintonge a rejeté sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service d'un accident du 13 juin 2018 et d'enjoindre au centre hospitalier de la placer en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 13 juin 2018, ainsi que de procéder à la reconstitution de sa carrière et au versement des rappels indemnitaires dus, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Par un jugement n° 1901545 du 30 mars 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 mai 2021, Mme B..., représentée par Me Sutre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du directeur du centre hospitalier de Saintonge
du 26 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre au centre hospitalier de Saintonge de la placer en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 13 juin 2018 et de procéder à la reconstitution de sa carrière et au versement des rappels indemnitaires dus ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintonge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- elle a déposé sa déclaration d'accident du travail dans le délai de quinze jours prévu à l'article 47-3 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ; contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la mention ou non d'un tiers responsable sur l'arrêt de travail est sans
incidence sur l'imputabilité au service de l'accident, et au demeurant, le certificat médical
du 19 décembre 2018 précise qu'elle présentait un état de sidération morale ;
- la déclaration d'accident du travail fait référence à un choc psychologique subi pendant et à l'issue d'un entretien professionnel, un médecin a constaté que son état nécessitait un arrêt de travail, l'expert désigné par l'administration a conclu à une relation directe et exclusive de sa pathologie avec les faits en cause, et la commission départementale de réforme, qui a en outre tenu compte d'un rapport du médecin de prévention du 29 octobre 2018, a émis un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le choc qu'elle a subi n'était pas en lien avec la baisse de notation, notifiée postérieurement à l'entretien et par écrit, mais avec les propos tenus par le cadre de santé ; alors qu'il appartenait à l'administration d'apporter la preuve de circonstances particulières permettant de faire échec à la présomption d'imputabilité de l'accident survenu dans le temps et sur le lieu du service, le tribunal a " inversé la charge de la preuve " en jugeant qu'il ne ressortait d'aucun élément que les propos tenus par le cadre de santé auraient été caractérisés par leur violence ou leur agressivité, ou qu'ils auraient revêtu un caractère insultant ou humiliant ;
- les conditions d'agressivité dans lesquelles l'entretien a eu lieu montrent une volonté délibérée de la placer dans une position lui interdisant tout commentaire et toute défense ; elle a été verbalement agressée, aucune des observations défavorables ne lui avait été antérieurement opposée, et les griefs étaient préparés avant l'entretien, lequel a été mené à charge ; des reproches infondés lui ont été faits pour lui indiquer qu'un autre poste devrait être envisagé ; son état de choc à l'issue de l'entretien est attesté par plusieurs témoignages, et elle n'a pas été seule à faire l'objet d'un tel traitement inacceptable par le même cadre de santé ; une psychologue du centre hospitalier atteste que le cadre de santé pratique un management par la peur et l'insécurité ; ainsi, il doit être fait droit à l'ensemble de ses demandes.

Par des mémoires en défense enregistrés le 22 décembre 2021 et le 14 octobre 2022, le centre hospitalier de Saintonge, représenté par la société SHBK Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- la requête d'appel est insuffisamment motivée ;
- dès lors que l'intitulé des pièces ne correspond pas aux pièces versées, celles-ci doivent être écartées des débats ;
- les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bousquet, représentant Mme B....


Considérant ce qui suit :


1. Mme B..., infirmière titulaire affectée au centre médico-psychologique (CMP) de Saintes relevant du centre hospitalier de Saintonge, placée en arrêt de travail à compter
du 14 juin 2018, a déposé une déclaration d'accident du travail pour un syndrome anxio-dépressif consécutif à des violences psychologiques subies le 13 juin 2018 lors de son entretien annuel d'évaluation. Par une décision du 26 avril 2019, le directeur du centre hospitalier a refusé de reconnaître un accident imputable au service et l'a placée en congé de maladie ordinaire
à compter du 14 juin 2018. Mme B... relève appel du jugement du 30 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / (...)."

3. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service. Constitue un accident de service un évènement, quelle que soit sa nature, survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.

4. Il ressort des pièces du dossier que la fermeture de lits d'hospitalisation en psychiatrie a conduit le centre hospitalier de Saintonge à développer les soins ambulatoires, notamment par un renforcement du personnel et une réorganisation du travail dans les CMP, afin d'améliorer l'accueil du public en proposant rapidement un premier rendez-vous. La nouvelle organisation du travail au CMP de Saintes comportait la mise en place systématique, à partir de juillet 2017, d'un entretien d'accueil infirmier, dit entretien de première intention, pour toute nouvelle personne demandant à consulter, destiné à évaluer la demande et la nature de la réponse devant être apportée. La répartition des entretiens entre les infirmiers était assurée au moyen d'un agenda informatique partagé sur lequel chacun devait proposer des plages horaires, permettant ainsi à l'agent chargé de l'accueil téléphonique d'attribuer les rendez-vous. Le 9 février 2018, le cadre de santé dont relevait Mme B... lui a demandé pourquoi elle n'avait pas renseigné l'agenda partagé depuis quatre semaines, et elle lui a répondu qu'il lui fallait du temps pour s'adapter au changement et qu'elle trouvait l'outil informatique compliqué, tout en refusant l'aide proposée par son supérieur hiérarchique. Ce dernier l'a avertie que si elle n'utilisait pas cet outil et ne réalisait pas d'entretiens de première intention, elle devrait revoir son projet professionnel et quitter le CMP, et lui a en outre demandé d'organiser plus efficacement son temps de travail en commençant ses entretiens à 9 heures 30, afin de recevoir au moins deux patients le matin et autant l'après-midi. Le 10 avril 2018, alors que deux de ses collègues étaient absentes pour maladie, Mme B... s'étant plainte d'un doublement de sa charge de travail l'ayant conduite à recevoir quatre patients dans la journée, le cadre de santé lui a fait observer qu'il s'agissait du minimum réalisé par ses collègues, et qu'il souhaitait s'entretenir avec elle à ce sujet.

5. L'entretien professionnel a été réalisé le 13 avril 2018 dans le contexte exposé au point précédent, alors que, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme B... avait été avertie à deux reprises de ce que son implication dans son travail n'apparaissait pas satisfaisante. Il ressort du compte-rendu de cet entretien, produit en première instance, qu'il a été reproché
à Mme B... de ne pas avoir renseigné les agendas partagés, d'avoir réalisé trop peu d'entretiens infirmiers de première intention (11 en 11 mois), et de ne pas avoir tenu compte des remarques concernant une organisation plus optimale de ses missions. L'évaluateur a conclu en lui conseillant de changer de service, dès lors qu'elle ne parvenait pas à s'adapter au changement d'organisation au CMP et que son expérience lui permettrait d'encadrer de nouveaux professionnels dans les unités intra-hospitalières. Si l'entretien a été conduit, comme
il est d'usage, sur la base d'un document préparé par l'évaluateur, il ne peut en être déduit que Mme B... aurait été placée " dans une position lui interdisant tout commentaire et toute défense ", alors qu'elle a quitté l'entretien de sa propre initiative sans signer le compte-rendu, et sans porter d'observations dans l'espace réservé à cet effet. Ce bilan, tel que présenté par l'évaluateur, n'est pas contredit par les pièces produites en première instance par Mme B..., lesquelles se bornent à rapporter qu'elle a été très affectée par l'entretien et à énoncer, en ce qui concerne le comportement de l'évaluateur, des généralités caractérisant davantage une incompréhension du rôle de l'encadrement de la part des auteurs des attestations qu'une attitude inappropriée du cadre de santé. Les reproches figurant dans le compte-rendu d'entretien n'apparaissent pas infondés, et la circonstance que Mme B... les a ressentis comme une agression n'est pas de nature à caractériser un comportement ou des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lesquels ne ressortent pas des pièces du dossier. Par suite, et alors même que la commission de réforme a émis un avis favorable, cet entretien ne peut être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de
non-recevoir opposée en défense, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

7. Mme B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à sa charge au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Saintonge à l'occasion du présent litige.


DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Saintonge au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... épouse B... et au centre hospitalier de Saintonge.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023.

La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX02303