CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 20/06/2023, 21TL02308, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 28 janvier 2019 qui lui concède une pension militaire d'invalidité, en tant qu'il ne lui accorde qu'un taux de 15% au titre de l'infirmité de la cheville gauche et ne lui accorde pas de pension au titre des acouphènes et de la baisse d'audition de l'oreille gauche, d'ordonner une expertise médicale et de mettre à la charge de l'Etat les dépens et une somme de 4 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 1905782 du 16 avril 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 juin 2021 sous le n° 21MA02308 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL02308, et un mémoire enregistré le 19 mai 2022, M. B... A..., représenté par la SELARL MDMH agissant par Me Moumni, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 avril 2021 ;
2°) d'ordonner avant-dire droit une expertise judiciaire aux fins de se prononcer sur le lien d'imputabilité au service des affections auditives et déterminer le taux d'invalidité subi, et sur l'aggravation de son infirmité concernant la blessure à la cheville et corriger le taux d'invalidité ;
3°) d'annuler l'arrêté n° A016 du 28 janvier 2019 ;
4°) de réformer la décision du 19 février 2019 en tant qu'elle ne lui accorde qu'un taux de 15% au titre de l'infirmité de la cheville gauche et qu'elle rejette sa demande de pension au titre des acouphènes et de la baisse d'audition de l'oreille gauche ;
5°) de lui attribuer une pension au taux de 35% ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi que la somme de 3 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il n'apportait pas de preuves suffisantes s'agissant d'une part, du taux pour l'invalidité relative à sa cheville gauche et, d'autre part, de l'imputabilité concernant l'invalidité relative aux acouphènes et à la surdité ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation s'agissant de l'infirmité relative aux entorses récidivantes de la cheville gauche au regard des importantes séquelles dont il reste atteint à la suite de sauts en parachute ; il apporte la preuve de la gravité de l'aggravation des entorses ; il a été contraint d'arrêter la course, la randonnée et la natation compte-tenu de ses souffrances quotidiennes ; le taux de 15% attribué est sous-évalué ; l'expertise menée n'était pas adéquate ;
- le jugement est également entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation s'agissant de l'imputabilité au service des acouphènes et de l'atteinte auditive qui doit être reconnue dès lors qu'il a été exposé à de nombreux et violents bruits sonores d'une extrême intensité, lui occasionnant nécessairement des séquelles auditives : il a participé quotidiennement à des entraînements et exercices de tirs de munition puissants ainsi que des manipulations d'explosifs et de nombreuses missions effectuées dans des conditions extrêmes ; l'administration n'établit pas la preuve contraire à l'imputabilité des affections dont il souffre ; ces deux infirmités étant liées, un taux d'invalidité de 35% aurait dû lui être accordé ;
- une expertise avant-dire droit permettrait d'évaluer de manière fiable et certaine, contradictoire et impartiale les infirmités dont il reste atteint, leur taux et leur imputabilité.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 avril 2022 et le 12 juillet 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- concernant l'infirmité " Entorses récidivantes de la cheville gauche. Raideur de la cheville gauche avec pied équin ", les certificats médicaux établis par le médecin généraliste du requérant, qui n'a effectué aucun examen médical contrairement à l'expert désigné, ne sont pas de nature à démontrer que le taux déterminé par ce dernier serait sous-estimé et à remettre en cause le jugement contesté ;
- concernant les affections auditives, aucune pièce médico-administrative ne démontre que M. A... aurait subi des traumatismes sonores entre 2005 et 2010 ; en vertu des articles L. 9 et L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre applicables à l'espèce, la demande du requérant relative au regroupement de ses acouphènes et de sa surdité doit être rejetée ; en tout état de cause, le certificat médical du 7 juin 2012 fait état d'une " surdité brusque gauche type hydrops " susceptible de correspondre à une maladie de Ménière et par nature étrangère au service ; ainsi, les troubles auditifs du requérant sont sans relation avec un fait précis de son service mais résultent d'une maladie sans lien avec celui-ci.
Par ordonnance du 20 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 11 novembre 1973, qui a servi dans l'armée de terre du 1er octobre 1997 au 31 décembre 2012, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité concédée par arrêté n° A016 du 28 janvier 2019 au taux de 15% prenant effet au 28 mars 2014, au titre de l'infirmité " Entorses récidivantes de la cheville gauche. Raideur de la cheville gauche avec pied équin ". En revanche, ses autres infirmités concernant des acouphènes permanents et une baisse de l'audition de l'oreille gauche, dont il a demandé la prise en compte dans sa demande de pension du 28 mars 2014, ont été estimées comme n'étant pas imputables au service par défaut de preuve et de présomption. M. A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 28 janvier 2019 qui lui concède une pension militaire d'invalidité, en tant qu'il ne lui accorde qu'un taux de 15% au titre de l'infirmité de la cheville gauche et ne lui accorde pas de pension au titre des acouphènes et de la baisse d'audition de l'oreille gauche et d'ordonner une expertise médicale. Par un jugement du 16 avril 2021 dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes. Il demande que lui soit attribuée une pension militaire d'invalidité au taux de 35%.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de pension, la pension militaire d'invalidité est attribuée sur demande de l'intéressé et son entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. Aux termes de l'article L. 2 du même code : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. (...) ". L'article L. 9 de ce code renvoie à un décret le soin de fixer " les règles et barèmes pour la classification des infirmités d'après leur gravité ". Aux termes de l'article L. 26 de ce code : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie.
3. En outre, l'article L. 3 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : (...) 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, (...) soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas (...) ". En application de ces dispositions, la présomption d'imputabilité peut bénéficier à l'intéressé à condition que la preuve d'une filiation médicale soit apportée. Cette filiation médicale, qui suppose une identité de nature entre l'infirmité pensionnée et l'infirmité invoquée, peut être établie soit par la preuve de la réalité des soins reçus de façon continue pour l'affection pensionnée soit par l'étiologie même de l'infirmité en cause.
En ce qui concerne les entorses récidivantes de la cheville gauche :
4. Il résulte de l'instruction que M. A... a été victime d'un accident, le 20 mai 2003, à l'occasion d'une séance de sport. Il s'est sévèrement blessé à la cheville gauche en glissant sur un caillou. Un diagnostic d'entorse de la cheville a été posé le lendemain, nécessitant son immobilisation, sans pose de plâtre ni opération chirurgicale. Il a ensuite bénéficié de soins de kinésithérapie et devant la persistance des douleurs, il a subi une intervention chirurgicale, le 10 mai 2010, par arthroscopie associée à une ligamentoplastie. L'état de sa cheville a ensuite évolué vers de l'arthrose. Selon l'expert qui l'a examiné le 20 février 2018, M. A... présente des séquelles d'arthrose avec limitation des amplitudes articulaires, le pied ne dépassant pas l'angle droit en flexion dorsale et limité de -10° en flexion plantaire par rapport au côté droit. L'expert a estimé qu'un taux d'invalidité de 15% pouvait lui être attribué au regard du guide barème des invalidités de février 2003. M. A... expose qu'il souffre d'importantes séquelles compte-tenu des nombreuses entorses qu'il a subies à la suite de sauts en parachute et qu'il a été contraint d'arrêter la course, la randonnée et la natation compte-tenu de ses souffrances quotidiennes. Toutefois, les certificats médicaux établis par son médecin généraliste les 16 juillet 2018 et 28 août 2022, selon lesquels il a pu constater une aggravation de son état clinique justifiant une réévaluation du degré d'invalidité, ajoutant qu'une arthrodèse de cheville ou une prothèse a été proposée par son chirurgien orthopédique, ne permettent pas de considérer que le taux d'invalidité tel que défini par l'expert serait sous-évalué.
En ce qui concerne les acouphènes permanents et la baisse de l'audition de l'oreille gauche :
5. M. A..., qui a servi dans l'armée de terre jusqu'au 31 décembre 2012, notamment au centre parachutiste d'instruction spécialisée du service action de la direction générale des services extérieurs en tant qu'opérationnel, soutient avoir été exposé à de nombreux et violents bruits sonores dès lors qu'il a participé quotidiennement à des entraînements et exercices de tirs de munition puissants, ainsi qu'à des manipulations d'explosifs et a effectué de nombreuses missions dans des conditions extrêmes en Irak en 2005, au Liban en 2007, 2008 et 2010, et en Afghanistan à six reprises entre 2002 et 2011. Selon les conclusions de l'expert médical qui a remis son rapport le 7 février 2018, M. A... est atteint d'une surdité gauche dont le taux d'invalidité est évalué à 15% et d'acouphènes au taux de 20%. La perte d'audition subie par l'intéressé a pu être mesurée auprès d'un médecin oto-rhino-laryngologiste entre 2010 et 2012. Alors que cette aggravation a été considérée comme relevant d'une surdité brusque par ce médecin, et stabilisée en 2017, aucune pièce médicale ne permet cependant de justifier d'un lien de causalité entre la pathologie dont il souffre et le service. Si selon deux attestations émanant de son supérieur hiérarchique et d'un témoin des faits, M. A... a été victime en juin 2010 d'un traumatisme sonore malgré le port de ses protections auditives lors d'une séance d'entraînement au cours de laquelle il a eu pour mission d'effectuer l'effraction d'une porte avec une charge d'explosif, et a consulté le service de santé, aucune pièce médicale ne permet cependant de justifier des conséquences de ce traumatisme, lequel n'a pas été mentionné dans le livret médical de l'intéressé. Il résulte par ailleurs d'un courrier médical du 11 octobre 2010 que M. A... souffre d'acouphènes depuis environ un an à la date dudit courrier, soit antérieurement au traumatisme sonore dont il a été victime en juin 2010. Selon son livret médical, des acouphènes importants sont mentionnés ainsi qu'une aggravation de l'hypoacousie en novembre 2012. Toutefois, s'il se prévaut des conditions extrêmes auxquelles il aurait été exposé lors des nombreuses opérations extérieures auxquelles il a participé, il ne résulte d'aucune pièce qu'il aurait été victime d'un incident particulier à l'origine des pathologies en cause. En outre, alors que sa surdité gauche est apparue de manière brusque dans le courant de l'année 2012, il résulte de l'instruction que M. A... n'a effectué aucune mission en opération extérieure après le 13 janvier 2010, en raison d'une inaptitude temporaire à compter du 10 novembre 2010, et a effectué sa dernière mission en Afghanistan du 18 janvier au 18 avril 2011 avant d'être déclaré inapte de manière définitive le 3 janvier 2012. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les infirmités dont souffre M. A... concernant sa surdité gauche et ses acouphènes soient imputables au service.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant-dire droit une expertise médicale laquelle ne revêtirait pas de caractère utile, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Ses conclusions demandant de statuer sur les dépens doivent dès lors en tout état de cause être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°21TL02308 2