CAA de VERSAILLES, 6ème chambre, 20/06/2023, 21VE02408, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la commune de Grigny à lui verser les sommes respectives de 150 000 et 200 000 euros en réparation des préjudices d'ordre moral et matériel imputables aux fautes commises à son encontre par les services communaux.
Par un jugement n° 1905703 du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles a condamné la commune de Grigny à verser à Mme A... la somme de 1 500 euros et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 août 2021, Mme A..., représentée par Me de Folleville, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a partiellement rejeté sa demande ;
2°) de condamner la commune de Grigny à lui verser les sommes respectives de 150 000 et 200 000 euros en réparation des préjudices d'ordre moral et matériel imputables aux fautes commises à son encontre par les services communaux ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Grigny le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A... soutient que :
- la commune de Grigny a méconnu son obligation de sécurité à son égard ;
- elle a subi des agressions de la part de son supérieur hiérarchique ;
- elle a été victime de harcèlement moral ;
- elle a en tout état de cause droit d'être indemnisée des préjudices nés de sa maladie professionnelle relatifs à ses frais médicaux, au non versement de primes, à des troubles dans les conditions d'existence et à un préjudice moral ;
- la commune a commis une faute en ne lui fournissant pas de feuilles de soins.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2023, la commune de Grigny, représentée par Me Carrère, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne pour laquelle il n'a pas été produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n°87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Villette,
- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,
- et les observations de Me de Folleville, pour Mme A... et de Me Langlet, pour la commune de Grigny.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., adjointe administrative de deuxième classe, a été recrutée en 1993 par la commune de Grigny. Elle a été affectée à un poste d'agent d'accueil au sein du centre culturel de la commune. Elle a déclaré au mois de juillet 2012 une dépression en réaction à la dégradation de ses conditions de travail et a été placée en congé pour maladie à compter du 20 juillet 2012. Par un arrêté du 15 octobre 2012, Mme A... a été placée en congé pour accident de service à compter du 20 juillet 2012. Ce congé imputable au service a été renouvelé, de façon continue, jusqu'au 10 juillet 2020, date à laquelle Mme A... a été licenciée pour inaptitude physique. Le 19 mars 2019, elle a saisi la commune de Grigny d'une demande indemnitaire portant sur l'absence de versement d'éléments de rémunération et sur l'indemnisation qu'elle estime avoir subis à raison de diverses fautes commises par la commune, ainsi que du fait de son invalidité imputable au service. Mme A... relève appel du jugement du 14 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a limité à 1 500 euros la condamnation prononcée à l'encontre de la commune de Grigny à son profit.
Sur la rémunération de Mme A... :
2. Mme A... demande le versement de primes, fondées sur deux délibérations du conseil municipal de la commune de Grigny en date des 8 juillet 1985 et 19 novembre 1991, qui ne lui auraient pas été versées depuis son placement en congé.
3. D'une part, Mme A... n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, entré en vigueur postérieurement à la déclaration de son invalidité imputable au service et au dernier renouvellement de son congé maladie.
4. D'autre part, aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. S'y ajoutent les prestations familiales obligatoires (...) ". Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 58. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. " ;
5. Il résulte de ce qui précède que, sous réserve de dispositions expresses en sens contraire des délibérations qui les instituent, le droit à rémunération des fonctionnaires territoriaux en congé de maladie ne comprend pas les indemnités accessoires attachées à l'exercice des fonctions ou qui ont le caractère de remboursement de frais. En l'espèce, la prime annuelle prévue par la délibération du 8 juillet 1985 est versée aux agents au prorata des heures effectuées. L'indemnité prévue par la délibération du 19 novembre 1991 vise à compenser les conditions difficiles de travail des agents de la commune face à une population socialement défavorisée. Par suite, ces indemnités doivent être regardées comme liées à l'exercice effectif des fonctions des agents. Aucune disposition de ces délibérations ne prévoit leur maintien en cas de placement en congé de maladie. Dès lors, Mme A... n'est pas fondée à en demander le versement pour la période comprise entre son placement en congé et son licenciement.
Sur les conclusions indemnitaires de Mme A... :
6. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et L. 417-8 du code des commune qui instituent, en faveur des fonctionnaires territoriaux victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
En ce qui concerne l'existence d'une faute :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail. ".
8. Mme A... produit un courrier du 2 décembre 2010 dans lequel elle faisait état du dysfonctionnement des outils informatiques et téléphoniques mis à sa disposition, d'une vitre cassée et de fauteuils cassés dans son bureau au centre culturel Sydney Bechet. Néanmoins, il résulte de l'instruction que des travaux et des interventions ont été réalisés en janvier 2011 pour y remédier. Elle produit également le compte rendu d'une visite du médecin du travail réalisée dans ce centre culturel le 3 juillet 2012 faisant état d'un travail isolé, d'un défaut de vérification périodique des systèmes incendie et électrique, d'odeurs nauséabondes, du manque de formation à la santé au travail des agents, de problèmes d'humidité, d'un mauvais stockage des archives et de produits périmés dans la trousse à pharmacie. Néanmoins, à la suite de cette visite, des travaux ont été réalisés dans les bureaux et la cuisine du centre culturel en vue d'y reprendre les peintures et les sanitaires et que la commune a contesté l'absence de réalisation des vérifications précitées et invité les agents à faire remonter tout besoin en matériel. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que ces difficultés aient été à l'origine de la pathologie de la requérante qui résulte d'un stress post-traumatique faisant suite à l'envahissement du centre culturel quelques mois plus tôt. Enfin, si Mme A... se plaint de l'accès du public à son bureau, cet état de fait est inhérente à sa mission d'accueil. Dès lors, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la commune de Grugny aurait ainsi commis une faute à l'origine de sa pathologie.
9. En deuxième lieu, si Mme A... soutient que son supérieur hiérarchique aurait été régulièrement en état d'ébriété et aurait eu un comportement agressif à l'égard des agents et du public du centre culturel, elle ne l'établit pas par les documents qu'elle produit qui se bornent tous à reprendre ses seules allégations.
10. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la seule reconnaissance de l'imputabilité au service de son état de santé serait de nature à caractériser l'existence d'une faute de la part de la commune à l'origine de celui-ci.
11. En quatrième lieu, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements de harcèlement sont ou non établis. Le juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 et 9 du présent arrêt que Mme A... n'établit pas avoir été sciemment soumise à des conditions de travail dégradées ni avoir été exposée à des agressions de son supérieur hiérarchique. Mme A... ne conteste pas utilement que l'interruption du versement de son traitement entre les mois de décembre 2017 et mai 2018 était justifié par son refus de se présenter aux expertises médicales diligentées par son employeur, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait revêtu un caractère excessif. De même, le versement tardif de son allocation de retour à l'emploi est lié, certes à une erreur de la commune, mais également au délai mis par la requérante pour saisir Pôle Emploi d'une demande d'indemnisation. Si Mme A... a sollicité des feuilles de soins permettant une prise en charge par avance de ses frais médicaux en vain, elle ne justifie pas en avoir sollicité en vain le remboursement. Enfin, si le tribunal administratif de Versailles a jugé, par un jugement n° 2005965 du 23 septembre 2022 devenu définitif, que son licenciement pour inaptitude était illégal, il a jugé que Mme A... aurait dû être évincée du service au travers d'une mise en disponibilité d'office. Dès lors, les éléments produits par Mme A... ne permettent pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que sa dépression imputable au service trouverait sa cause dans une faute commise par l'administration.
En ce qui concerne les préjudices de Mme A... :
14. En premier lieu, Mme A... ne produit toujours en appel aucun justificatif des frais de déplacement aux expertise médicales et commission de réforme qu'elle invoque.
15. En deuxième lieu, elle ne justifie pas de l'envoi en lettre avec accusé de réception de ses arrêts de travail et ainsi des frais invoqués au titre de ces envois. Elle ne justifie pas non plus des sommes restées à sa charge à raison des consultations réalisées auprès de son médecin traitant pour l'obtention de prolongations de ces arrêts.
16. En troisième lieu, si Mme A... fait valoir la prise en charge de frais induits par le paiement d'ordonnances non couvertes par la commune de Grigny, elle ne produit à l'instance ni ces ordonnances ni la preuve d'un quelconque paiement.
17. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 et 13 du présent arrêt qu'en l'absence de faute de la commune, Mme A... n'est pas fondée à demander la condamnation de celle-ci à l'indemniser de la perte des primes liées à l'exercice de ses fonctions à raison de son placement en congé.
18. En cinquième lieu, Mme A... soutient avoir subi des troubles dans les conditions d'existence du fait de l'arrêt du versement de son traitement entre les mois de décembre 2017 et mai 2018. Néanmoins, Mme A... ne conteste pas utilement que cette suspension, fondée sur l'article 15 du décret du 30 juillet 1987, trouve sa cause dans son refus de se présenter aux expertises médicales diligentées par son employeur. Les troubles invoqués ne présentent dès lors pas de lien de causalité avec la maladie dont souffre Mme A....
19. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que Mme A... était atteinte entre 2012 et 2020 d'un syndrome dépressif sévère. Dès lors, elle est fondée à demander que l'indemnisation des souffrances endurées et du préjudice moral qu'elle a subi soit portée à la somme de 5 000 euros.
Sur l'absence de fourniture de feuilles de soins :
20. Mme A... soutient que la commune a commis une faute en ne lui fournissant pas des attestations de prise en charge de ses frais médicaux la dispensant d'avancer ses frais. Néanmoins, à supposer même une faute ainsi commise, elle ne fait état d'aucun préjudice distinct de ceux évoqués ci-dessus.
21. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à demander que la somme à laquelle la commune de Grigny a été condamnée soit portée à 5 000 euros et à demander la réformation du jugement du 14 juin 2021 du tribunal administratif de Versailles en ce sens.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune demande à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Grigny une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La commune de Grigny est condamnée à verser à Mme A... la somme de 5 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1905703 du 14 juin 2021 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Grigny versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Grigny.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président
M. Mauny, président assesseur,
Mme Villette, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.
La rapporteure,
A. VILLETTELe président,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
F. PETIT GALLAND
La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 21VE02408