Conseil d'État, 3ème chambre, 30/06/2023, 453834, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision30 juin 2023
Num453834
Juridiction
Formation3ème chambre
RapporteurM. Julien Autret
CommissaireMme Marie-Gabrielle Merloz
AvocatsOCCHIPINTI ; HAAS


Vu la procédure suivante :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à lui verser la somme de 40 000 euros, avec intérêts à compter du 4 mai 2016 et la somme de 20 000 euros, avec intérêts à compter du 2 août 2016. Par un jugement n°s1601132, 1601561 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Limoges a condamné la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à verser à M. D... la somme de 3 000 euros, avec intérêts à compter du 9 mai 2016 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 18BX04545 du 14 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de M. D... et l'appel incident de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse dirigés contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 22 juin et 23 septembre 2021, M. D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse la somme de 3 000 euros à verser à Me Thomas Haas, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Maître Haas, avocat de M. C... D... et à Me Occhipinti, avocat de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... D..., adjoint technique principal, affecté au sein du service chargé de l'environnement de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse en qualité de gardien de la déchetterie de Saint-Marcel, a été victime d'une chute, le 17 décembre 2015, alors qu'il manipulait une caissette dans le couloir de passage permettant le déplacement à l'intérieur du conteneur des déchets ménagers spéciaux, qui a provoqué une fracture de son pilon tibial droit et a été reconnue, le 28 décembre 2015, comme constitutive d'un accident imputable au service. Par un jugement du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Limoges a condamné la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à verser à M. D... la somme de 3 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2016 et a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la condamnation de cette collectivité à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation des préjudices qu'il alléguait. M. D... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 décembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.

2. En premier lieu, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D... demandait, en première instance comme dans ses premières écritures en appel, la condamnation de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à hauteur de 60 000 euros pour différents chefs de préjudice ayant tous pour fait générateur l'accident de service du 17 décembre 2015 et incluant le chef du préjudice patrimonial causé par les conséquences de cet accident sur le déroulement de sa carrière professionnelle. Dans le dernier état de ses écritures en appel, il a demandé la même condamnation de la collectivité, en y ajoutant une demande d'indemnisation pour une somme correspondant à l'allocation temporaire d'activité dont il soutient qu'il aurait dû bénéficier, compte tenu de la fixation de son taux d'invalidité à 15 % par le rapport médical du docteur A... B..., établi le 16 octobre 2019.

4. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 ci-dessus, d'une part, que dès lors que ces dernières conclusions étaient présentées par M. D..., comme ses conclusions de première instance, sur le fondement de la responsabilité pour faute de la communauté de communes, et que le préjudice patrimonial qu'elles invoquaient se rattachait, comme ceux dont il s'était prévalu en première instance, au même fait générateur constitué par l'accident de service du 17 octobre 2015, il appartenait à la cour administrative d'appel, en tout état de cause, de se prononcer sur celles-ci, dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance. Il en résulte aussi, d'autre part, qu'il lui appartenait également d'apprécier, dans la mesure où l'intéressé soutenait que ces conclusions correspondaient à la révélation du préjudice dans toute son ampleur, conformément à la fixation de son taux d'invalidité à 15 % par le rapport médical du docteur A... B... établi le 16 octobre 2019, soit postérieurement à l'enregistrement de son appel, si ces conclusions justifiaient de mettre à la charge de la communauté de communes une indemnité excédant le montant total demandé en première instance. M. D... est donc fondé à soutenir qu'en rejetant ses conclusions comme irrecevables, au seul motif qu'elles étaient nouvelles en appel, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

5. En second lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a relevé que le passage étroit du conteneur, dans lequel M. D... circulait au moment de l'accident de service, était dans un état dégradé, encombré par des sangles exposant notamment ses utilisateurs à de forts risques de chutes, pourvu d'un sol irrégulier et doté d'un éclairage insuffisant. Dans ces conditions, la circonstance que M. D... ait lui-même signalé à la communauté de communes l'état dégradé du conteneur et la présence de sangles ne saurait établir qu'il a fait preuve, en s'y déplaçant, d'un manque de prudence fautif. Par suite, la cour administrative d'appel a donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée en retenant une telle faute de la part de M. D..., pour en déduire qu'elle justifiait une atténuation de la part de responsabilité de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse dans l'accident de service survenu le 17 décembre 2015.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que M. D... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

7. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Thomas Haas, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse la somme de 3 000 euros à verser à M. D....




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 14 décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse versera à Me Thomas Haas, avocat de M. D..., la somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... D... et à la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse.


Délibéré à l'issue de la séance du 8 juin 2023 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 30 juin 2023.


Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Autret
La secrétaire :
Signé : Mme Elisabeth Ravanne


ECLI:FR:CECHS:2023:453834.20230630