CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 07/07/2023, 22MA01201, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a confirmé le rejet par le ministre des armées de sa demande de révision de ses droits à pension et d'enjoindre au sous-directeur des pensions de lui délivrer un nouveau titre de pension prenant en compte une aggravation de 10 % de ses " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " et de 10 % de son " état anxiodépressif ", avec effet à compter de la date d'enregistrement de sa demande, soit le 19 avril 2018.
Par un jugement n° 2100090 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 27 avril 2022, M. A..., représenté par Me Stark, demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 et d'enjoindre à l'autorité administrative de lui délivrer un nouveau titre de pension, avec effet à compter du 18 novembre 2020, date d'enregistrement de sa demande de réexamen des droits à pension, en prenant en compte une aggravation de 10 % des acouphènes dont il souffre, et en retenant donc un taux global de 20 % pour cette infirmité, et, d'autre part, une aggravation de 10 % de son état anxiodépressif et en retenant donc un taux global de 35 % pour cette infirmité ;
2°) à titre subsidiaire, de désigner un expert de justice, avec pour mission de :
. se faire communiquer l'intégralité de son livret médical militaire ;
. de convoquer les parties ;
. d'examiner les infirmités en cause ;
. de préciser le diagnostic de chacune de ces infirmités et d'en fixer le taux d'invalidité ;
. d'indiquer si ces infirmités se sont aggravées en se plaçant à la date de sa demande, soit le 18 novembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 850 euros à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance tant des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre applicables au litige que de la jurisprudence des anciennes juridictions des pensions militaires d'invalidité : pour décider que la demande d'aggravation n'était pas justifiée, le tribunal administratif de Nice s'est appuyé sur le rapport de l'expert oto-rhino-laryngologue (ORL) mandaté par le ministre des armées alors que cet expert s'est exprimé en termes de probabilité et qu'il n'a pas explicité les autres étiologies qu'il entendait retenir ; il n'a ainsi pas mentionné ce que l'article L. 151-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre identifie comme " l'atteinte à l'état général " justifiant le pourcentage attribué ;
- l'opinion majoritairement admise par la communauté des ORL est qu'une hypoacousie sono-traumatique peut évoluer de manière péjorative, y compris en l'absence de nouvelles expositions au bruit lésionnel et que l'aggravation de la dégradation auditive survient alors de manière progressive, irréversible et inopérable ;
- le tribunal administratif de Nice a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits et des moyens de preuve portés à sa connaissance en se référant aux seules conclusions de l'expert ORL ; en tout état de cause, il ne peut lui être reproché de n'avoir pas consulté, préalablement à sa demande de réexamen des droits à pension, un expert ORL auprès d'une cour d'appel pour anticiper les arguments de l'administration dès lors qu'aucune disposition du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ne prévoit cette modalité ; la preuve de l'aggravation d'une ou de plusieurs infirmités peut se faire par tous moyens et la production aux débats de première instance d'un certificat de son masseur-kinésithérapeute indiquant que son état psychique s'est aggravé est opérante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le jugement attaqué du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 doit être confirmé alors que M. A... n'apporte aucun élément de nature à justifier l'augmentation du taux d'invalidité de 10 % qu'il réclame pour les infirmités " acouphènes " et " état anxiodépressif ", et que ses moyens ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 9 mars 2023, la clôture de l'instruction, initialement fixée au 10 mars 2023, a été reportée au 14 avril 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Né le 23 juin 1942, M. A..., a été libéré de ses obligations légales de service actif le 1er mars 1968 au grade de sous-lieutenant et rayé des contrôles du 26ème régiment d'infanterie. Le 1er juillet 1969, il a été promu au grade de lieutenant de réserve. Le 24 juin 1975, M. A... a été victime d'un traumatisme sonore au cours d'une séance de tir au bazooka. Par arrêté du 2 avril 1996, il s'est vu concéder, au titre des blessures imputables à cette accident survenu en service, une pension militaire d'invalidité au taux global de 75 %, pour des sensations vertigineuses, un état anxiodépressif, une hypoacousie droite ainsi que des acouphènes. Par un courrier 15 avril 2018, reçu le 19 avril suivant, M. A... a demandé la révision de cette pension militaire d'invalidité au titre d'une aggravation de ces infirmités. Par une décision du 20 avril 2020, rectifiée le 16 septembre 2020, le ministre des armées a refusé de faire droit à cette demande. M. A... a alors contesté cette décision en tant qu'elle porte sur les infirmités ayant trait à son état anxiodépressif et aux acouphènes dont il souffre, devant la commission de recours de l'invalidité. Celle-ci a rejeté son recours préalable obligatoire par décision du 18 novembre 2020. M. A... relève appel du jugement du 17 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
2. Selon l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. ".
3. Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
4. Par ailleurs, le degré d'infirmité est déterminé au jour du dépôt de la demande de l'intéressé, sans qu'il soit possible de tenir compte d'éléments d'aggravation postérieurs à cette date. L'administration doit dès lors se placer à la date de la demande de pension pour évaluer le degré d'invalidité entraîné par l'infirmité invoquée. Par ailleurs, une pension acquise à titre définitif ne peut être révisée que si le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur.
En ce qui concerne l'infirmité lié à l'état anxiodépressif :
5. Il résulte de l'instruction que l'infirmité pensionnée de M. A... au taux de 25 %, correspondant à un état anxio-dépressif, a été jugée imputable au service, par jugement du tribunal des pensions de Nice du 6 décembre 1994, au motif que " ses déficiences auditives imputables lui renvoient une image dévalorisée de lui-même qui entraîne une baisse de ses activités psychiques et physiques ". Pour demander la révision de sa pension au titre de l'aggravation de cette infirmité, M. A... se borne, en appel comme en première instance, à produire un certificat d'un masseur-kinésithérapeute du 7 février 2018, ainsi qu'un certificat de son médecin otorhinolaryngologiste du 13 décembre 2017, qui par leur contenu, ne permettent pas d'évaluer l'aggravation de son état à un taux supérieur à celui de 5 % proposé par le médecin psychiatre désigné par l'administration, soit un taux inférieur au taux de 10 % éligible à une révision de pension ainsi qu'il a été dit au point 4. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours de l'invalidité du 18 novembre 2020 en ce qu'elle a rejeté sa demande de révision de pension liée à une aggravation de l'état anxiodépressif dont il souffre.
En ce qui concerne l'infirmité liée aux acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite :
6. Pour demander la révision de sa pension au titre de l'aggravation de son infirmité aux acouphènes permanents dont il souffre, M. A... produit des certificats de médecins otorhinolaryngologistes des 13 décembre 2017 et 26 septembre 2019, qui objectivisent une aggravation de cette infirmité, sans en préciser les causes, tandis que le médecin expert de l'administration, dans son avis du 29 octobre 2019, confirmé par celui du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 28 novembre 2019, admet cette aggravation et l'évalue à 10 %, mais émet l'hypothèse de causes extérieures, dont " la presbyacousie et les altérations neuro-vasculaires dans un contexte de dépression psychique ", non sans souligner le lien étroit entre la surdité, les acouphènes et les vertiges dont est atteint l'intéressé. Ainsi, l'instruction ne permet pas à la Cour de déterminer si cette aggravation de l'infirmité pensionnée de M. A... est en lien exclusif avec le service. Il y a donc lieu, avant dire droit, d'ordonner une expertise dans les conditions définies à l'article 2 du dispositif ci-après.
D É C I D E :
Article 1er : Les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement n° 2100090 du tribunal administratif de Nice du 17 mars 2022 en tant qu'il rejette les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours de l'invalidité du 18 novembre 2020 refusant de réviser sa pension militaire d'invalidité au titre de l'aggravation de son état anxiodépressif sont rejetées.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M. A..., procédé par un expert médical, désigné par la présidente de la Cour dans la spécialité otorhinolaryngologie, à une expertise avec mission de :
1°) se faire communiquer les documents médicaux utiles à sa mission et examiner M. A... ;
2°) déterminer, en se plaçant au jour de l'enregistrement de la demande de révision de l'intéressé, soit le 19 avril 2018, si l'aggravation des " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " est due à des causes étrangères à cette infirmité pensionnée liée à l'accident dont M. A... a été victime le 24 juin 1975, et notamment, le cas échéant, si elle est seulement due au vieillissement ou si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée ;
3°) déterminer, en se plaçant au jour de l'enregistrement de la demande de révision de l'intéressé, soit le 19 avril 2018, le taux d'invalidité correspondant à l'aggravation de l'infirmité liée aux " acouphènes permanents à timbre aigu au niveau de l'oreille droite " dont il souffre, en référence au guide-barème annexé au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
4°) de fournir, plus généralement, tous éléments susceptibles d'éclairer la Cour.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : L'expertise sera réalisée au contradictoire de M. A... et du ministre des armées.
Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2023.
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No 22MA01201
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