CAA de LYON, 5ème chambre, 23/11/2023, 21LY04244, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 novembre 2023
Num21LY04244
JuridictionLyon
Formation5ème chambre
PresidentM. BOURRACHOT
RapporteurMme Vanessa REMY-NERIS
CommissaireMme LE FRAPPER
AvocatsTRUNO & ASSOCIES

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision de refus de reconnaissance d'une maladie comme contractée en service du 18 juin 2019 du directeur général du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.

Par un jugement n°1901564 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2021, Mme B..., représentée par Me Portal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ainsi que la décision du 18 juin 2019 susvisée ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier faute d'avoir examiné le moyen tiré du retrait illégal de la décision du 19 avril 2019 ;
- le jugement est irrégulier pour avoir cité les dispositions de l'article L. 212-5 du code des relations entre le public et l'administration qui n'existent pas ;
- la décision du 18 juin 2019 est insuffisamment motivée au sens de l'article 1er de la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 ;
- elle retire une décision créatrice de droit qui n'était pas illégale ;
- le refus d'imputabilité ne peut être justifié par l'exercice de son mandat syndical ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à l'imputabilité de sa maladie au service ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2022, le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, représenté par Me Lantero, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Une ordonnance du 17 février 2023 a fixé la clôture de l'instruction au 16 mars 2023.

Par un courrier du 3 octobre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour, dans l'hypothèse où elle retiendrait le moyen tiré de l'erreur de droit soulevé par la requérante, était susceptible d'enjoindre d'office au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Ladou pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., infirmière au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, entièrement déchargée de service en raison d'un mandat syndical depuis 2015, a sollicité la reconnaissance de son " épuisement professionnel " comme maladie contractée en service. Par une décision du 19 avril 2019, le directeur général du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand a procédé à cette reconnaissance. Par une seconde décision du 18 juin 2019, il a retiré la décision du 19 avril 2019 et refusé de reconnaître comme imputable au service la pathologie présentée par Mme B.... L'intéressée relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Sur la légalité de la décision du 18 juin 2019 :

2. D'une part, aux termes de l'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général des fonctionnaires : " I.-Sous réserve des nécessités du service, le fonctionnaire en position d'activité ou de détachement qui, pour l'exercice d'une activité syndicale, bénéficie d'une décharge d'activité de services ou est mis à la disposition d'une organisation syndicale, est réputé conserver sa position statutaire. (...) ".

3. Pour refuser la demande d'imputabilité au service de la pathologie présentée par Mme B..., le directeur général du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand a, dans la décision du 18 juin 2019, relevé que " les activités syndicales exercées sur du temps de décharge d'activité de service à temps plein ne relèvent pas d'un droit de regard de l'employeur. De ce fait, la qualification de maladie contractée en service ne peut être vérifiée par l'employeur. " S'il est constant que Mme B... exerce un mandat syndical en étant déchargée à 100% de ses activités de service, elle est considérée comme étant en position d'activité en vertu des dispositions précitées. Par suite, en retenant que l'imputabilité au service de la pathologie présentée par l'intéressée ne pouvait pas être vérifiée en raison de ses activités syndicales, l'autorité compétente a entaché son motif d'une erreur de droit.

4. D'autre part, aux termes de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 susvisée : " (...) IV.-Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État. (...) "

5. Si Mme B... se prévaut de la présomption d'imputabilité au service d'une maladie prévue par les dispositions citées au point 4, l'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issues de l'ordonnance du 19 janvier 2017, était manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. En conséquence, ces dispositions ne sont entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique hospitalière, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 16 mai 2020, du décret du 13 mai 2020 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique hospitalière. Ces dispositions n'étant pas applicables à la date de la survenance de la maladie qu'elle invoque et des décisions en litige, Mme B... ne saurait utilement s'en prévaloir.

6. Aux termes de l'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 susvisée : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 42. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) "

7. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

8. Il ressort des pièces versées au dossier, notamment du rapport d'expertise médical du docteur A... C... du 28 janvier 2019 et de l'avis de la commission de réforme du 11 avril 2019, que la pathologie présentée par Mme B... est en relation avec l'exercice de ses activités syndicales au sein du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand et liée à une surcharge de travail. Il ne ressort d'aucune pièce et n'est pas soutenu en défense que cet état serait lié à un état antérieur présenté par l'intéressée et favorable à l'apparition de cette maladie. Si le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand fait valoir dans ses écritures en défense que Mme B... serait elle-même à l'origine de son épuisement professionnel, la circonstance qu'elle ait volontairement accepté une surcharge de travail en lien avec son mandat syndical ne saurait constituer une circonstance particulière de nature à détacher la survenance de la maladie du service. Par suite, si le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand soulève à ce titre une substitution de motifs, le refus d'imputabilité au service opposé pour ce motif à Mme B... est entaché d'erreur d'appréciation.

9. Il résulte de ce qui précède que la décision du 18 juin 2019 retirant la décision du 19 avril 2019 et refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme B... doit être annulée.

Sur l'injonction :

10. Lorsqu'une décision créatrice de droits est retirée et que ce retrait est annulé, la décision initiale est rétablie à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation. Il en résulte que l'annulation de la décision du 18 juin 2019 retirant la décision du 19 avril 2019 du directeur général du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand reconnaissant comme imputable au service la maladie de Mme B..., laquelle constitue une décision créatrice de droits, n'implique aucune mesure d'injonction particulière.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand à verser à Mme B... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.



DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°1901564 du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.

Article 2 : La décision du 18 juin 2019 du directeur général du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand retirant la décision du 19 avril 2019 et refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme B... est annulée.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand versera à Mme B... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.


Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 novembre 2023.


La rapporteure,




V. Rémy-Néris
Le président,




F. Bourrachot

La greffière,
F. Prouteau


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transformation et de la fonction publiques en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,
La greffière,
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