CAA de BORDEAUX, 5ème chambre, 24/09/2024, 22BX02412, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la commune de Bayonne à lui verser la somme totale de 119 800 euros au titre des préjudices qu'il a subis en raison de la maladie professionnelle qu'il a contractée le 9 novembre 2012, et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2019.
Par un jugement n° 2000239 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Pau a condamné la commune de Bayonne à verser à M. A... la somme de 46 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa maladie, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2019.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 septembre 2022 et un mémoire enregistré le 6 février 2024, M. A..., représenté par Me Lemiere, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°2000239 du tribunal administratif de Pau du 30 juin 2022 en tant qu'il a condamné la commune de Bayonne à lui verser une somme limitée à 46 000 euros en réparation de ses préjudices ;
2°) de condamner la commune de Bayonne à lui verser la somme totale de 119 800 euros au titre des préjudices qu'il a subis en raison de la maladie professionnelle qu'il a contractée le 9 novembre 2012, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bayonne la somme de 3 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur les préjudices patrimoniaux :
- il a subi un préjudice économique temporaire du fait de l'arrêt brutal de sa carrière qui doit être évalué à 10 000 euros ; contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, son arrêt brutal de carrière n'a pas été réparé par le versement d'une allocation temporaire d'invalidité ;
- il a subi un préjudice économique retentissant relatif à sa mise à la retraite d'office compte tenu de l'impossibilité pure et simple d'exercer une quelconque activité professionnelle qui doit être évalué à 10 000 euros ; contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, ce préjudice n'a pas été réparé par le versement d'une rente viagère d'invalidité ;
Sur les préjudices extra-patrimoniaux :
- s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, le pourcentage de 25% a été retenu à tort par les premiers juges, il doit être évalué à 31 000 euros (600 euros par mois pendant 52 mois) et non à 6 000 euros comme l'a retenu le tribunal ;
- s'agissant du déficit fonctionnel permanent, le taux retenu doit être de 30%, soit une indemnisation à hauteur de 48 800 euros ;
- s'agissant du pretium doloris, le taux retenu de 4/7 par le tribunal est juste, toutefois le barème appliqué doit être rehaussé pour atteindre une indemnisation à hauteur de 10 000 euros ;
- s'agissant du préjudice d'agrément, il doit être évalué à 10 000 euros et non à 3 000 euros comme l'ont retenu les premiers juges.
La requête a été communiquée à la commune de Bayonne qui n'a pas produit de mémoire en défense dans la présente instance.
Par ordonnance du 7 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 11 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Ellie, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., agent de la commune de Bayonne, a été victime d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service a été reconnue par la collectivité à compter du 9 novembre 2012. Par courrier du 30 septembre 2019, M. A... a adressé à la commune de Bayonne une demande indemnitaire préalable afin d'obtenir la réparation des préjudices subis du fait de cette maladie. En l'absence de réponse de la collectivité, M. A... a saisi le tribunal administratif de Pau qui, par le jugement attaqué du 30 juin 2022, a reconnu la responsabilité sans faute de la commune de Bayonne dans la survenance de cette maladie et a condamné cette collectivité au versement d'une somme de 46 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2019, date de réception de la demande préalable indemnitaire. Par la présente requête, M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a condamné la commune à un versement limité à cette somme et demande une réévaluation de ses préjudices à hauteur de 119 800 euros.
Sur les préjudices :
2. Compte tenu des conditions posées à son octroi et de son mode de calcul, l'allocation temporaire d'invalidité et la rente viagère d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par une maladie professionnelle. Les dispositions qui instituent ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
3. Il résulte de l'instruction que M. A..., né en 1968, présente depuis 2012, suite à l'utilisation de produits chimiques dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, entre 2003 et 2012, au sein du service de signalisation routière de la commune de Bayonne, une hyperréactivité bronchique reconnue comme maladie professionnelle correspondant aux " Rhinite et asthmes professionnels " listés à l'annexe II - tableau n°66 des tableaux des maladies professionnelles prévus à l'article R. 461-3 du code de la sécurité sociale. La date de consolidation de cette maladie professionnelle a été fixée par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, le Professeur B..., à la date non contestée du 18 juin 2018. Par arrêté du 9 mars 2021, le maire de Bayonne a admis M. A... à faire valoir ses droits à une pension de retraite pour invalidité à compter du 1er avril 2021.
4. Au titre des préjudices patrimoniaux, M. A..., qui demande réparation sur le terrain de la responsabilité sans faute de la collectivité, soutient qu'il a subi un préjudice économique temporaire du fait de l'arrêt brutal de sa carrière ainsi qu'un préjudice économique retentissant relatif à sa mise à la retraite d'office compte tenu de l'impossibilité pure et simple d'exercer une quelconque activité professionnelle, préjudices qui doivent selon lui être évalués à 10 000 euros chacun. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 2 que M. A... ne peut se prévaloir, sur le terrain de la responsabilité sans faute de la commune de Bayonne, objet du présent litige, que de la réparation des préjudices patrimoniaux qui ne résultent pas des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle liées à son incapacité physique consécutive à sa maladie professionnelle, quand bien même il n'aurait pas été bénéficiaire, dans les faits, d'une allocation temporaire d'invalidité ou d'une rente viagère d'invalidité. Or, M. A... ne fait valoir aucun préjudice patrimonial autre que ceux résultant de ses pertes de revenus ou de son incapacité physique de travailler. Par suite, sa demande relative à la réparation de ses préjudices patrimoniaux doit être rejetée.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
S'agissant des préjudices temporaires :
5. Il résulte de l'instruction que, pour évaluer le déficit fonctionnel temporaire de M. A..., l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Pau a scindé en deux la période précédant la date de la consolidation de sa maladie professionnelle en prenant en compte l'amélioration notable de son état de santé à compter du 16 mars 2017, date de sa mise sous traitement permanent par Xolair. L'expert a ainsi évalué le déficit fonctionnel temporaire subi par M. A... à 25% au titre de la période du 9 novembre 2012 au 15 mars 2017, puis à 10% au titre de la période du 16 mars 2017 au 18 juin 2018. Comme l'ont retenu les premiers juges, durant ces périodes, les conditions d'existence de M. A... ont été sensiblement dégradées du fait de ses crises d'asthmes, des différents traitements et de son obligation d'éviter tout effort. Il ne résulte toutefois d'aucun élément de l'instruction, contrairement à ce que soutient le requérant, qui n'apporte au demeurant aucun élément nouveau en appel sur ce point, que ce poste de préjudice n'ait pas fait l'objet d'une juste évaluation par les premiers juges qui ont fixé le montant de son indemnisation à 6 000 euros.
S'agissant des préjudices permanents :
Quant au déficit fonctionnel permanent :
6. Il résulte de l'instruction que, pour évaluer le taux de déficit fonctionnel permanent de M. A... à 20%, l'expert désigné s'est référé à deux indicateurs : le barème indicatif d'évaluation des taux d'incapacité de droit commun du concours médical et le barème du code des pensions civiles et militaires de retraite tel qu'issu du décret n° 68-756 du 13 août 1968 pris en application de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction résultant de la loi n° 64-1339 du 26 décembre 1964. Il résulte de ce rapport d'expertise, que M. A... souffre d'un asthme modéré contrôlé nécessitant un traitement de fond associant cinq médicaments dont l'un responsable d'effets secondaires indésirables. Si le requérant soutient que le taux retenu doit être majoré compte tenu du fait que sa maladie nécessite un traitement continu avec une dépendance thérapeutique en corticoïdes ou des hospitalisations répétées, il résulte de l'instruction que l'expert a pris en compte l'ensemble de ces éléments et notamment la nécessité pour M. A... de suivre un traitement en continu. Par ailleurs, il résulte des éléments produits en appel et notamment des deux certificats médicaux datés des 9 et 15 mars 2023, consécutifs à un épisode d'aggravation de la maladie ayant nécessité une hospitalisation, que la maladie dont souffre M. A... peut connaitre des épisodes d'aggravation notable. Il peut ainsi être fait une juste évaluation du préjudice en le fixant à la somme, supérieure à celle retenue par les premiers juges, de 40 000 euros.
Quant aux souffrances physiques et morales :
7. Il résulte de l'instruction que les souffrances endurées par M. A... ont été évaluées par l'expert à 4 sur une échelle de 7. Par suite, et alors que le requérant n'apporte aucun élément supplémentaire sur ce point en appel, c'est en faisant une juste appréciation que les premiers juges ont fixé la réparation de ce préjudice à la somme de 7 000 euros.
Quant au préjudice d'agrément :
8. Il résulte de l'instruction que M. A... ne peut plus pratiquer le sport ni les activités de bricolage et de jardinage auxquels il s'adonnait avant la survenance de sa maladie. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, évalué à 3 000 euros par les premiers juges, en fixant sa réparation à la somme de 4 000 euros.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant est seulement fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a condamné la commune de Bayonne à lui verser une somme limitée à 30 000 euros en réparation de son déficit fonctionnel permanent et à 3 000 euros en réparation de son préjudice d'agrément et à demander que l'indemnisation de ces chefs de préjudice soient respectivement portée à 40 000 euros et 4 000 euros. Ainsi, il est fondé à demander que la somme que la commune de Bayonne a été condamnée à lui verser en réparation de son préjudice total soit portée à 57 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ".
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Bayonne une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'indemnité que la commune de Bayonne a été condamnée à verser à M. A... par le jugement du tribunal administratif de Pau du 30 juin 2022 est portée à 57 000 euros.
Article 2 : Le jugement du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Pau est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : La commune de Bayonne versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à la commune de Bayonne et à M. C... B..., expert.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président assesseur,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2024.
La rapporteure,
Héloïse E...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX02412