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CAA de NANTES, 6ème chambre, 23/04/2024, 23NT00554, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, devenu compétent par détermination de la loi, d'annuler la décision du 11 juillet 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision pour aggravation de sa pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques ". Par un jugement n° 2000555 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 février et 9 novembre 2023 ainsi que le 3 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Mattler, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 janvier 2023 ; 2°) d'annuler la décision du 11 juillet 2018 ; 3°) de dire qu'il conservait à la date du 3 juin 2016 une invalidité de 15 % pour l'infirmité lombalgies chroniques et invalidantes ; 4°) d'ordonner, le cas échéant, une expertise médicale, aux frais avancés de l'Etat ; 5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens ; 6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens. Il soutient que : - il a sollicité une pension pour l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques " et non pour l'infirmité " anomalies constitutionnelles de spondylolisthésis de grade I, de L5 sur S1 " ; - le taux de 10 % retenu au titre d'un état antérieur, qui serait lié à une maladie étrangère au service, ne résulte d'aucune décision qui lui aurait été notifiée ; - il n'est pas établi que les avis de la commission consultative médicale rendus les 17 avril 1989 et 9 avril 2018 seraient réguliers ; l'avis de la commission de réforme du 10 juillet 2018 est insuffisamment motivé ; ces avis, pas plus que celui du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité ne lui sont opposables ; - son taux d'invalidité de 15 % est entièrement imputable au service ; - il appartient au ministre d'établir que l'expert qui l'a examiné le 22 février 2018 a été régulièrement désigné et que lui-même a été informé de son droit de produire tout certificat médical ou d'être assister par son médecin traitant ; - la circonstance qu'il n'aurait subi aucun nouveau traumatisme est sans incidence dès lors qu'il demande la prise en compte de l'évolution d'une infirmité déjà pensionnée et donc imputable au service ; - les sauts en parachute entraînent nécessairement des traumatismes dorsaux dont les conséquences se révèlent parfois après la fin du service ; - il ne soulève aucun moyen de légalité externe en appel. Par des mémoires, enregistrés les 12 octobre et 15 décembre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il soutient que : - les moyens de légalité externe dirigés contre la décision contestée sont tardifs et par suite irrecevables ; - les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés. Le mémoire présenté le 15 janvier 2024 par le ministre des armées n'a pas été communiqué. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 février 2023. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Gélard, - et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. B..., né en 1947, a servi dans l'armée de terre du 1er novembre 1965 au 2 octobre 1987. Il a été victime de deux accidents de service, survenus lors de sauts en parachute, les 1er octobre 1983 et 7 mars 1985. A compter du 20 mars 1987, une pension militaire d'invalidité au taux global de 50 % lui a été allouée pour les infirmités suivantes : 1 - " hypoacousie bilatérale " dont le taux d'invalidité a été fixé à 25 %, 2 - " séquelles d'un traumatisme cervical " au taux de 10 %, et 3 " séquelles de contusion vertébrale " au taux de 10 %. Ce taux de 50 % a été réduit à 40 % à compter du 20 mai 1990 sur la base des seules infirmités 1 et 2. Par une décision du 3 mai 1990, il a en effet été considéré que l'infirmité 3 n'ouvrait plus droit à pension en raison de son taux d'invalidité inférieur au minimum indemnisable fixé à 10 %. Par un courrier reçu le 6 juin 2016, M. B... a sollicité la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation concernant l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques ". Sa demande a été rejetée par une décision du 11 juillet 2018 de la ministre des armées. M. B... relève appel du jugement du 17 janvier 2023, par lequel le tribunal administratif de Nantes, devenu compétent par détermination de la loi, a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cette décision. Il demande à la cour de fixer le taux d'invalidité correspondant à l'infirmité 3 à 15 %. Sur le bien-fondé de la décision contestée : 2. Par un courrier du 3 juin 2016, M. B... a sollicité la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " lombalgies aigües et chroniques ". Il soutient qu'en se référant à l'infirmité " lombalgies chroniques invalidantes. Anomalies constitutionnelles de spondylolisthésis de grade I de L5 sur S1 ", la décision contestée ne correspond pas à sa demande. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette infirmité était déjà pensionnée, à titre temporaire, pour la période allant du 20 mars 1987 au 19 mars 1990 et que son intitulé exact était alors, selon l'intercalaire descriptif des infirmités ayant donné lieu à l'attribution d'une pension militaire d'invalidité, se référant à l'arrêté du 23 mai 1989 non produit : " Séquelles de contusion vertébrale - douleur lombaire mécanique, avec raideur, douleurs au changement de temps, épisodes de blocage aigu avec sciatalgie droite ou gauche incomplète. Limitation modérée en fin de mouvement. Distance doigts - sol 10 cm. Inflexion subnormale. Extension en décubitus retrouve une flexion. Rotation, inflexion lombaire normale. Radio : séquelles dorsales de maladie de Scheuermann antélisthésis L5, atypie transitionnelle. ". Par ailleurs la décision du 3 mai 1990, qui fait référence à ce même arrêté du 23 mai 1989, précise que cette infirmité ne peut être prise en compte pour le calcul de sa pension en raison de " son taux devenu inférieur au taux minimum indemnisable fixé à 10 % ". Le ministre produit les accusés de réception de ces deux décisions. Par ailleurs, il est constant que l'intéressé a perçu les pensions correspondant aux taux de 50 % puis de 40 % durant les périodes concernées. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir, d'une part, que ces décisions ne lui seraient pas opposables à défaut de lui avoir été régulièrement notifiées et, d'autre part, que la ministre se serait méprise sur l'objet de sa demande. 3. Aux termes de l'article R. 11 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Les visites auxquelles sont soumis les militaires (...) en vue de l'obtention d'une pension d'invalidité sont effectuées par un seul médecin mandaté par le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre de la demande. / Ce médecin, qualifié médecin expert, est choisi soit parmi les médecins militaires, soit parmi les médecins civils spécialement agréés à cet effet. L'agrément des médecins civils est délivré, pour une durée d'un an tacitement renouvelable, par le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre. ". L'article R. 12 du même code précise que : " Préalablement à l'examen de l'intéressé, le médecin expert doit être mis en possession des pièces de l'instruction nécessaires à cet examen. Il établit un certificat qui est revêtu de sa signature. / L'intéressé a la faculté de produire au médecin expert tout certificat médical ou document qu'il juge utile et dont il peut demander l'annexion au dossier. Il peut également à chacune des visites auxquelles il est procédé, se faire assister par son médecin traitant : ce médecin présente, s'il le juge utile, des observations écrites, qui sont jointes au procès-verbal. ". 4. M. B... soutient qu'il n'a pas été invité à se rendre à l'expertise confiée au docteur C..., muni de tous les documents médicaux en sa possession et qu'en outre, il ne lui a pas été précisé qu'il avait la possibilité de se faire accompagner à ses frais par un médecin. Le ministre a indiqué ne pas être en mesure de produire la convocation adressée à M. B.... Par suite, ce dernier est fondé à soutenir qu'il a été privé d'une garantie à l'occasion de la procédure d'expertise et qu'en conséquence la décision contestée, qui est notamment fondée sur les conclusions de cet expert, est entachée d'irrégularité. Il s'ensuit que cette décision doit être annulée. Sur les droits à pension de M. B... au titre de l'infirmité 3 : 5. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ". Aux termes de l'article L. 4 : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. ". Selon l'article L. 5 du même code : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. ". Enfin, l'article L. 6 de ce code dispose que : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. / L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Lorsque l'instruction médicale est achevée, le dossier est soumis pour avis à la commission consultative médicale dans les cas où cet avis est obligatoire ou lorsque l'un ou l'autre des services chargés de l'instruction ou de la liquidation de la pension l'estime utile. Le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre procède au constat provisoire des droits à pension et en notifie le résultat à l'intéressé ". L'article 15 dispose que " l'intéressé peut demander l'examen de son dossier par la commission de réforme ". Aux termes de l'article R. 17 du même code : " La commission de réforme ne délibère valablement que si son président ou son suppléant et un autre membre sont présents. ". 6. Ainsi qu'il a été rappelé au point 2, l'infirmité 3 dont souffre M. B... concerne des " séquelles de contusion vertébrale ". Elles entraînent des douleurs lombaires mécaniques, une raideur et des épisodes de blocage aigu avec sciatalgie et une limitation modérée de ces mouvements. L'intéressé présente en outre des séquelles dorsales consécutives à une maladie de Scheuermann contractée avant son engagement dans l'armée et un glissement de vertèbre L5 S1 dit " antélisthésis ". Si le ministre des armées fait valoir que le taux de 10 % non imputable au service mentionné dans l'arrêté du 23 mai 1989 au sujet de cette infirmité a acquis un caractère définitif, il résulte de l'instruction que, sur les 20 % retenus par l'expert puis la commission consultative médicale lors de sa séance du 17 avril 1989, cette décision a néanmoins admis un taux d'invalidité de 10 % imputable au service en raison de très nombreux sauts en parachute pratiqués par M. B... durant sa carrière militaire. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le ministre, la décision du 3 mai 1990 ne remet pas en cause le principe d'une part imputable au service de cette infirmité mais constate qu'elle est désormais inférieure au taux minimum indemnisable de 10 %. Dans le cadre de son expertise réalisée le 22 février 2018, le docteur C... s'est borné à indiquer qu'il était impossible de ventiler le taux d'invalidité qu'il proposait de retenir pour cette infirmité entre la part imputable au service et celle qui ne l'est pas, sans écarter tout lien avec le service. Dans ces conditions, l'infirmité n°3 dont est affectée M. B... présente au moins partiellement un caractère imputable au service. En revanche, les pièces du dossier ne permettent pas d'évaluer la part imputable au service de cette infirmité. En conséquence, il y a lieu d'ordonner avant dire-droit, ainsi que le demande le requérant, une nouvelle expertise médicale dans les conditions mentionnées ci-dessous. DÉCIDE : Article 1er : La décision du 11 juillet 2018 est annulée. Article 2 : L'infirmité n°3 " Séquelles de contusion vertébrale - douleur lombaire mécanique, avec raideur, douleurs au changement de temps, épisodes de blocage aigu avec sciatalgie droite ou gauche incomplète. Limitation modérée en fin de mouvement. Distance doigts - sol 10 cm. Inflexion subnormale. Extension en décubitus retrouve une flexion. Rotation, inflexion lombaire normale. Radio : séquelles dorsales de maladie de Scheuermann antélisthésis L5, atypie transitionnelle. " dont reste atteint M. B... est partiellement imputable au service. Article 3 : Il sera procédé, avant dire droit, à une expertise médicale contradictoire entre les parties. Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il pourra solliciter la désignation d'un sapiteur et accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Article 5 : L'expert aura pour mission de : - prendre connaissance du dossier administratif et médical complet de M. B..., en ce qui concerne l'infirmité 3 mentionnée à l'article 2 du présent arrêt, se faire communiquer tout document utile auprès de tout tiers détenteur et entendre tout sachant ; - examiner l'intéressé, décrire son état de santé actuel ; - déterminer l'origine des symptômes se rattachant à cette infirmité, en précisant clairement la part non imputable au service résultant d'une pathologie ou anomalie constitutionnelle, et la part imputable au service présentant un lien direct notamment avec les nombreux sauts en parachute effectués par M. B... dans le cadre de ses fonctions militaires ; - dire si les symptômes résultant de sa pathologie ou anomalie constitutionnelle ont été aggravés par ses fonctions militaires et évaluer le taux de cette aggravation imputable au service ; - de façon générale, donner tous autres éléments d'information nécessaires. Article 6 : Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la cour en deux exemplaires et l'expert en notifiera des copies aux parties, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord des parties. Article 7 : L'expert appréciera l'utilité de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport. Article 8 : Les frais et honoraires d'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires. Article 9 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance. Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 5 avril 2024, à laquelle siégeaient : - M. Gaspon, président de chambre, - M. Coiffet, président-assesseur, - Mme Gélard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 avril 2024. La rapporteure, V. GELARDLe président, O. GASPON La greffière, I. PETTON La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 23NT00554
Cours administrative d'appel
Nantes
CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 12/04/2024, 23MA00081, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner La Poste à lui verser la somme de 23 048,20 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Par un jugement n° 2104710 du 21 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a, à l'article 1er, condamné La Poste à verser à M. D... la somme de 4 800 euros au titre des préjudices résultant de l'accident de service du 9 janvier 2017, aux articles 2 et 3, mis à la charge de La Poste les frais d'expertises taxés et liquidés à la somme de 1 680 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à l'article 4, rejeté la demande de La Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 précité. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2023, sous le n° 23MA00081, La Poste SA, représentée par Me Andreani, demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 novembre 2022 ; 2°) de rejeter la demande de M. D... ; 3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la faute commise par M. D... lors de l'accident de nature à l'exonérer entièrement ; - elle n'a commis aucune faute dans le cadre de l'intervention du véhicule de dépannage ; - le comportement de M. D... est fautif dès lors qu'il n'entrait pas dans le cadre de ses attributions d'intervenir dans l'opération de dépannage et est en contradiction avec les formations qu'il a suivies ; - dans le cadre de la responsabilité sans faute, son intervention constitue une faute de nature à exonérer entièrement la responsabilité. La requête a été communiquée à M. D... qui n'a pas produit de mémoire. Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal administratif de Marseille a omis de mettre en cause d'office la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône dont relevait M. D... en méconnaissance des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit d'observation. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de la sécurité sociale ; - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ; - le code de justice administrative. La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Marchessaux, - les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ; - et les observations de Me Tosi, représentant La Poste. Considérant ce qui suit : 1. M. D..., fonctionnaire de La Poste occupant le poste de responsable d'équipe, s'est blessé le 9 janvier 2017 en aidant un remorqueur à charger un véhicule de service immobilisé sur une dépanneuse et a eu la troisième phalange de l'index gauche sectionnée. Cet accident a été reconnu imputable au service le 13 janvier 2017. Il a adressé une demande préalable indemnitaire à la Poste le 15 décembre 2020, à laquelle il n'a pas été répondu. La Poste relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser à M. D... la somme de 4 800 euros au titre des préjudices résultant de l'accident de service du 9 janvier 2017 et a mis à sa charge les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 680 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Sur la régularité du jugement attaqué : 2. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date du jugement : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément. De même, en cas d'accident suivi de mort, la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit leur demeure acquise (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) ". 3. Il appartient au juge administratif, qui dirige l'instruction, d'ordonner la mise en cause des parties intéressées au litige. En ayant omis de mettre en cause d'office la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône en vue de l'exercice par celle-ci de l'action susmentionnée alors que M. D... soulevait la responsabilité pour faute de son employeur, le tribunal administratif de Marseille a méconnu la portée des dispositions précitées. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 novembre 2022. 4. Il y a lieu, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre cause d'irrégularité soulevée par la requérante tirée de ce que le tribunal aurait omis de statuer sur le moyen tiré de la faute de la victime, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Marseille. Sur la responsabilité pour faute : 5. En l'espèce, le 9 janvier 2017, M. D... fonctionnaire de la Poste occupant le poste de responsable d'équipe, s'est rendu à Lambesc pour intervenir sur un véhicule de type Staby en panne. Afin de faire remorquer ce véhicule, il a sollicité l'assistance d'un véhicule de dépannage, dans le cadre de son service. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le véhicule missionné aurait été inadapté, ni que La Poste aurait commis une faute en missionnant le véhicule de dépannage. Sur la responsabilité sans faute : 6. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait. 7. Il résulte de l'instruction que l'accident de M. D... survenu le 9 janvier 2017 a été reconnu imputable au service le 13 janvier 2017 à un taux d'IPP fixé à 5 %. Il ne bénéficie ni d'une allocation temporaire ni d'une rente d'invalidité. Par suite, s'il ne peut prétendre, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant ses pertes de revenus ou une incidence professionnelle, il peut prétendre à la réparation de préjudices d'une autre nature, même en l'absence de faute de son employeur. En ce qui concerne le partage de responsabilité : 8. La responsabilité sans faute de l'autorité administrative peut être atténuée ou supprimée dans le cas où l'accident est imputable à une faute de la victime. Il résulte de l'instruction que M. D..., employé par La Poste depuis plus de 36 ans, occupait le poste d'encadrant courrier distribution. Le 9 janvier 2017, il s'est rendu à Lambesc pour intervenir sur un véhicule de type Staby en panne. Afin de faire remorquer ce véhicule, il a sollicité l'assistance d'un véhicule de dépannage, dans le cadre de son service. M. D... a pris, seul, l'initiative d'intervenir pour aider le prestataire à charger le véhicule. Il a ainsi saisi la roue arrière gauche par l'un de ses bâtons, mais la roue à pivoté d'un quart de tour sur son axe, causant l'écrasement et la section de son index gauche entre la partie arrière de la roue et le moteur électrique. M. D... ne conteste pas le fait que cette intervention ne faisait pas partie de ses fonctions et qu'il n'avait reçu aucune formation en la matière. Dans ces conditions, l'accident de service survenu le 9 janvier 2017 étant en partie imputable à la faute de M. D..., il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité lui incombant en la fixant à 50 % des conséquences dommageables résultant de cet accident. En ce qui concerne les préjudices subis : 9. L'expert désigné par le tribunal administratif de Marseille a établi son rapport le 25 janvier 2021 et a fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. D... au 23 août 2017. S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires : Quant au préjudice esthétique temporaire : 10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 25 janvier 2021, que M. D... a souffert d'un préjudice esthétique temporaire du 9 janvier 2017 au 23 août 2017, évalué à 1 sur 7. Il y a lieu d'en faire une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 300 euros. Quant au déficit fonctionnel temporaire : 11. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport du 25 janvier 2021 que l'expert a estimé que le déficit fonctionnel temporaire était total le 9 janvier 2017, partiel du 10 janvier 2017 au 19 juin 2017 avec un taux de 7% et partiel du 20 juin 2017 au 23 août 2017 avec un taux de 5%. Par suite, il y a lieu d'évaluer ce préjudice à la somme de 200 euros. Quant aux souffrances endurées : 12. Il résulte du rapport d'expertise que M. D... a enduré des souffrances qu'il convient d'évaluer à 3 sur 7. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, en ce incluses les souffrances morales, en le fixant à la somme de 3 500 euros. S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents : Quant au préjudice esthétique permanent : 13. Il y a lieu d'évaluer le préjudice esthétique permanent lié à l'amputation à 1 sur 7, ainsi que l'expert le préconise. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 1 000 euros. Quant au déficit fonctionnel permanent : 14. Selon l'expert, ce préjudice est évalué à 5 %. Par suite, M. D... étant âgé de 56 ans au jour de la consolidation, il y a lieu d'évaluer son déficit fonctionnel permanent à la somme de 5 400 euros. Quant au préjudice d'agrément : 15. M. D... n'établit pas avoir subi une gêne dans les activités de loisirs pratiquées, alors que l'expertise mentionne que la perte de la pince index pouce de sa main gauche peut être remplacée aussi efficacement par la pince majeur pouce. 16. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 10 à 15, il y a lieu d'évaluer à la somme totale de 10 400 euros la réparation des préjudices subis par M. D.... Cependant, eu égard au partage de responsabilité mentionné au point 8, La Poste doit être condamnée à lui verser la somme de 5 200 euros. 17. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à demander la condamnation de La Poste à lui verser la somme de 5 200 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident de service survenu le 9 janvier 2017. Sur les frais d'expertise : 18. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagée entre les parties (...) ". 19. Il y a lieu de mettre à la charge de la Poste, partie perdante les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme totale de 1 680 euros par les ordonnances de la présidente du tribunal le 9 mars 2021. Sur les frais liés au litige : 20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D... qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par La Poste au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de La Poste une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... en première instance et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 novembre 2022 est annulé. Article 2 : La poste est condamnée à verser à M. D... la somme de 5 200 euros. Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 680 euros toutes taxes comprises, sont mis à la charge définitive de La Poste. Article 4 : La Poste versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre des frais de première instance, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté. Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à La Poste SA, à M. A... D... et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône. Copie en sera adressée au docteur B... C..., expert près la Cour d'appel de Nîmes. Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, où siégeaient : - Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, - Mme Marchessaux, première conseillère, - Mme Poullain, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2024. N° 23MA00081 2 bb
Cours administrative d'appel
Marseille
cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 23/04/2024, 22TL21148, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande préalable tendant au versement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison de la faute commise par l'administration qui a tardé à agréer sa candidature à un recrutement dans un emploi civil de la fonction publique, de condamner l'Etat à lui verser la somme sollicitée de 20 000 euros et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n°2001462 du 9 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 13 mai 2022, M. B... A... représenté par Me Hubert, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement n° 2001462 du 9 mars 2022 ; 2°) d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande préalable tendant au versement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de la faute commise par l'administration qui a tardé à agréer sa candidature à un recrutement dans un emploi civil de la fonction publique ; 3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme sollicitée de 20 000 euros ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de ce que l'administration a commis une faute en lui adressant l'agrément de l'article L.4139-2 du code de la défense et non celui de l'article L.4139-3 et est insuffisamment motivé ; - le jugement est irrégulier faute de comporter les signatures du président rapporteur, de l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau et du greffier d'audience ; - le ministre de la défense a commis une faute en délivrant tardivement, le 3 mai 2018, l'agrément qu'il avait sollicité 27 avril 2017 ; - s'il a sollicité des informations utiles à sa reconversion, ces demandes ne faisaient pas obstacle à une demande afin d'obtenir un agrément pour travailler au sein d'une autre administration civile de l'Etat ; - la délivrance de l'agrément prévu par les articles R.4139-14, 4139-23 et 4139-32 du code de la défense plus d'un an après la demande initiale est un délai anormalement long ; - cette inertie l'a empêché de postuler à plusieurs emplois au sein d'administrations civiles et lui a fait perdre une chance d'accéder à plusieurs postes durant l'année 2018 ; - en outre l'administration a commis une faute en lui adressant l'agrément de l'article L.4139-2 du code de la défense et non celui de l'article L.4139-3 alors qu'il avait sollicité les deux ; - il a été victime d'une rupture d'égalité en ayant été placé dans une situation différente des militaires ayant pu bénéficier d'un détachement et d'une intégration pour l'année 2018. Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : - les dispositions des articles L.4139-2 et L 4139-3 du code de la défense permettent d'intégrer indifféremment l'une des trois fonctions publiques par voie dérogatoire au concours ; - le préjudice invoqué est incertain, la perte de chance invoquée par M. A... n'est pas sérieuse ; - M. A... n'était manifestement pas en mesure d'occuper un emploi dans la fonction publique en 2018 et 2019 au regard de son état de santé ; - l'intéressé, rayé des contrôles de l'armée active à sa demande le 1er avril 2020, a pu bénéficier des nouvelles dispositions de l'article L. 4139-2 du code de la défense, qui incluent désormais dans leur champ d'application les anciens militaires et il a ainsi reçu l'agrément de l'article L 4139-2 du code de la défense, valable du 1er avril 2020 au 31 mars 2023 ; - il s'en remet pour le surplus à ses écritures de première instance. Par une ordonnance du 20 octobre 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 20 novembre 2023 à 12h. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de la défense ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère, - et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. A... caporal-chef de première classe sous contrat, spécialiste de la filière " énergie électromécanique dans le cadre du domaine génie ", affecté depuis 1er juillet 2010 au 31ème régiment du génie à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), a sollicité, le 26 avril 2017, l'octroi d'un agrément pour bénéficier d'un détachement sur un emploi civil au sein de la fonction publique. Par une décision du 3 mai 2018, la ministre des armées a fait droit à sa demande et lui a délivré l'agrément sollicité. M. A... a ensuite réclamé le versement d'une somme de 20 000 euros en réparation de la perte de chance d'accéder à un emploi civil au cours de l'année 2018 en raison de la carence fautive des services des armées dans le traitement de sa demande. M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa réclamation préalable et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros. Par un jugement du 9 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes. M. A... relève appel de ce jugement. Sur la régularité du jugement : 2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que l'administration a commis une faute en délivrant uniquement un agrément au titre de l'article L 4139-2 du code de la défense alors que le requérant avait également sollicité un agrément au titre de l'article L. 4139-3 du même code. Par suite, l'appelant est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité qu'il soulève, à soutenir que le jugement est irrégulier et doit être annulé. 3. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Toulouse par M. A.... Sur la responsabilité de l'Etat : 4. La décision du 7 janvier 2020 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. A... qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Eu égard à l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux, sont sans incidence sur la solution du litige. 5. Aux termes du I de l'article L. 4139-2 du code de la défense, dans sa rédaction applicable au litige : " Le militaire, remplissant les conditions de grade et d'ancienneté peut, sur demande agréée, après un stage probatoire, être détaché, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, pour occuper des emplois vacants et correspondant à ses qualifications au sein des administrations de l'Etat, des collectivités territoriales, de la fonction publique hospitalière et des établissements publics à caractère administratif, nonobstant les règles de recrutement pour ces emplois. Les contingents annuels de ces emplois sont fixés par voie réglementaire pour chaque administration de l'Etat et pour chaque catégorie de collectivité territoriale ou établissement public administratif, compte tenu des possibilités d'accueil. (...) ". Aux termes de l'article L 4139-3 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Le militaire, à l'exception du militaire commissionné, peut se porter candidat pour l'accès aux emplois réservés, sur demande agréée, dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. (...) ". 6. M. A... a sollicité, le 26 avril 2017, un agrément en vue de bénéficier d'un détachement dans un emploi relevant d'un corps de fonctionnaire de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière avec pour projet de candidater sur un poste d'agent technique du ministère de la défense. L'intéressé a demandé au mois de novembre 2017 à bénéficier d'un congé de reconversion du 7 mai au 25 octobre 2018, puis d'un congé complémentaire de reconversion du 26 octobre 2018 au 31 janvier 2019 afin de suivre une formation de technicien de maintenance en chauffage et climatisation. Il a enfin modifié son projet de reconversion au mois de février 2018 en informant l'administration de son souhait de suivre une formation de technicien en installation de chauffage, climatisation et énergie renouvelable du 22 octobre 2018 au 10 avril 2019 et de bénéficier d'une période de congé complémentaire de reconversion du 11 avril au 26 juillet 2019. Cet agrément lui a finalement été délivré le 3 mai 2018 après saisine de la commission de recours des militaires. Ces différentes demandes de congé de reconversion n'étaient pas par elles-mêmes de nature à faire regarder la demande d'agrément d'avril 2017 afin de bénéficier d'un détachement dans la fonction publique comme ayant été suspendue ou devenue sans objet. Alors même que la procédure spécifique de détachement de l'article L. 4139-2 du code de la défense n'est encadrée par aucun délai contraint d'examen, le délai de plus d'un an mis pour instruire la demande de M. A... a revêtu en l'espèce une durée excessive. 7. Si M. A... soutient par ailleurs qu'il a été placé dans une situation différente de celle des militaires ayant pu bénéficier d'un détachement et d'une intégration pour l'année 2018, il n'apporte aucun élément de nature à justifier la rupture d'égalité qu'il invoque. 8. Enfin, il résulte des écritures présentées par M. A... devant la commission de recours des militaires que l'intéressé contestait le refus de son agrément au titre de l'article L 4139-2 du code de la défense en vue de sa reconversion afin de pouvoir bénéficier d'un détachement dans un emploi de la fonction publique de l'Etat, territoriale ou hospitalière, en particulier sur un emploi d'agent technique au sein du ministère de la défense, sans solliciter un agrément pour accéder aux emplois réservés visés par l'article L. 4139-3 du code de défense. A supposer même que M. A... ait entendu maintenir sa demande faite sur le fondement de l'article L. 4139-3 du code de la défense cochée dans le formulaire de demande initiale de 2017, cette circonstance ne saurait, contrairement à ce qu'il indique, l'avoir empêché de présenter sa candidature sur des postes de la fonction publique territoriale et hospitalière. 9. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que seule la durée excessive d'instruction de la demande de M. A... constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'elle a pu causer à l'intéressé. Sur les préjudices : 10. M A... sollicite le versement d'une somme de 20 000 euros correspondant à la différence entre les revenus qu'il a perçus en travaillant dans le secteur privé et ceux qu'il aurait pu percevoir en occupant un emploi public. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que des postes offerts au titre de l'année 2018 et recensés par la commission nationale d'orientation et d'intégration auraient pu correspondre à la spécialité de M. A.... L'intéressé a d'ailleurs été placé en congé pour maladie du 25 mai 2018 au 20 novembre 2018 puis en congé de longue durée du 21 novembre 2018 au 1er avril 2020, date de sa radiation des contrôles. Dans ces conditions, il ne saurait être regardé comme ayant perdu une chance sérieuse de bénéficier d'un emploi public dès l'année 2018 et de percevoir des revenus supplémentaires. 11. Il résulte de ce qui précède que la demande indemnitaire de M. A... ne peut qu'être rejetée. Sur les frais liés au litige : 12. Les dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : Le jugement n°2001462 du 9 mars 2022 du tribunal administratif de Toulouse est annulé. Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient : Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre, Mme Blin, présidente assesseure, Mme Arquié, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024. La rapporteure, C. Arquié La présidente, A. Geslan-Demaret La greffière, M-M. Maillat La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 2 N° 22TL21148
Cours administrative d'appel
Toulouse
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 23/04/2024, 23MA01521, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... B... veuve A... a demandé au Conseil d'Etat, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Nantes, lequel l'a transmise au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, qui l'a à son tour transmise au tribunal administratif de Marseille, d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension présentée le 25 octobre 2017 et de lui attribuer une pension militaire d'invalidité de réversion à l'indice 1 681,66. Par une ordonnance n° 2004231 du 1er mars 2023, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juin 2023 et le 5 mars 2024, Mme B... veuve A..., représentée par Me Mattler, demande à la Cour : 1°) d'annuler cette ordonnance du 1er mars 2023 ; 2°) à titre principal, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Marseille ; 3°) subsidiairement, de faire droit à sa demande de majoration de sa pension de réversion à hauteur de 500 points d'indice en application de l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, avec un supplément social de pension portant le montant de sa pension aux 4/3 de la pension au taux normal correspondant à l'indice 500, en application de l'article L. 141-19 du même code, cet indice étant ainsi, au 25 octobre 2017, celui de 1 681,66 ; 4°) de la renvoyer devant l'administration des pensions pour mise en œuvre des dispositions applicables en matière de pension de réversion, de majoration comme de supplément social et de régularisation financière afférente ; 5°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - son appel est recevable, compte tenu du délai de distance dont elle doit bénéficier en raison de son domicile à l'étranger ; - elle justifie de la réception par la sous-direction des pensions de La Rochelle de sa demande de révision de pension de réversion et maintient qu'elle entend faire usage de la pièce n° 31 authentique, et jointe à sa requête, de sorte que sa demande de première instance était dirigée contre une décision tacite de rejet née du silence gardé sur cette demande de révision, et que l'ordonnance attaquée doit être annulée ; - elle a droit à une majoration spéciale de sa pension, proportionnelle à la durée de son mariage et des soins apportés de manière constante à son défunt époux, correspondant à 500 points d'indice, en application de l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - elle a droit également à un supplément social de pension qui porte le montant de sa pension aux quatre tiers de sa pension au taux normal, en application de l'article L. 141-19 du même code, en l'absence de toute cristallisation des droits ou des indices ; - la décision implicite de rejet est donc entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation. Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et par inscription de faux en application de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, à ce que soit écartée des débats la pièce n° 31 produite par l'appelante, en faisant valoir que les pièces produites ne sont pas de nature à démontrer la réception de sa demande de révision de pension et que la pièce n° 31 est un faux. Par une ordonnance du 29 janvier 2024 la clôture d'instruction a été fixée au 16 février 2024, à 12 heures, puis par une ordonnance du 14 février 2024, a été reportée du 16 février 2024 au 6 mars 2024, à 12 heures. Par une lettre du 22 mars 2024, la Cour a demandé au ministre des armées, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, s'il confirme que la pratique du poinçon horodaté par la sous-direction des pensions avait cours, en 2016 et en 2017, pour justifier de la réception par ses services des plis, notamment des plis recommandés avec avis de réception, et, dans le cas contraire, de communiquer les modalités de prise de connaissance des plis ainsi reçus. Par une lettre du 22 mars 2024, la Cour a demandé à Mme B... veuve A..., sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, d'une part, d'indiquer les modalités suivant lesquelles elle a pu se procurer les éléments de justification de La Poste algérienne qu'elle a produits pour la première fois en appel, et si, avec les références du courrier recommandé figurant sur ces pièces, elle a cherché à obtenir une preuve de la réception de son pli par la sous-direction des pensions à La Rochelle, et d'autre part, de confirmer qu'elle entend se prévaloir de ces pièces à l'appui de son appel. Le ministre des armées a répondu le 5 avril 2024 à la demande de précisions formulée par la Cour. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Revert, - les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique, - et les observations de Me Mattler, représentant Mme B... veuve A.... Considérant ce qui suit : 1. Mme B... veuve A... est titulaire d'une pension militaire d'invalidité de réversion, dont elle affirme avoir demandé la révision, le 25 octobre 2017, pour bénéficier de la majoration prévue par l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par une ordonnance du 1er mars 2023, dont Mme B... veuve A... relève appel, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision tacite de rejet qu'elle estime être née du silence gardé par la ministre des armées sur cette demande de révision de pension. Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée : 2. Pour rejeter comme irrecevable la demande de Mme B... veuve A... en application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le premier juge a considéré qu'elle ne justifiait ni de l'envoi de sa demande de révision de pension du 25 octobre 2017, ni de sa réception par le service des pensions et que, par suite, son recours était dirigé contre une décision inexistante. En ce qui concerne le cadre juridique applicable : 3. Aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, qui sont applicables aux demandes de pensions militaires d'invalidité au jour de la demande de Mme B... veuve A..., en l'absence de disposition du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre régissant ce point à cette même date : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : (...) 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;(...) ". 4. En outre, aux termes de l'article L. 114-3 du même code : " Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'administration initialement saisie. ". L'article R. 421-2 du code de justice administrative dispose quant à lui que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête ". En ce qui concerne l'existence d'une décision objet du litige : 5. D'une part, il ressort des pièces produites pour la première fois en cause d'appel, et de leur traduction en langue française, que Mme B... veuve A... a adressé sa demande de révision de pension du 25 octobre 2017 par lettre recommandée avec avis de réception déposée auprès des services postaux algériens le 4 novembre 2017. Si le tampon horodateur de la sous-direction des pensions apposé sur l'avis de réception de ce pli mentionne pour date de réception le mardi 18 décembre 2016, laquelle est erronée quant à l'année et au jour en cause, une telle indication révèle néanmoins la réception de la demande par les services du ministre des armées. Compte tenu des délais moyens d'acheminement du courrier depuis l'Algérie vers la France, la date de réception de la demande de révision de pension de Mme B... veuve A... peut être fixée au plus tard au 4 décembre 2017. 6. D'autre part, aux termes de l'article R. 633-1 du code de justice administrative ; " Dans le cas d'une demande en inscription de faux contre une pièce produite, la juridiction fixe le délai dans lequel la partie qui l'a produite sera tenue de déclarer si elle entend s'en servir. / Si la partie déclare qu'elle n'entend pas se servir de la pièce, ou ne fait pas de déclaration, la pièce est rejetée. Si la partie déclare qu'elle entend se servir de la pièce, la juridiction peut soit surseoir à statuer sur l'instance principale jusqu'après le jugement du faux rendu par le tribunal compétent, soit statuer au fond, si elle reconnaît que la décision ne dépend pas de la pièce arguée de faux. ". Il appartient néanmoins au juge administratif de connaître des contestations, y compris celles présentées sous la forme d'inscriptions de faux, portant sur les documents postaux relatifs à l'acheminement du courrier dans le cadre d'une procédure administrative ou d'une procédure qui se déroule devant la juridiction administrative. Il en va de même lorsque ces contestations visent les mentions, portées sur des documents postaux établis par des services relevant d'Etats étrangers, mais attribuées par les parties à des services des administrations de l'Etat français. 7. A l'appui de ses écritures devant la Cour, le ministre des armées demande, par une inscription de faux présentée sur le fondement de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, que les justificatifs produits par l'appelante et évoqués au point 5 soient écartés des débats, compte tenu de l'incohérence existant entre la date d'envoi de la demande de révision de pension, le 4 novembre 2017, et la date de réception de cette demande apposée au moyen du tampon horodateur, le 18 décembre 2016. Toutefois, dès lors qu'il ne peut être exclu que cette discordance de dates, qui affecte les seules mentions issues du tampon horodateur, résulte d'une erreur ou d'un dysfonctionnement de cet instrument, dont le ministre admet qu'il était encore employé à cette date pour établir la réception des courriers par ses services, et qu'elle ne peut manifestement pas profiter à la requérante, il ne résulte pas de l'instruction que de telles mentions seraient constitutives d'un faux, et que ces pièces devraient être écartées des débats. 8. Il résulte de tout ce qui précède que, contrairement à ce qu'a considéré le premier juge, le silence gardé par le ministre des armées pendant un délai de deux mois sur la demande de révision de pension formée par Mme B... veuve A... le 25 octobre 2017 a pu faire naître, en application de l'article L. 114-3 du code des relations entre le public et l'administration, une décision tacite de rejet de cette demande, dont elle était recevable à demander l'annulation. Il y a donc lieu d'annuler l'ordonnance attaquée et au cas d'espèce, ainsi que le demande d'ailleurs Mme B... veuve A..., de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Marseille pour qu'il soit statué sur sa demande. Sur les frais d'instance : 9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans cette instance, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... veuve A... et non compris dans les dépens. DECIDE : Article 1er : L'ordonnance n° 2004231 rendue le 1er mars 2023 par le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille est annulée. Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille pour qu'il soit statué sur la demande de Mme B... veuve A.... Article 3 : L'Etat versera à Mme B... veuve A... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... veuve A... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, où siégeaient : - M. Marcovici, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Martin, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024. N° 23MA015212
Cours administrative d'appel
Marseille
cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 23/04/2024, 22TL21302, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier : 1°) sous le n°2001512, d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier en ce qu'il la place à la retraite à compter du 1er décembre 2019 et d'enjoindre à l'Etat de la placer en retraite pour invalidité à compter du 21 janvier 2020 ; 2°) sous le n°2001513, d'annuler le titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 au lieu de l'indice 735 et d'enjoindre à l'Etat de calculer sa pension de retraite sur la base de l'indice 735 ; 3°) sous le n°2001514, d'annuler la décision du 9 mars 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier ayant pour objet " titre pour trop-perçu " et de la décharger de la somme de 2 850,10 euros ; 4°) pour chacune de ces demandes, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n°2001512, 2001513, 2001514 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête, enregistrée le 7 juin 2022, Mme A..., représentée par Me Betrom, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du 8 avril 2022 ; 2°) d'enjoindre à l'Etat de calculer sa retraite sur la base de l'indice 735 ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - l'arrêté du 21 janvier 2020 est illégal, elle ne pouvait être placée rétroactivement à la retraite à compter du 1er décembre 2019 alors qu'elle pouvait bénéficier d'un régime plus favorable jusqu'au 21 janvier 2020 ; - le titre de pension est dépourvu de base légale du fait de l'illégalité de l'arrêté de radiation ; - sa retraite est calculée de manière erronée sur la base de l'indice 727 au lieu de l'indice 735 figurant sur son bulletin de salaire de janvier 2020. Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à titre principal à l'incompétence de la cour administrative d'appel et à titre subsidiaire au rejet au fond de la requête. Il fait valoir que : - le litige relatif à l'indice de liquidation d'une pension civile de retraite relève des litiges en matière de pension de retraite au sens du 7° de l'article R.811-1 du code de justice administrative, dont le tribunal administratif connaît en premier et dernier ressort, seul le Conseil d'Etat est ainsi compétent pour en connaître ; - la requête d'appel, qui se borne à reproduire intégralement et exclusivement le mémoire de première instance est irrecevable ; - les autres moyens ne sont pas fondés. Par un mémoire en défense enregistré le 16 novembre 2023, la rectrice de l'académie de Montpellier conclut à titre principal, à la transmission de la requête au Conseil d'Etat et à titre subsidiaire, à son rejet au fond. Elle fait valoir que : - seul le Conseil d'Etat est compétent pour connaître du présent litige ; - elle s'associe à la fin de non-recevoir opposée par le ministre, les moyens étant strictement identiques à ceux soulevés en première instance ; - les autres moyens ne sont pas fondés. Par une ordonnance du 17 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été reportée au 12 décembre 2023 à 12h. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère, - et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. Mme B... A..., ingénieure de recherche de 2ème classe qui exerçait ses fonctions à la division académique des services informatiques du rectorat de l'académie de Montpellier, a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2020 de la rectrice de l'académie en ce qu'il la place à la retraite rétroactivement à compter du 1er décembre 2019, d'annuler le titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 au lieu de l'indice 735, d'annuler la décision du 9 mars 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier ayant pour objet " titre pour trop-perçu " et enfin de la décharger de l'obligation de payer la somme de 2 850,10 euros. Elle relève appel du jugement du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 janvier 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier et à l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2020 des services de retraite de l'Etat portant titre de pension. Sur les conclusions dirigées contre le titre de pension du 27 janvier 2020 : 2. Aux termes de l'article R. 351-2 du code de justice administrative : " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence du Conseil d'Etat, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d'Etat qui poursuit l'instruction de l'affaire. (...) ". 3. Aux termes de l'article R. 811-1 du même code : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : (...) 7° Sur les litiges en matière de pensions de retraite des agents publics (...) ". 4. Un litige tendant à la révision de l'indice retenu comme base de calcul d'un titre de pension constitue un litige en matière de pension de retraite au sens des dispositions du 7° de l'article R.811-1 du code de justice administrative, sur lequel le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Par suite, il y a lieu, en application des dispositions de l'article R. 351-2 du code de justice administrative citées au point 2 de transmettre les conclusions de la requête de Mme A... tendant à l'annulation du titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 au Conseil d'Etat. Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 21 janvier 2020 : 5. Les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. Par suite, en l'absence de disposition législative l'y autorisant, l'administration ne peut, même lorsqu'elle est saisie d'une demande de l'intéressé en ce sens, déroger à cette règle générale et conférer un effet rétroactif à une décision d'admission à la retraite, à moins qu'il ne soit nécessaire de prendre une mesure rétroactive pour tirer les conséquences de la survenance de la limite d'âge, pour placer l'agent dans une situation régulière ou pour remédier à une illégalité. 6. Mme A... a été placée en congé de longue durée imputable au service à compter du 29 mars 2016, jusqu'au 30 novembre 2019, date d'expiration de son congé de longue durée. Consécutivement à sa demande du mois de janvier 2019 d'être mise à la retraite pour invalidité, l'administration a saisi la commission de réforme qui a émis, le 30 avril 2019, un avis favorable à la mise à la retraite de Mme A... pour invalidité imputable au service en raison d'une inaptitude totale et définitive à ses fonctions et toutes fonctions. Le ministre chargé du budget a rendu un avis conforme à sa mise à la retraite le 17 janvier 2020. La circonstance que l'intéressée ait continué à bénéficier d'un demi-traitement du 1er décembre 2019 jusqu'au 21 janvier 2020 n'est pas par ailleurs de nature à établir qu'elle aurait alors été placée en congé de longue maladie. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont indiqué les premiers juges, l'arrêté du 21 janvier 2020 portant admission de Mme A... à la retraite rétroactivement à compter du 1er décembre 2019 était nécessaire pour placer l'intéressée dans une situation régulière à compter de l'expiration, le 30 novembre 2019, de son congé de longue durée. Par suite, le moyen tiré du caractère rétroactif illégal de l'arrêté du 21 janvier 2020 doit être écarté. 7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 janvier 2020, en tant qu'il a retenu la date du 1er décembre 2019 comme date de mise à la retraite. Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige : 8. Les dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : Les conclusions de la requête de Mme A... tendant à l'annulation du titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 sont transmises au Conseil d'Etat. Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de Montpellier. Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient : Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre, Mme Blin, présidente assesseure, Mme Arquié, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024. La rapporteure, C. Arquié La présidente, A. Geslan-Demaret La greffière, M-M. Maillat La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 2 No 22TL21302
Cours administrative d'appel
Toulouse
Conseil d'État, 9ème chambre, 22/04/2024, 469576, Inédit au recueil Lebon
Vu les procédures suivantes : I.- Sous le n° 469576, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, les arrêtés des 19 mars et 4 octobre 2018 et, d'autre part, l'avenant n° 1 du 14 septembre 2018 à la convention du 29 juillet 2015 par lesquels le ministre de l'intérieur l'a maintenu en position de mise à disposition, à temps plein, auprès du préfet de la Gironde, en tant qu'ils ne prennent pas en compte les services accomplis durant cette mise à disposition pour la détermination de ses droits à pension. Par un jugement n° 1805420 du 22 juin 2020, ce tribunal a fait droit à sa demande. Par un arrêt n° 20BX02846 du 11 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel formé par le ministre de l'intérieur contre ce jugement, annulé celui-ci et rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux. Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 décembre 2022 et 20 février 2023 et le 6 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler cet arrêt ; 2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'intérieur ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. .................................................................................... Vu les autres pièces des dossiers ; Vu : - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le code de la sécurité intérieure ; - la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mme Agathe Lieffroy, maîtresse des requêtes en service extraordinaire, - les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. A... ;Considérant ce qui suit : 1. Le pourvoi et la requête tendant au sursis à exécution présentés par M. A... sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision. 2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., commandant de la police nationale, a été mis à disposition du préfet de la région Aquitaine, préfet de la Gironde, du 1er septembre 2014 au 31 août 2017 pour exercer les fonctions de délégué du préfet de la Gironde, par arrêté du ministre de l'intérieur du 29 juillet 2015. Par deux arrêtés du ministre de l'intérieur des 19 mars et 4 octobre 2018, cette mise à disposition a été renouvelée pour la période du 1er septembre 2017 au 31 août 2020 et un avenant à la convention de mise à disposition signé 14 septembre 2018. Par un jugement du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a, sur la demande de M. A..., annulé ces arrêtés des 19 mars et 4 octobre 2018 et cet avenant en tant qu'ils prévoient que M. A... ne bénéficie pas de la bonification spéciale de retraite prévue à l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de la police. Par un arrêt du 11 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel du ministre de l'intérieur, a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux. M. A... se pourvoit en cassation contre cet arrêt et en demande le sursis à exécution. Sur le pourvoi n° 469576 : 3. D'une part, aux termes de l'article R. 411-2 du code de la sécurité intérieure : " Les fonctionnaires actifs des services de la police nationale sont affectés à des missions ou activités :/1° De protection des personnes et des biens ;/2° De prévention de la criminalité et de la délinquance ;/3° De police administrative ;/4° De recherche et de constatation des infractions pénales, de recherche et d'arrestation de leurs auteurs ;/5° De recherche de renseignements ;/6° De maintien de l'ordre public ;/7° De coopération internationale ;/8° D'état-major et de soutien des activités opérationnelles ;/9° De formation des personnels./(...) ". 4. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police : " Les agents des services actifs de police de la préfecture de police, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 dont la limite d'âge était, au 1er décembre 1956, égale à cinquante-cinq ans, bénéficient, à compter du 1er janvier 1957, s'ils ont droit à une pension d'ancienneté ou à une pension proportionnelle pour invalidité ou par limite d'âge, d'une bonification pour la liquidation de ladite pension, égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police. Cette bonification ne pourra être supérieure à cinq annuités. (...)". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " Par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les personnels des services actifs de police appartenant aux catégories énumérées au premier alinéa de l'article 1er et à l'article 6 de la présente loi peuvent être admis à la retraite, sur leur demande, à la double condition de justifier de vingt-sept années de services effectifs ouvrant droit à la bonification précitée ou de services militaires obligatoires et de se trouver à cinq ans au plus de la limite d'âge de leur grade. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 de cette même loi : " Les dispositions des articles 1er à 3 ci-dessus seront applicables, suivant les mêmes modalités et à l'exception des catégories équivalentes à celles qui, à la préfecture de police n'en sont pas bénéficiaires, aux personnels des services actifs de la sûreté nationale, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, les services actifs de police sont ceux qui impliquent l'exercice de fonctions de la nature de celles mentionnées à l'article R. 411-2 du code de la sécurité intérieure cité au point 3. 5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif n'était pas recevable, faute pour les arrêtés et l'avenant en litige de lui faire grief, la cour administrative d'appel de Bordeaux a relevé que la bonification spéciale de retraite prévue par les dispositions de la loi du 8 avril 1957 citées au point 4 n'entrait dans aucun des cas pour lesquels les textes relatifs au régime des pensions civiles et militaires prévoyaient une procédure de validation détachable de la liquidation de la pension et, d'autre part, que M. A... n'était recevable à demander le bénéfice de cette bonification qu'à l'occasion de la liquidation de sa pension de retraite. 6. Or, les dispositions des arrêtés et de l'avenant contestés qui refusaient à M. A..., au titre de la bonification spéciale de retraite prévue à l'article 1er de la loi 8 avril 1957, la prise en compte des services accomplis durant sa mise à disposition auprès du préfet de la Gironde, faisant par suite obstacle à leur prise en compte pour apprécier son droit à un départ anticipé à la retraite en application de l'article 2 de cette même loi, avaient une incidence directe sur sa date de départ à la retraite. Dès lors, elles revêtaient le caractère d'une décision administrative détachable des opérations afférentes à la liquidation de la pension, susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Par suite, en jugeant que la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif n'était pas recevable, faute pour les arrêtés et l'avenant en litige de lui faire grief, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit. 7. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Sur la requête tendant au sursis à exécution n° 471524 : 8. Le Conseil d'Etat se prononçant par la présente décision sur le pourvoi formé par M. A... contre l'arrêt du 11 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, les conclusions aux fins de sursis à exécution de cet arrêt sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer. Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : 9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D E C I D E : -------------- Article 1er : L'arrêt du 11 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé. Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... tendant au sursis à exécution de l'arrêt du 11 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2024 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et Mme Agathe Lieffroy, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure. Rendu le 22 avril 2024. La présidente : Signé : Mme Anne Egerszegi La rapporteure : Signé : Mme Agathe Lieffroy Le secrétaire : Signé : M. Brian Bouquet La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :ECLI:FR:CECHS:2024:469576.20240422
Conseil d'Etat
CAA de LYON, 7ème chambre, 25/04/2024, 23LY01315, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 26 mai 2021 par laquelle la commission de recours de l'invalidité (CRI) a rejeté son recours administratif préalable obligatoire dirigé contre la décision 1er décembre 2020 du service des retraites de l'État portant rejet de sa demande de retrait de suspension partielle de sa pension de victime civile de guerre et d'enjoindre à l'État de mettre un terme à la suspension de cette pension et de la lui verser rétroactivement. Par un jugement n° 2105463 du 17 mars 2023, le tribunal a rejeté sa demande. Procédure devant la cour Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 avril et 13 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Bouhalassa, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement et la décision du 26 mai 2021 ; 2) d'enjoindre à l'État de mettre un terme à la suspension de sa pension et de la lui verser rétroactivement ; 3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - c'est à tort que la commission de recours de l'invalidité a considéré qu'il ne pouvait pas cumuler la pension de victime civile de guerre, attribuée par un tribunal, avec la rente d'accident de travail, versée par la CNP Assurances ; - le jugement est irrégulier ; le tribunal a commis une erreur de droit en estimant que l'administration n'avait pas suspendu mais " procédé à ladite réduction en suspendant le paiement de la pension " ; le deuxième alinéa de l'article L. 162-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ne prévoit pas la suspension de la pension mais la déduction des autres indemnités de son montant ; - l'indemnisation de ses postes de préjudice, à supposer même qu'ils soient issus d'un même fait générateur, ne sont pas couverts par la pension de victime civile de guerre qui lui a été accordée ; le troisième alinéa de ces mêmes dispositions ne fait pas obstacle à une indemnisation au titre de préjudices non couverts par la pension. Par un mémoire enregistré le 1er septembre 2023, le ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à l'annulation du jugement et au rejet de la requête de M. B... et demande de mettre à la charge de ce dernier une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - le jugement est irrégulier ; le recours était irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée ; - aucun moyen n'est fondé. Par une ordonnance du 6 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2023. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 juin 2023. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - le code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ; - et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ; Considérant ce qui suit : 1. M. B..., qui est né en 1953, a été victime d'un accident de la circulation causé par un camion militaire en Algérie le 31 juillet 1961. Il est titulaire à ce titre d'une rente viagère versée par la CNP Assurances à la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er décembre 1978. Par ailleurs, par un jugement du 8 décembre 2016, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille lui a accordé une pension de victime civile de guerre, définitivement concédée par un arrêté du 26 février 2018. En raison de la rente d'accident du travail servie par la CNP assurance pour le même fait générateur, le service des retraites de l'État, par une décision du 13 mars 2018, a suspendu partiellement le paiement de sa pension de victime civile de guerre concédée à titre définitif à compter du 1er janvier 2002. Par un courrier reçu le 2 février 2021, il a demandé à la commission de recours amiable d'annuler la décision du 1er décembre 2020 du service des retraites de l'État rejetant sa demande de retrait de la décision du 13 mars 2018. Par un jugement du 17 mars 2023, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la commission de recours amiable du 26 mai 2021 portant rejet de son recours contre la décision 1er décembre 2020. 2. Aux termes de l'article L. 162-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les pensions définitives ou temporaires, majorations et allocations concédées conformément aux dispositions du présent code ne sont cumulables avec toute autre indemnisation attribuée au titre d'un autre régime de réparation pour le même chef de préjudice que dans la limite fixée au deuxième alinéa. / En cas de pluralité d'indemnisations, la pension du présent code est attribuée mais les rentes, indemnités en capital, allocations temporaires d'invalidité ou toutes autres indemnités servies en vertu d'un autre régime de réparation aux victimes directes ou à leurs ayants cause, au titre des mêmes infirmités que celles qui ouvrent le droit à pension, ou au titre du décès, sont déduites du montant de la pension. / Les présentes dispositions ne font pas obstacle au versement d'indemnisations au titre des postes de préjudice qui ne sont pas couverts par la pension d'invalidité. ". Aux termes de l'article R. 162-1 du même code : " Lorsque l'indemnité non cumulable avec la pension a été attribuée sous la forme d'un capital, le montant de la pension est diminué de la rente viagère qu'aurait produite cette somme si elle avait été placée à capital aliéné. ". 3. M. B... soutient que la règle du non cumul ne lui est pas opposable dès lors que CNP Assurances, qui lui verse une rente, est un organisme de droit privé. Toutefois, cette rente, versée par l'État en exécution du jugement de la cour d'appel de Paris du 1er décembre 1978, ne constitue pas un régime d'indemnisation privée et pouvait donc valablement être prise en compte pour l'application du principe du non cumul prévu à l'article L. 162-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par suite le moyen ne peut qu'être écarté. 4. Le requérant fait également valoir que, en méconnaissance de l'article L. 162-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui prévoit uniquement une déduction de la pension, l'administration en a suspendu le paiement. Cependant, en procédant à une telle suspension, dans le respect des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 162-1 précité, l'administration s'est en réalité contentée de réduire sa pension à concurrence des sommes versées par ailleurs à l'intéressé. Ce moyen ne saurait donc davantage être retenu. 5. Il y a enfin lieu, par adoption des motifs du tribunal, d'écarter le moyen tiré de ce que les postes de préjudice indemnisés par la rente versée par CNP Assurances, à supposer même qu'ils soient issus d'un même fait générateur, ne sont pas couverts par la pension de victime civile de guerre accordée à l'intéressé. 6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir et l'autorité de la chose jugée opposées en défense, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sa requête doit, en toutes ses conclusions, être rejetée. 7. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par le ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. DÉCIDE : Article 1er : La requête de M. B... est rejetée. Article 2 : Les conclusions du ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 4 avril 2024 à laquelle siégeaient : M. Picard, président de chambre ; Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ; Mme Djebiri, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024. La rapporteure, C. DjebiriLe président, V-M. Picard La greffière, A. Le Colleter La République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, La greffière, N° 23LY01315 2 ar
Cours administrative d'appel
Lyon
CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 19/03/2024, 22BX02162, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune d'Agen à lui verser la somme de 271 410,50 euros en réparation de ses préjudices consécutifs à son accident de service du 3 octobre 2008, d'enjoindre à la commune de reconstituer ses droits à traitement et à pension, de réserver l'indemnisation de ses préjudices relatifs aux dépenses de santé futures et à la perte de gains professionnels actuels et futurs. Par un jugement n° 2003729 du 16 juin 2022, le tribunal a condamné la commune d'Agen à verser à Mme A... la somme de 155 716 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une rente annuelle de 1 624 euros. Procédure devant la Cour : Par une requête enregistrée le 1er août 2022, la commune d'Agen, représentée par la SELARL Cabinet Ferrat, agissant par Me Ferrant, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2003729 du 16 juin 2022 ; 2°) de rejeter les demandes de première instance de Mme A... ; 3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance : - la décision de rejet de la demande préalable indemnitaire prise par la commune le10 mars 2020 était purement confirmative d'une première décision ayant implicitement rejeté la même demande présentée par Mme A... le 6 février 2012, qui n'a pas été contestée et qui est devenue définitive ; dès lors, la saisine du tribunal était tardive ; Au fond : - les demandes de Mme A... était prescrite en application de la loi du 31décembre 1968 sur la prescription quadriennale ; ainsi, l'état de santé de Mme A... était consolidé au 15 octobre 2009 comme l'a établi le rapport d'expertise déposé le 25 avril 2012 ; il s'ensuit que la prescription quadriennale était acquise le 31 décembre 2013 ; de même, si un autre rapport d'expertise a déclaré l'état de santé de Mme A... consolidé au 24 juin 2013, la prescription quadriennale était acquise au 31 décembre 2017 ; ainsi, la demande préalable présentée le 14 janvier 2020 par Mme A... était atteinte par la prescription ; elle n'a pas été interrompue par les demandes en référé présentées par l'intéressée, qui ne tendaient pas au paiement d'une somme d'argent ; - c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la commune n'avait commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme A... en ce qui concerne son obligation d'information et de prévention quant aux risques engendrés par l'utilisation de produits pouvant nuire à la santé ; - en revanche, les premiers juges ne pouvaient faire application d'un régime de responsabilité sans faute fondé sur l'imputabilité au service de son accident ; un tel régime ne s'applique pas lorsque l'agent a commis une faute ; Mme A... a commis une telle faute à l'origine de son accident de service dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle aurait revêtu les équipements de sécurité qui lui avaient été remis le jour de son accident ; - les préjudices invoqués par Mme A..., à savoir le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent, les frais d'assistance par une tierce personne, et les frais d'assistance futurs, ne sont justifiés ni dans leur principe ni dans leur montant. Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2023, Mme D... A..., représentée par la SELARL Heuty, Lonné, Canlorbe, agissant par Me Lonné, conclut : 1°) au rejet de la requête de la commune d'Agen ; 2°) par la voie de l'appel incident, à la condamnation de la commune d'Agen à lui verser la somme de 271 410,50 euros ; 3°) à ce que la Cour réserve le poste de préjudice relatif aux dépenses futures de santé ainsi que les postes relatifs aux pertes de gains professionnels actuels et futurs ; 4°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune d'Agen une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. Par ordonnance du 17 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 juin 2023 à 12h00. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ; - la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Frédéric Faïck, - les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public, - et les observations de Me Guillout pour la commune d'Agen. Considérant ce qui suit : 1. Mme D... A..., adjointe territoriale du patrimoine, a été affectée au musée municipal de la commune d'Agen le 1er février 2007. Dans le cadre du transfert d'une collection d'oiseaux naturalisés vers les réserves du musée, il lui a été demandé, le 3 octobre 2008, de vaporiser un traitement insecticide sur les oiseaux. Après avoir procédé aux pulvérisations, Mme A... a présenté, le jour même, une toux irritante et persistante. Cet accident, à la suite duquel Mme A... a été placée en congé de maladie, a été reconnu imputable au service après avis favorable de la commission de réforme du 18 décembre 2008. Mme A... a finalement été admise à la retraite pour invalidité résultant du service par une décision du 9 décembre 2011. Le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a, par ordonnance du 13 novembre 2018, désigné un expert chargé de décrire l'état de santé de Mme A... et de se prononcer sur ses préjudices causés par l'accident du 3 octobre 2018. Après le dépôt du rapport d'expertise le 26 mai 2019, Mme A... a, le 14 janvier 2020, saisi la commune d'Agen d'une demande préalable indemnitaire qui a été rejetée le 10 mars 2020. Mme A... a ensuite saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de la commune d'Agen à l'indemniser des divers préjudices, actuels et futurs, résultant de l'accident de service du 3 octobre 2008. Par jugement du 16 juin 2022, le tribunal a condamné la commune d'Agen, sur le terrain de la responsabilité sans faute qu'il a soulevé d'office, à verser à Mme A... la somme de 155 716 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'une rente annuelle de 1 624 euros. La commune d'Agen relève appel de ce jugement, tandis que Mme A... demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de porter à 271 410,50 euros le montant de la réparation à laquelle elle estime avoir droit. Sur l'appel principal de la commune d'Agen : En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance : 2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". 3. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 6 février 2012, Mme A... a informé la commune d'Agen qu'elle avait chargé son conseil " d'obtenir la réparation intégrale de son préjudice " à la suite de l'accident du 3 octobre 2018 et qu'elle entendait " saisir la juridiction des référés du tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise médicale, étape indispensable pour obtenir la liquidation de son préjudice ". Ce même courrier invitait également la commune à envisager l'organisation d'une expertise amiable à l'initiative de son assureur, à défaut de quoi il serait procédé à la saisine du juge " dans un délai de trois semaines ". Eu égard aux termes dans lesquels il était rédigé, ce courrier du 6 février 2012 informait simplement la commune d'Agen de l'intention de Mme A... de se soumettre à une expertise en vue du chiffrage ultérieur de son préjudice, et ne saurait en conséquence s'analyser en une demande préalable d'indemnisation susceptible d'avoir fait naître une décision implicite de rejet devenue définitive. Par suite, la commune d'Agen n'est pas fondée à soutenir que sa décision du 10 mars 2020, rejetant la demande préalable indemnitaire présentée par Mme A... le 14 janvier 2020, serait confirmative d'une précédente décision définitive. La fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande doit ainsi être écartée. En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale : 4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit (...) des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la loi précitée : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. (...) ". 5. S'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de prescription prévu par ces dispositions est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Il en est ainsi pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents. 6. Il résulte de l'instruction qu'à la demande de la SMACL, assureur de la commune d'Agen, Mme A... a été examinée par le Dr B... dont le rapport d'expertise du 24 mai 2012 a fixé au 15 octobre 2009 la date de consolidation des infirmités. Toutefois, dans son rapport du 26 mai 2019, le docteur E..., expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif, a relevé que les traitements reçus par Mme A... entre 2010 et 2013 ont été modifiés et intensifiés et que cette " évolution thérapeutique ne permettait absolument pas de consolider Madame A... le 15 octobre 2009 compte tenu de la dégradation de son état respiratoire nécessitant une majoration des thérapeutiques jusqu'en juin 2013 ". L'expert a ainsi estimé que l'état de santé de Mme A... devait être regardé comme consolidé au 24 juin 2013, date à laquelle cette dernière recevait un " traitement maximal " pour soigner sa pathologie respiratoire. Dans ces conditions, la date de consolidation de l'état de santé de Mme A... doit être fixée au 24 juin 2013, et non au 15 octobre 2009, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges. Il s'ensuit que le délai de prescription quadriennale de la créance invoquée par Mme A... à l'encontre de la commune d'Agen a commencé à courir le 1er janvier 2014 pour expirer, en principe, le 31 décembre 2017. 7. Ainsi qu'il a été dit au point 3, dans son courrier du 6 février 2012 Mme A... a informé la commune d'Agen qu'elle avait chargé son conseil d'obtenir la réparation de ses dommages et de sa décision de saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une demande d'expertise. Cette saisine, intervenue dès le 2 novembre 2013, était relative à la créance invoquée par Mme A... à l'encontre de la commune et a eu pour conséquence d'interrompre le délai de la prescription quadriennale en application des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968. Cette demande d'expertise a été rejetée, pour défaut d'utilité, par une ordonnance n° 1303972 du 6 mars 2014 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, confirmée par une ordonnance n° 14BX01067 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 septembre 2014. Toutefois, le 12 avril 2018, soit dans le nouveau délai de quatre ans qui a commencé à courir le 1er janvier 2015, Mme A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'une nouvelle demande d'expertise. Par une ordonnance n° 1801477 du 13 novembre 2018, le juge des référés a fait droit à cette demande en relevant que si Mme A... avait déjà été examinée par plusieurs médecins, il ressortait du rapport d'expertise établi le 13 octobre 2016 par le docteur F..., expert près de la Cour d'appel de Pau, que la consolidation de son état de santé ne pouvait être fixée au 15 octobre 2009 et que " les contradictions relevées entre les différents rapports d'expertise, notamment en ce qui concerne la date à laquelle l'état de Mme A... ne pouvait plus être regardé comme imputable à l'accident et les préjudices directement lié à l'accident de service, soulignent que la demande d'expertise sollicitée conserve, dans cette mesure, son utilité ". L'expert désigné par le tribunal ayant remis son rapport le 26 mai 2019, et la prescription ayant de nouveau couru au 1er janvier 2020, la créance invoquée par Mme A... n'était pas prescrite le 14 janvier 2020, date de sa demande préalable indemnitaire adressée à la commune d'Agen. L'exception de prescription quadriennale doit, dès lors, être écartée. En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune d'Agen : 8. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, et les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. 9. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. 10. Ainsi qu'il a été dit, Mme A... a été chargée, le 3 octobre 2008, de vaporiser un traitement insecticide sur les oiseaux naturalisés du musée municipal avant leur transfert vers les réserves de l'établissement. Peu après cette intervention, elle présenté une toux sèche qui s'est aggravée dès le lendemain et a justifié son placement en arrêt-maladie du 6 octobre 2008 au 12 janvier 2009, puis à compter du 23 janvier 2009 pour une asthme extrinsèque. Selon le certificat médical initial du docteur C..., daté du 6 octobre 2008, Mme A... aurait eu " une réaction suite à l'exposition de produits potentiellement toxiques ", tandis qu'un médecin pneumologue consulté le 14 octobre 2008 a diagnostiqué chez elle un " syndrome obstructif réversible ". Quant au rapport d'expertise établi à la demande du juge des référés du tribunal administratif par le docteur E... le 26 mai 2019, il relève que Mme A..., qui n'a " aucun antécédent respiratoire ", a présenté des " symptômes aigus, immédiats dès le contact avec le produit incriminé " et " présente un tableau respiratoire induit par une exposition professionnelle lors de l'application d'un produit antimites sur une collection d'oiseaux, collection antérieurement traitée par de l'arsenic, de la mort-aux-rats et de la naphtaline ". Après avis favorable de la commission de réforme du 18 décembre 2008, Mme A... a bénéficié de la reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident du 3 octobre 2008 avant d'être mise à la retraite pour invalidité imputable au service par décision du 9 décembre 2011. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu, par des motifs qui ne sont d'ailleurs pas contestés par l'appelante, que la responsabilité sans faute de la commune d'Agen était engagée à raison des préjudices subis par Mme A... après l'accident du 3 octobre 2008. 11. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports des expertises médicales, que Mme A... a reçu, avant l'intervention du 3 octobre 2008, une combinaison intégrale, un masque ainsi que des lunettes et gants de protection. Elle a procédé à la pulvérisation du produit insecticide sur les oiseaux naturalisés de 9 heures à 12 heures puis de 13 heures 30 à 18 heures, ce qui a nécessité l'usage de cinq bombes d'un aérosol mites et larves de marque Kapo, en étant accompagnée d'une collègue chargée pour sa part de ranger les oiseaux dans une armoire dédiée. Si la commune d'Agen soutient que Mme A... a commis une faute l'exonérant de toute responsabilité dès lors que les inhalations de produits qu'elle a subies doivent conduire à s'interroger sur le port effectif des équipements de sécurité remis, alors que l'autre agent présent dans la salle n'a montré aucun signe d'intoxication, ce seul élément ne permet pas d'établir la faute alléguée de la victime qui a procédé seule aux pulvérisations tout au long de la journée et a déclaré à l'expert désigné par le tribunal avoir " reçu les produits dans la figure " en raison du vent ayant pénétré dans la pièce par une fenêtre laissée ouverte. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il n'existait pas d'éléments suffisants pour retenir que Mme A... aurait commis une faute à l'origine de son accident et de nature à exonérer la commune d'Agen de sa responsabilité. En ce qui concerne les préjudices : S'agissant des préjudices patrimoniaux : 12. Il résulte du rapport d'expertise qu'en raison de sa pathologie respiratoire qui lui a laissé un déficit fonctionnel permanent de 58 %, Mme A... a besoin, depuis le 24 juin 2013, date de consolidation de son état de santé, de l'assistance d'une tierce personne pour le gros ménage et le port de charge à raison de deux heures par semaine, soit huit heures par mois. En retenant un coût horaire de 14 euros correspondant au coût horaire moyen du salaire minimum au cours de la période considérée, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation du préjudice subi à ce titre par Mme A... en le fixant 14 616 euros pour la période allant du 24 juin 2013 à la date de mise à disposition du jugement attaqué. 13. Par ailleurs, s'agissant des préjudices futurs de la victime non couverts par des prestations de sécurité sociale, il appartient au juge de décider si leur réparation doit prendre la forme du versement d'un capital ou d'une rente selon que l'un ou l'autre de ces modes d'indemnisation assure à la victime la réparation la plus équitable. A ce titre, les premiers juges ont octroyé à Mme A... une rente annuelle, destinée à couvrir ses frais d'assistance d'une tierce personne à raison de deux heures par semaine, d'un montant de 1 624 euros, déduction faite des prestations éventuellement perçues par cette dernière à ce titre, avec revalorisation le 1er avril de chaque année par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Il ne résulte pas de l'instruction que, ce faisant, les premiers juges auraient procédé à une inexacte évaluation du préjudice subi par Mme A.... S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux : 14. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme A... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25% pendant la période du 3 octobre 2008 au 23 janvier 2009 et de 50 % entre le 24 janvier 2009 et le 24 juin 2013. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant, sur une base de référence de 500 euros par mois en cas d'incapacité totale, à la somme de 13 900 euros. 15. En deuxième lieu, les souffrances endurées par Mme A... ont été évaluées à 4 sur une échelle de 7 par l'expert, en raison " des examens répétés, des lésions initiales, des traitements permanents indispensables et lourds, de l'impact sur le quotidien l'obligeant à s'adapter en permanence ". Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 7 200 euros. 16. En troisième lieu, Mme A... est atteinte d'un déficit permanent partiel que l'expert a évalué à 58 % en raison, d'une part, de son état pulmonaire caractérisé par une asthénie permanente provoquant des dyspnées au moindre effort, et, d'autre part, de l'anxiété qui en résulte pour l'intéressée âgée de 51 ans au 24 juin 2013, date de consolidation de son état de santé. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 120 000 euros, laquelle inclut le préjudice d'agrément subi. Sur l'appel incident de Mme A... : En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune d'Agen : 17. Les dispositions de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, et les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, ne font pas obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité. 18. Il résulte de l'expertise judiciaire que les produits utilisés par Mme A... lors de l'intervention du 3 octobre 2008, à savoir des " aérosols antimites de marque Kapo ", comportaient l'information selon laquelle " l'exposition aux vapeurs de solvants contenus dans la préparation au-delà des limites d'exposition indiquées peut conduire à des effets néfastes pour la santé tels que : l'irritation des muqueuses et du système respiratoire... ". C'est précisément en considération du risque que présentent ces produits que la commune d'Agen a remis à Mme A..., avant l'intervention, une combinaison intégrale, un masque, des lunettes ainsi que des gants de protection, sans qu'aucun élément du dossier ne permette d'estimer que ces équipements auraient été insuffisants ou inadaptés. En outre, il résulte de l'instruction que le local dans lequel les pulvérisations ont été effectuées comportait une fenêtre ouverte au moment de l'opération, comme le reconnaît d'ailleurs Mme A..., ce qui était de nature à éviter la concentration du produit dans la pièce. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait été tenue d'organiser à l'attention de Mme A..., préalablement à l'intervention du 3 octobre 2008, une formation particulière au maniement des produits insecticides utilisés. 19. Dans ces conditions, la commune d'Agen n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme A.... Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes de Mme A... tendant à être indemnisée des pertes de gains professionnels actuels et futurs ainsi que de la perte de chance alléguée d'obtenir une promotion professionnelle. En ce qui concerne la réévaluation des préjudices sollicitée par Mme A... : 20. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé à 155 716 euros le montant de l'indemnisation due à Mme A..., outre la rente annuelle de 1 624 euros au titre du coût de l'assistance d'une tierce personne. 21. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel principal de la commune d'Agen ainsi que l'appel incident de Mme A... doivent être rejetés. Sur les frais d'instance : 22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la commune d'Agen tendant à ce que Mme A..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la commune d'Agen une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens. DECIDE Article 1er : La requête de la commune d'Agen est rejetée. Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées par Mme A... sont rejetées. Article 3 : La commune d'Agen versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Agen, à Mme D... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Lot-et-Garonne. Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient : Mme Ghislaine Markarian, présidente, M. Frédéric Faïck, président-assesseur, Mme Caroline Gaillard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024. Le rapporteur, Frédéric Faïck La présidente, Ghislaine Markarian La greffière, Catherine Jussy La République mande et ordonne au préfet de Lot-et-Garonne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. N° 22BX02162 2
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 19/03/2024, 22BX02141, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la région Guadeloupe à lui verser une indemnité de 69 977,50 euros en réparation de ses divers préjudices consécutifs à l'accident de service dont il a été victime le 11 mars 2009 et de la maladie professionnelle dont il souffre depuis cet accident. Par un jugement n° 2101028 du 22 juin 2022, le tribunal a condamné la région Guadeloupe à verser à M. A... la somme de 69 977,50 euros à titre de dommages et intérêts. Procédure devant la Cour : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 juillet 2022, les 18 octobre 2023 et 19 février 2024, la région Guadeloupe, représentée par la SCP Richer et Associés Droit Public, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2101028 du 22juin 2022 ; 2°) de rejeter les demandes de M. A... ; 3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnité qui serait due à M. A... à la somme de 3 500 euros. Elle soutient que : En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué : - en se fondant sur un rapport d'expertise médical réalisé à titre privé et non contradictoire, les premiers juges ont méconnu le principe des droits de la défense ; ils auraient dû fonder exclusivement leur solution sur le rapport d'expertise judiciaire. Au fond : - c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la maladie dont souffre M. A... est imputable au service du seul fait qu'elle est apparue quelques mois après l'accident de service du 11 mars 2009 ; il est établi que les pathologies dont souffre M. A... sont antérieures à son accident de service ; cette circonstance fait obstacle à ce que ces pathologies soient reconnues imputables au service en l'absence de lien de causalité directe ; - si la Cour devait retenir cette imputabilité, M. A... n'aurait droit qu'à une indemnisation très limitée dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les pathologies concernées sont dues pour l'essentiel à des éléments étrangers à l'accident de service ; l'accident lui-même n'a eu qu'un rôle mineur sur l'état de santé de M. A... ; - par ailleurs, le tribunal ne pouvait retenir que M. A... n'avait pas justifié son préjudice professionnel tout en indemnisant celui-ci ; - si la Cour devait juger que M. A... a droit à une indemnisation, celle-ci devrait être évaluée à 5 % du montant des sommes demandées. Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 septembre et 21 novembre 2023 et le 21 février 2024, M. D... A..., représenté par la SEBAN Occitanie, agissant par Me Fernandez-Begault, conclut : 1°) au rejet de la requête de la région Guadeloupe ; 2°) à titre subsidiaire, à la condamnation de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 69 977,50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses divers préjudices, avec les intérêts légaux et à ce que les frais de l'expertise judiciaire, arrêtés à la somme de 1 577,44 euros, soient mis à la charge de la région Guadeloupe ; 3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la région Guadeloupe une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Frédéric Faïck, - les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public, - et les observations de Me Duvignau pour la région Guadeloupe et de Me Denilauler, substituant Me Fernandez-Begault, pour M. A.... Considérant ce qui suit : 1. M. D... A..., agent technique principal de 1ère classe des établissements d'enseignement, exerçait ses fonctions au lycée d'enseignement professionnel du Lamentin où il était chargé de la maintenance générale des installations sanitaires et de chauffage de l'établissement. Le 11 mars 2009, alors qu'il procédait à l'entretien du chauffe-eau de la cuisine du lycée, M. A... a reçu un retour de flamme qui lui a occasionné des brûlures aux mains, aux avant-bras et au visage. La direction du lycée a, le 26 mars 2019, transmis à la région Guadeloupe une déclaration de l'accident de service dont a été victime A..., qui a bénéficié d'un arrêt de travail de trois semaines. En 2010, M. A... a présenté une affection dermatologique, appelée vitiligo universel, se caractérisant par une dépigmentation de la peau qui s'est progressivement étendue sur l'ensemble de son corps. Par un arrêté du 5 février 2018, le président du conseil régional de la Guadeloupe a reconnu que M. A... était atteint d'une maladie professionnelle imputable au service. Par une ordonnance du 22 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a désigné un expert chargé de décrire l'état de santé de M. A... et d'évaluer l'ensemble de ses préjudices résultant de l'accident. Après le dépôt du rapport d'expertise le 25 mars 2021, M. A... a adressé à la région Guadeloupe une demande préalable d'indemnisation par une lettre du 21 juin 2021, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. A... a alors saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à la condamnation de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 69 977,50 euros en réparation de ses préjudices consécutifs à l'accident du 11 mars 2009. Par un jugement rendu le 22 juin 2022, dont la région Guadeloupe relève appel, le tribunal administratif a entièrement fait droit à la demande de M. A.... Sur la régularité du jugement attaqué : 2. Il résulte de l'instruction que M. A... a, le 9 mai 2017, demandé à la région Guadeloupe, son employeur, de reconnaître le caractère professionnel de sa maladie. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, la région Guadeloupe a sollicité le docteur B..., médecin agréé, aux fins d'examiner M. A... et de se prononcer sur le caractère professionnel de sa pathologie. Le président du conseil régional de la Guadeloupe a, par un arrêté du 5 février 2018, reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. A... en se fondant sur les conclusions du rapport, visé dans cet arrêté, favorable à la demande présentée par l'agent. Dans ces circonstances, la région Guadeloupe n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a jamais eu connaissance du rapport d'expertise établi par le Dr B... le 1er juin 2017, lequel a, en outre, été versé au dossier de première instance et communiqué. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait méconnu le principe du contradictoire, en se prononçant au vu d'une pièce dont la région n'aurait pas eu connaissance, doit être écarté. Sur les conclusions à fin d'indemnisation : En ce qui concerne la responsabilité : 3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. 4. Il résulte de l'instruction, et tout d'abord de l'expertise du Dr B... réalisée en 2017 à la demande de la région Guadeloupe, que le vitiligo dont souffre M. A... s'est étendu à toutes les parties de son corps depuis l'apparition de cette maladie en 2010. Il s'agit d'une maladie auto-immune liée à des facteurs génétiques, mais dont l'apparition et l'aggravation peut être favorisée par des facteurs non génétiques comme le stress ou l'anxiété. Selon l'expert, l'accident survenu le 11 mars 2009, ajouté au conflit professionnel qui l'avait opposé au proviseur du lycée, ont déstabilisé le système immunitaire de M. A..., favorisé l'apparition de sa maladie de peau et aggravé une dépression déjà existante. Ainsi, l'expert a estimé que le vitiligo et la dépression de M. A... trouvent leur origine dans l'accident du 11 mars 2009, mais aussi dans les relations conflictuelles existantes entre l'intéressé et sa hiérarchie. 5. Selon le rapport d'expertise établi en 2021 par le Dr C... à la demande du juge des référés du tribunal administratif, si le vitiligo est une maladie auto-immune d'origine génétique, le stress est un facteur connu pour déclencher et aggraver cette pathologie chez les patients prédisposés. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. A... présentait un état dépressif antérieurement à l'accident du 11 mars 2009, ayant pour origine les conflits relationnels qui l'avaient opposé à sa hiérarchie et à ses collègues depuis son arrivée dans l'établissement en 2007. Néanmoins, l'expert retient que le vitiligo de M. A... a un lien avec l'accident de service, qui a aggravé la dépression de ce dernier. Enfin, selon les conclusions du Dr C..., l'état de santé de M. A... doit être regardé comme consolidé au 1er juin 2017, date de l'expertise réalisée par le Docteur B..., lequel a constaté que l'intéressé était atteint par le vitiligo sur environ 50 % de sa surface corporelle cutanée. 6. Dans ces circonstances, le vitiligo de M. A..., que la région Guadeloupe a d'ailleurs reconnu comme maladie professionnelle par une décision du 5 février 2018 devenue définitive, trouve son origine directe dans l'accident de service du 11 mars 2009. Aucun élément de l'instruction, et notamment les conclusions des rapports d'expertise précités, ne permet d'écarter ce lien direct du seul fait que les parties corporelles de M. A... affectées par le vitiligo sont plus étendues que celles atteintes par l'accident du 11 mars 2009. Cette pathologie a également aggravé l'état dépressif antérieur de M. A... qui présente dès lors un caractère professionnel dans la mesure de cette aggravation. Toutefois, compte tenu de l'état antérieur présenté par M. A... en raison du conflit d'ordre professionnel qui l'a opposé à sa hiérarchie, il y a lieu de juger que l'accident de service du 11 mars 2009 est à l'origine de 70 % des préjudices indemnisables. En ce qui concerne les préjudices : 7. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, et les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. 8. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité. 9. Le tribunal administratif de la Guadeloupe a jugé, par des motifs qui ne sont pas contestés par l'appelante, que l'accident survenu le 11 mars 2009 engageait la responsabilité de la région Guadeloupe sur le terrain de la faute pour avoir ordonné à M. A... d'intervenir sans protection sur un chauffe-eau vétuste et insuffisamment entretenu. 10. En premier lieu, les premiers juges ont évalué à 15 100 euros les préjudices de M. A... au titre de l'incidence professionnelle patrimoniale et extrapatrimoniale de son vitiligo. Toutefois, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... serait susceptible de subir de la part de la région Guadeloupe des discriminations fondées sur son apparence physique emportant des incidences négatives sur ses perspectives d'évolution professionnelle. Une telle conclusion ne saurait être tirée de la circonstance que M. A... serait, en raison de sa maladie, sujet à des moqueries ou à des propos déplacés de la part de ses collègues de travail. Dans ces conditions, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la région Guadeloupe à verser à M. A... la somme précitée de 15 100 euros. Le jugement doit ainsi être réformé dans cette mesure. 11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise établi par le Dr C..., que les souffrances endurées par M. A... sont évaluées à 3/7 avant consolidation et à 2/7 après cette consolidation. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 4 100 euros après avoir tenu compte de l'état antérieur de M. A... à hauteur de 30 %. 12. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les taches de dépigmentation consécutives au vitiligo couvrent environ 50 % de la surface corporelle cutanée de M. A... dont le préjudice esthétique doit être évalué à 6/7 pour la période précédant la consolidation et à 5/7 pour la période postérieure à la consolidation. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 19 000 euros, compte tenu de l'incidence de son état antérieur présenté par M. A.... 13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... ne peut plus s'adonner aux loisirs de la pêche et de la course à pied compte tenu de l'obligation dans laquelle il se trouve de se protéger du soleil. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice d'agrément subi de ce fait par M. A... en l'évaluant à la somme de 5 000 euros après prise en compte de son état antérieur. 14. En quatrième lieu, l'expert a retenu que M. A... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire de " classe 1 " pendant trois semaines en raison, d'une part, des brûlures, et d'autre part, de ses préjudices psychologiques et esthétiques jusqu'à leur consolidation. Il a également estimé que le déficit fonctionnel permanent subi par M. A... à raison des mêmes préjudices, à l'exclusion des brûlures qui ont guéri sans laisser de séquelles, devait être évalué à 15 %. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ces chefs de préjudice en les évaluant à hauteur, respectivement, des sommes de 7 662,50 euros et de 17 115 euros après prise en compte de l'état antérieur de M. A.... 15. En cinquième et dernier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. A... subit, du fait de son apparence physique, un préjudice sexuel que le tribunal n'a pas inexactement évalué en le fixant à 2 000 euros. 16. Il résulte de tout ce qui précède que la région Guadeloupe est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à payer à M. A... la somme de 15 100 euros en réparation du préjudice lié l'incidence professionnelle patrimoniale et extrapatrimoniale de la maladie de ce dernier. Dès lors, la somme de 69 977,50 euros que le tribunal a mise à la charge de la région Guadeloupe doit être ramenée à 54 877,50 euros, et le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure. Sur les frais d'instance : 17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE Article 1er : La somme de 69 977,50 euros que le tribunal administratif de la Guadeloupe a mise à la charge de la région Guadeloupe est ramenée à 54 877,50 euros Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2101028 du 22 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt. Article 3 : Le surplus des conclusions de la région Guadeloupe est rejeté. Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la région Guadeloupe, à M. D... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Guadeloupe. Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient : Mme Ghislaine Markarian, présidente, M. Frédéric Faïck, président-assesseur, Mme Caroline Gaillard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024. Le rapporteur, Frédéric Faïck La présidente, Ghislaine Markarian La greffière, Catherine Jussy La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. N° 22BX02141 2
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de LYON, 3ème chambre, 27/03/2024, 23LY03456, Inédit au recueil Lebon
Vu les procédures suivantes : Procédure contentieuse antérieure M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2021 par lequel la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons a prononcé son licenciement pour inaptitude physique. Par un jugement n° 2108550 du 26 septembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté. Procédures devant la cour I- Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2023 sous le numéro 23LY03456, et un mémoire en réplique enregistré le 21 février 2024, la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, représentée par Me Tissot, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 septembre 2023 ; 2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal ; 3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le jugement est entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisante motivation concernant le moyen d'annulation retenu ; - le tribunal a dénaturé les écritures de la requête de première instance ; - elle était en situation de compétence liée pour procéder au licenciement de M. A... ; - les moyens invoqués par M. A... en première instance ne sont pas fondés ; - le rejet des conclusions indemnitaires doit être confirmé. Par un mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Laumet, conclut : 1°) au rejet de la requête ; 2°) à la condamnation de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons au versement de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ; 3°) à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - les moyens invoqués ne sont pas fondés ; - la décision en litige est insuffisamment motivée ; - le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation à l'indemniser du préjudice moral qu'il a subi. II- Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2023 sous le numéro 23LY03457, la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, représentée par Me Tissot, demande à la cour : 1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 septembre 2023 ; 2°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens de sa requête au fond sont sérieux. Par deux mémoires en défense, enregistrés les 29 janvier et 4 mars 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Laumet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés. Par une ordonnance du 30 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, dans cette instance, en dernier lieu, au 21 février 2024. Vu les autres pièces des dossiers. Vu : - le code général de la fonction publique ; - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le décret n°86-68 du 13 janvier 1986 ; - le décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003 ; - le code de justice administrative. Le président de la Cour a désigné Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative. Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience. Après avoir entendu au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure, - les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public, - les observations de Me Métier, représentant la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons, - et les observations de Me Laumet, représentant M. A.... Deux notes en délibéré, enregistrées les 12 et 20 mars 2024, ont été produites respectivement pour M. A... et pour la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons dans l'instance n° 23LY02356. Considérant ce qui suit : 1. M. A..., adjoint technique principal de 2e classe, employé par la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons, a été placé en congé de maladie ordinaire du 12 septembre 2017 au 11 octobre 2018 puis en disponibilité d'office pour raison de santé jusqu'au 11 septembre 2021. Il a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2021 par lequel le président de la communauté d'agglomération a prononcé son licenciement. La communauté d'agglomération relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A..., et demande qu'il soit sursis à son exécution. M. A..., dont les conclusions indemnitaires ont été rejetées par ce même jugement, forme un appel incident sur ce point. 2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons étant formés contre un même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : 3. D'une part, aux termes de l'article 19 du décret du 13 janvier 1986 susvisé : " La mise en disponibilité peut être prononcée d'office à l'expiration des droits statutaires à congés de maladie prévus au premier alinéa du 2°, au premier alinéa du 3° et au 4° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 et s'il ne peut, dans l'immédiat, être procédé au reclassement du fonctionnaire dans les conditions prévues aux articles 81 à 86 de la loi du 26 janvier 1984. / La durée de la disponibilité prononcée en vertu du premier alinéa du présent article ne peut excéder une année. Elle peut être renouvelée deux fois pour une durée égale. Si le fonctionnaire n'a pu, durant cette période, bénéficier d'un reclassement, il est, à l'expiration de cette durée, soit réintégré dans son administration s'il est physiquement apte à reprendre ses fonctions dans les conditions prévues à l'article 26, soit, en cas d'inaptitude définitive à l'exercice des fonctions, admis à la retraite ou, s'il n'a pas droit à pension, licencié. ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas d'inaptitude physique définitive, le licenciement d'un fonctionnaire ne peut être légalement envisagé que si son admission à la retraite est exclue. 4. D'autre part, s'agissant du régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, aux termes de l'article 7 du décret du 26 décembre 2003 : " Le droit à pension est acquis : ... 2° Sans condition de durée des services aux fonctionnaires rayés des cadres pour invalidité résultant ou non de l'exercice des fonctions. ". Aux termes de l'article 30 de ce décret : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande. " et aux termes de l'article 31 : " Une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier la réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions (...) / Le pouvoir de décision appartient dans tous les cas à l'autorité qui a qualité pour procéder à la nomination, sous réserve de l'avis conforme de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. ". L'article 36 du même décret prévoit que " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être mis à la retraite par anticipation soit sur demande, soit d'office dans les délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 (...) ". Enfin, aux termes de l'article 39 de ce décret : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être mis à la retraite par anticipation soit sur demande soit d'office (...). L'intéressé a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° de l'article 7 et au 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite sous réserve que ses blessures ou maladies aient été contractées ou aggravées au cours d'une période durant laquelle il acquérait des droits à pension. ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à la mise à la retraite d'un fonctionnaire pour invalidité assortie du bénéfice du droit à pension, d'une part, d'émettre un avis sur le bien-fondé de la demande de mise à la retraite pour invalidité, d'autre part, de décider si l'intéressé a droit à une pension. L'intervention de la décision de mise à la retraite pour invalidité d'un fonctionnaire, prise par l'autorité ayant qualité pour procéder à sa nomination, étant subordonnée à l'avis conforme de la caisse, cet avis est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir de la part du fonctionnaire concerné lorsqu'il est défavorable. Enfin, lorsque l'invalidité ne résulte pas de l'exercice des fonctions, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales est tenue de vérifier, d'une part, si le fonctionnaire se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions au sens des articles 30 et 39 et, d'autre part, s'il a droit au bénéfice d'une pension sans condition de durée de services, conformément à l'article 39, dans le cas où ses blessures ou maladies ont été contractées ou aggravées au cours d'une période durant laquelle il acquérait des droits à pension. 5. L'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale. S'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte. 6. Il ressort du jugement attaqué que pour annuler l'arrêté en litige, le tribunal s'est fondé sur un vice de procédure, lié à la contradiction qui aurait entaché l'avis de la commission de réforme du 26 août 2020 par lequel celle-ci a estimé que l'état de santé de M. A... ne justifiait pas une retraite pour invalidité, et le procès-verbal correspondant à la séance de cette commission rappelant l'avis du comité médical du 15 juillet 2020 selon lequel M. A... était inapte à exercer toutes fonctions. 7. Toutefois, d'une part, ainsi que la communauté d'agglomération le fait valoir, ce moyen, qui n'était au surplus pas invoqué en première instance et n'était pas d'ordre public, était inopérant au vu de la situation de compétence liée dans laquelle elle se trouvait, comme dit au point 10. D'autre part, à supposer que le tribunal, qui a également estimé que l'avis de la commission de réforme à l'origine de la décision de la CNRACL du 19 mai 2021 refusant à M. A... le bénéfice de la retraite pour invalidité avait conduit l'établissement public à licencier ce dernier, ait entendu se fonder sur l'exception d'illégalité de la décision précitée de la CNRACL, l'arrêté portant licenciement de M. A... n'a pas été pris pour l'application de la décision de la CNRACL. Celle-ci n'en constitue pas davantage la base légale ni ne forme avec l'arrêté de licenciement une opération complexe, dès lors qu'elle n'a pas été spécialement prévue en vue de l'adoption dudit arrêté. Par suite, ce moyen qui était également inopérant ne pouvait davantage être retenu par le tribunal. 8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... à l'encontre de la décision de licenciement contesté. 9. Il ressort des pièces du dossier que, par un premier avis du 30 janvier 2019, le comité médical a estimé que M. A... était inapte à l'exercice de ses fonctions de gardien de déchèterie. A la suite de sa demande formée le 11 octobre 2019, par laquelle M. A... a sollicité son placement à la retraite pour invalidité, le comité médical a estimé, par un second avis du 15 juillet 2020, que cet agent était inapte totalement et définitivement à ses fonctions et à toutes fonctions. Par un avis du 26 août 2020, la commission de réforme a estimé que " l'état de santé de M. A... ne justifie pas une retraite pour invalidité ", en relevant dans son procès-verbal que celui-ci était, conformément à l'avis du comité médical, inapte à exercer toutes fonctions, définitivement. A la suite de ce dernier avis, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a refusé, par une décision du 19 mai 2021, de reconnaître à M. A... un droit à pension d'invalidité, en précisant qu'un tel droit est acquis à l'agent reconnu inapte de manière absolue et définitive à l'exercice de ses fonctions, lorsque cette inaptitude résulte d'une affection contractée ou aggravée depuis l'affiliation obligatoire au régime et au cours d'une période valable pour la retraite. 10. Pour procéder au licenciement de M. A... à compter du 12 septembre 2021 en raison de son inaptitude définitive à l'exercice de ses fonctions, la communauté d'agglomération a relevé que celui-ci avait épuisé ses droits à congés de maladie, que la CNRACL avait refusé sa demande de mise à la retraite pour invalidité et que la période de disponibilité d'office, déjà renouvelée deux fois, devait parvenir à son terme le 11 septembre 2021. En application des dispositions, rappelées au point 3, de l'article 19 du décret du 13 janvier 1986, et dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, M. A... présentait une inaptitude à l'exercice de ses fonctions et que son droit à pension lui avait été refusé, l'administration était, en dépit de l'apparente contradiction résultant de l'analyse de l'inaptitude de l'agent à exercer ses fonctions et de l'absence d'invalidité constatée par la commission de réforme, en situation de compétence liée pour procéder au licenciement de celui-ci. Il en résulte que l'ensemble des autres moyens invoqués par M. A... en première instance et en appel sont inopérants et doivent être écartés pour ce motif. 11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 15 octobre 2021 du président de cet établissement public. Sur les conclusions d'appel incident : 12. En l'absence d'illégalité entachant l'arrêté du 15 octobre 2021, les conclusions indemnitaires de M. A..., présentées en appel par la voie de l'appel incident, ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées. Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement : 13. Le présent arrêt rejetant l'appel de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, il n'y a plus lieu de statuer sur sa demande de sursis à exécution. Sur les frais liés au litige : 14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, une somme au titre des frais exposés par M. A.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la communauté d'agglomération présentées sur ce même fondement. D E C I D E : Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23LY03457 de la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons. Article 2 : Le jugement du 26 septembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé. Article 3 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble, ses conclusions d'appel ainsi que le surplus des conclusions de la requête n° 23LY03456 sont rejetés. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Annemasse-Les Voirons et à M. B... A.... Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient : Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, M. Joël Arnould, premier conseiller, Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024. La présidente rapporteure, Emilie FelmyL'assesseur le plus ancien, Joël Arnould La greffière, Sandra Bertrand La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, La greffière, 2 N°s 23LY03456, 23LY03457
Cours administrative d'appel
Lyon