Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, du 20 janvier 2000, 97PA02354 97PA02374, inédit au recueil Lebon
(1ère chambre B)
VU 1 ) la requête, enregistrée au greffe de la cour le 26 août 1997, sous le n 97PA02354, présentée pour M. Denis Y... demeurant ... (Haute-Vienne), par Me X..., avocat ; M. Y... demande à la cour :
1 ) de réformer le jugement n 929680 du 25 avril 1997 par lequel le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 130.000 F, qu'il estime insuffisante, en réparation du préjudice subi à la suite de son ajournement au concours d'entrée de l'école de formation des officiers du corps technique et administratif de l'armée de terre au titre des années 1987 et 1988 ;
2 ) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1.125.382 F en réparation de son préjudice matériel et une indemnité de 70.000 F en réparation de son préjudice moral ;
3 ) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU 2 ) la requête, enregistrée au greffe de la cour le 28 août 1997, sous le n 97PA02374, présentée par le MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement susvisé du 25 avril 1997 du tribunal administratif de Versailles ;
2 ) de rejeter la demande présentée par M. Y... devant le tribunal administratif de Versailles ;
VU les autres pi ces du dossier ;
VU la loi n 75-534 du 30 juin 1975 modifiée d'orientation en faveur des personnes handicapées ;
VU le décret n 76-1227 du 24 décembre 1976 modifié portant statut particulier des officiers des corps techniques et administratifs des armées ;
VU l'arrêté ministériel du 9 mars 1977 définissant les conditions d'aptitude exigées des candidats et candidates aux concours d'admission à l'école de formation des officiers des corps techniques et administratifs des armées, modifié notamment par l'arrêté du 17 mars 1987 ;
VU l'arrêté ministériel du 2 mai 1977 modifié relatif au concours d'admission à l'école de formation des officiers du corps technique et administratif de l'armée de terre ouvert aux sous-officiers de carrière ou sous contrat de l'armée de terre titulaires de l'un des brevets donnant accès à l'échelle de solde n 4 ;
VU l'instruction ministérielle n 143/DEF/EMAT/EP/P/ du 26 janvier 1979 modifiée fixant les conditions de candidature et les modalités pratiques d'organisation et de déroulement du concours d'admission à l'école de formation des officiers du corps technique et administratif de l'armée de terre ouvert aux sous-officiers de l'armée de terre de carrière ou sous contrat titulaires de l'un des brevets élémentaires à l'échelle de solde n 4 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 janvier 2000 :
- le rapport de Mme HELMLINGER, premier conseiller,
- et les conclusions de M. BARBILLON, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que les requêtes présentées par M. Y... et par le MINISTRE DE LA DEFENSE sont dirigées contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M. Y... à la requête du ministre de la défense :
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que M. Y..., sous-officier de carrière de l'armée de terre, souffrant d'une invalidité consécutive à un accident de service, a été admis, en 1987 et 1988, à présenter le concours d'entrée à l'école de formation des officiers du corps technique et administratif de l'armée de terre, par dérogation aux conditions d'aptitude physique fixées par l'arrêté susvisé du 9 mars 1977, en application du dernier alinéa de l'article 1er dudit arrêté ; que n'ayant pu se soumettre à l'épreuve d'aptitude physique, il a, conformément au dernier alinéa de l'article 12 de l'arrêté du 2 mai 1977 susvisé, reçu la note zéro pour cette épreuve ;
Considérant qu'il résulte des dispositions réglementaires, dans leur rédaction alors en vigueur, adoptées par le ministre de la défense, en application de l'article 11 du décret susvisé du 24 décembre 1976, pour régir les conditions d'organisation du concours d'entrée à l'école de formation des officiers du corps technique et administratif de l'armée de terre, que si des candidats inaptes à subir l'épreuve d'aptitude physique pouvaient, par dérogation, être admis à concourir, ils se trouvaient significativement pénalisés en recevant d'office la note zéro pour cette épreuve, même si cette note ne revêtait pas, dans cette hypothèse, un caractère éliminatoire ; qu'ainsi, en ne permettant pas à ces candidats, dès lors qu'ils étaient admis à concourir, de le faire dans des conditions raisonnablement équivalentes à celles des autres candidats, le ministre de la défense, qui ne peut utilement se prévaloir de la spécificité de la fonction militaire pour justifier cette pénalisation, a méconnu le principe d'égalité entre l'ensemble des candidats du concours ainsi que la garantie d'accès à l'emploi prévue, en faveur des personnes handicapées, par les dispositions de la loi du 30 juin 1975 susvisée ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Y... n'a pu, en raison de l'illégalité des dispositions susmentionnées, être admis au concours d'entrée à l'école de formation des officiers du corps technique et administratif de l'armée de terre dès 1987 et, a été, ainsi, privé d'une chance sérieuse de poursuivre, à l'issue de la scolarité dans cette école, sa carrière dans l'armée de terre en qualité d'officier ; que cette perte de chance est, en l'état de la réglementation, définitive dès lors qu'il a atteint en 1991 la limite d'âge du recrutement des officiers ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant que M. Y... peut prétendre, en réparation du préjudice matériel qu'il a ainsi subi à la date du présent arrêt, au versement d'une indemnité représentant la différence entre la rémunération qu'il a perçue et celle qu'il aurait dû percevoir en qualité d'officier, soit, selon les calculs précis du requérant non contestés par le ministre de la défense, une somme de 144.634,88 F ;
Considérant que l'intéressé peut également prétendre à la réparation du préjudice moral qu'il a ainsi subi ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due à ce titre en la fixant à la somme de 20.000 F ;
Considérant, en revanche, que la perte future de rémunération jusqu'au terme de sa période d'activité ainsi que la perte sur le montant de ses pensions de retraite et d'invalidité dépendent de l'évolution effective de la situation de M. Y... ainsi que, le cas échéant, de celle de la réglementation applicable ; qu'elles ne présentent donc, à la date du présent arrêt, qu'un caractère éventuel et qu'il ne peut, en conséquence, être fait droit à la demande de l'intéressé tendant à l'indemnisation de ce préjudice matériel futur ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... est fondé à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Versailles du 25 avril 1997 afin que l'indemnité que l'Etat est condamné à lui verser, en réparation du préjudice subi à raison de l'illégalité de son ajournement au concours d'entrée à l'école de formation des officiers du corps technique et administratif de l'armée de terre au titre de 1987, soit portée à la somme de 164.634,88 F ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de condamner l'Etat à payer à M. Y... une somme de 5.000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La somme de 130.000 F que l'Etat a été condamné à verser à M. Y... par le jugement du tribunal administratif de Versailles du 25 avril 1997 est portée à 164.634,88 F.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 25 avril 1997 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 5.000 F à M. Y... au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : La requête du MINISTRE DE LA DEFENSE et le surplus des conclusions de la requête de M. Y... sont rejetés.