Cour administrative d'appel de Lyon, 2e chambre, du 23 décembre 1999, 97LY00747 99LY01877 99LY02812, inédit au recueil Lebon
Vu 1°), enregistrée au greffe de la cour le 26 mars 1997 sous le n° 97LY00747, la requête présentée par maître Guy Paris, avocat, pour :
- M. Gérard Y..., demeurant ... ; - maître Jean-Marc X..., demeurant ..., agissant es-qualité de mandataire judiciaire désigné au titre de la liquidation judiciaire civile de M. OCHEM ;
MM. Y... et X... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 962300 en date du 31 janvier 1997 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à ce que l'ETAT (MINISTRE DE LA DEFENSE) soit condamné à indemniser M. OCHEM du préjudice résultant pour lui de l'accident dont il a été victime lors d'un exercice d'entraînement sur le glacier des Bossons ;
2°) de condamner l'Etat à verser à M. OCHEM une indemnité de 917 871,52 francs au titre du préjudice soumis à recours, une indemnité de 2 026 570,00 francs au titre du préjudice personnel, sous déduction des prestations sociales et de la provision versée, le tout assorti des intérêts à compter du 4 août 1990 ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale en mettant à la charge de l'Etat la consignation des frais d'expertise ;
4°) de condamner l'Etat à verser à M. OCHEM la somme de 15 000,00 francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu 2°), enregistrée au greffe de la cour le 8 juin 1999 sous le n° 99LY01877, la requête présentée par M. Gérard OCHEM, demeurant ... ; M. OCHEM demande en référé à la cour de condamner l'Etat à lui verser une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ;
Vu, enregistré au greffe de la cour le 10 décembre 1999 dans l'instance n° 99LY01877, le mémoire présenté par la Caisse nationale militaire de sécurité sociale qui informe la cour de ce qu'elle n'est pas compétente en matière d'accident du travail ou de trajet et de ce qu'elle n'entend donc pas intervenir dans la procédure n'ayant aucun intérêt à faire valoir ;
Vu 3°), enregistrée au greffe de la cour le 26 novembre 1999 sous le n° 99LY02812, la requête présentée par maître Guy Paris, avocat, pour M. Gérard Y..., demeurant ..., et pour maître Jean-Marc X..., demeurant ..., agissant es-qualité de mandataire judiciaire désigné au titre de la liquidation judiciaire civile de M. OCHEM ; MM. Y... et X... demandent à la cour :
a) de condamner l'Etat, en application de l'article R.129 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à verser à M. OCHEM une provision de 600 000 francs à valoir sur l'indemnisation de son préjudice définitif ;
b) de condamner l'Etat à verser à M. OCHEM la somme de 5 000,00 francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code du service national ;
Vu la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 1999 ;
- le rapport de M. BOUCHER, premier conseiller ;
- les observations de M. OCHEM ;
- et les conclusions de M. BOURRACHOT, commissaire du gouvernement ;
Sur la requête n° 97LY00747 :
Considérant que M. OCHEM, engagé pour une durée de cinq ans à compter du 1er avril 1983 dans l'armée de terre au titre de l'Ecole militaire de haute montagne de Chamonix en qualité de sous-officier, a été victime le 19 juillet 1983 d'une chute accidentelle au fond d'une crevasse lors d'une séance d'école de glace sur le glacier des Bossons dans le massif du Mont-Blanc ; qu'il demande réparation à l'Etat des conséquences dommageables de cet accident selon les règles du droit commun ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L.62 du code du service national dans sa rédaction issue de la loi du 8 juillet 1983 : " Les dispositions des articles 20 et 21 du statut général des militaires ne font pas obstacle à ce que les jeunes gens accomplissant les obligations du service militaire, victimes de dommages corporels subis dans le service ou à l'occasion du service, puissent, ainsi que leurs ayants droit, obtenir de l'Etat, lorsque sa responsabilité est engagée, une réparation complémentaire destinée à assurer l'indemnisation intégrale du dommage subi, calculée selon les règles du droit commun " ; qu'aux termes de l'article L.8 dudit code : " Sont considérés comme ayant satisfait à leurs obligations de service actif, les jeunes gens qui ont accompli, en vertu d'un engagement, une durée de service au moins égale à la durée de ce service actif " et qu'aux termes de l'article 90 de la loi susvisée du 13 juillet 1972 : " Le temps accompli en qualité d'engagé vient en déduction des obligations légales d'activité ( ...) " ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 98 de la loi du 13 juillet 1972, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : "L'engagement souscrit par les élèves des écoles militaires peut être contracté dès l'âge de seize ans ; le temps accompli en qualité d'élève des écoles militaires ne vient pas en déduction des obligations légales d'activité " ;
Considérant que si l'engagement de M. OCHEM a été souscrit au titre de l'Ecole militaire de haute montagne, le service accompli par l'intéressé ne présentait pas le caractère d'un temps accompli en qualité d'élève d'une école militaire au sens des dispositions précitées de l'article 98 de la loi du 13 juillet 1972 ; qu'à la date de l'accident, le requérant, engagé depuis moins de quatre mois, devait être regardé comme accomplissant ses obligations légales du service militaire, en vertu des dispositions précitées des articles L.8 du code du service national et 90 de la loi du 13 juillet 1972 ;
Considérant que les jeunes gens qui accomplissent leurs obligations du service militaire et qui subissent, dans l'accomplissement de ces obligations, un préjudice corporel, sont fondés, en l'absence même de toute faute de la collectivité publique, à en obtenir réparation dans les conditions du droit commun, dès lors que, conformément à l'article L.62 du code du service national, le forfait de pension ne leur est pas opposable ; qu'il résulte de l'instruction que l'accident dont a été victime M. OCHEM alors qu'il accomplissait ses obligations du service militaire, est survenu pendant ledit service ; qu'un tel accident engage la responsabilité de l'Etat à l'égard du requérant, lequel est fondé à demander réparation de son préjudice dans les conditions du droit commun ;
Considérant que M. OCHEM est donc fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'indemnisation calculée selon les règles du droit commun, au motif qu'il ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L.62 du code du service national du fait de sa qualité d'élève d'une école militaire et, d'autre part, à demander réparation à l'Etat de l'entier préjudice qu'il a subi du fait de l'accident dont il a été victime le 19 juillet 1983 ;
En ce qui concerne le préjudice :
Considérant que le rapport d'expertise médicale établi le 17 avril 1990 par un médecin des armées et dont les conclusions ne sont pas sérieusement contestées, permet de fixer la date de consolidation des blessures, le taux d'incapacité permanente partielle dont M. OCHEM reste atteint et, plus généralement d'apprécier les divers préjudices subis par le requérant du fait de l'accident dont s'agit ; que, par suite, il n'apparaît pas utile d'ordonner une nouvelle expertise ;
Considérant, cependant, que si le rapport d'expertise mentionne que l'accident a eu une incidence en matière professionnelle, la cour n'est pas en mesure, en l'état du dossier, d'apprécier cette incidence faute pour le MINISTRE DE LA DEFENSE d'avoir produit un document faisant ressortir le déroulement de carrière auquel le requérant aurait pu prétendre normalement jusqu'à la date de consolidation de ses blessures, y compris les éventuels avancements au choix, et la rémunération correspondant à ce déroulement normal de carrière ; qu'il y a lieu, en conséquence, avant de statuer sur le montant de l'indemnité due à M. OCHEM, d'ordonner un supplément d'instruction afin d'inviter le MINISTRE DE LA DEFENSE à produire un tel document ;
Sur la demande de provision :
Considérant qu'aux termes de l'article R.129 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : " Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou le magistrat que l'un d'eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d'une demande au fond lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ";
Considérant qu'au vu des pièces du dossier, notamment des conclusions du rapport d'expertise du médecin des armées, l'obligation pour l'Etat d'indemniser M. OCHEM n'est pas sérieusement contestable à hauteur d'une somme de 100 000 francs tenant compte des provisions déjà versées ainsi que des diverses prestations versées au requérant au titre de l'accident en litige, notamment de la pension militaire d'invalidité qui lui a été concédée le 9 août 1987 ; que, par suite, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à M. OCHEM une indemnité provisionnelle de 100 000 francs à valoir sur l'indemnité définitive ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 31 janvier 1997 est annulé.
Article 2 : L'ETAT est déclaré responsable des conséquences dommageables de l'accident survenu à M. OCHEM le 19 juillet 1983.
Article 3 : Avant de statuer sur le montant de l'indemnité définitive due à M. OCHEM, il est ordonné un supplément d'instruction afin d'inviter le MINISTRE DE LA DEFENSE à produire, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, un état relatif au déroulement normal de carrière et à la rémunération dont M. OCHEM aurait normalement bénéficié jusqu'à la date de consolidation de ses blessures.
Article 4 : L'ETAT (MINISTRE DE LA DEFENSE) est condamné à verser à M. Y..., représenté par Me NOEL, une provision de cent mille francs (100 000 F.) à valoir sur le montant de l'indemnité définitive.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.