Cour administrative d'appel de Nantes, 3e chambre, du 27 avril 2000, 97NT00711, inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision27 avril 2000
Num97NT00711
JuridictionNantes
Formation3E CHAMBRE
RapporteurM. MILLET
CommissaireMme COËNT-BOCHARD

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 5 mai 1997, présentée pour M. Serge Y..., demeurant ..., par Me X..., avocat au barreau de Bordeaux ;
M. Y... demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 96-777 du 18 février 1997 par lequel le Tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 000 000 F en réparation du préjudice subi à la suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C consécutive à une transfusion sanguine réalisée lors d'une opération pratiquée au Centre hospitalier (C.H.) des armées René Z... de Cherbourg ;
2 ) de déclarer l'Etat (ministre de la défense) responsable des préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C et de le condamner à lui verser une somme de 1 000 000 F au titre de son préjudice physiologique, une
somme de 1 000 000 F au titre de son préjudice psychique et une somme de 10 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n 52-854 du 21 juillet 1952 relative à l'utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés ;
Vu la loi n 61-846 du 2 août 1961 complétant les dispositions du code de la santé publique relatives à l'utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 mars 2000 :
- le rapport de M. MILLET, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme COËNT-BOCHARD, commissaire du gouvernement ;

Sur le régime de réparation applicable :
Considérant que le 6 mars 1986, M. Serge Y..., adjudant chef de gendarmerie alors en activité, a subi une intervention chirurgicale au Centre hospitalier (C.H.) des armées de Cherbourg en vue de l'ablation du rein droit atteint d'un adénocarcinome ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué, qu'eu égard à sa nature, cette affection aurait été en relation avec le service ; que la double circonstance que l'opération se soit déroulée dans un établissement militaire, alors que l'intéressé était encore en activité, n'est pas, par elle-même, de nature à établir un lien entre les conséquences dommageables de l'accident survenu à son occasion et le service ; que, par suite, M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Caen a jugé, pour rejeter sa demande, que les règles du forfait de pension faisaient obstacle à ce qu'il recherche la condamnation de l'Etat à l'indemniser des conséquences dommageables de l'accident survenu au cours de son hospitalisation, selon les règles du droit commun de la responsabilité ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée en référé par le président du Tribunal administratif de Caen le 20 décembre 1994, que l'opération de M. Y... a justifié une transfusion de produits sanguins ; que, pour conclure à l'origine transfusionnelle de la contamination par le virus de l'hépatite C dont l'intéressé s'est trouvé atteint, en juin 1994, l'expert s'est fondé sur la circonstance que l'incertitude affectant certains donneurs ne permettait pas d'éliminer la transfusion en tant que vecteur de la contamination, alors qu'il n'existait aucun autre facteur propre à M. Y... ayant concouru à sa réalisation ; que, dès lors, les dommages subis par le requérant en raison de cette contamination par le virus de l'hépatite C doivent être regardés comme imputables aux produits sanguins de mauvaise qualité fournis par le poste de transfusion sanguine (P.T.S.) du C.H. des armées de Cherbourg ;
Considérant qu'en vertu de la loi du 21 juillet 1952, modifiée par la loi du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de contrôle médical des prélèvements sanguins, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion ou les hôpitaux dont ils relèvent sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; qu'il est constant que le P.T.S. du C.H. des armées de Cherbourg dépendait de l'Etat (ministère de la défense) ; qu'ainsi, la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard de M. Y... à raison de la fourniture de produits sanguins viciés ;
Sur le préjudice :

Considérant que la contamination par le virus de l'hépatite C ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable ; que si M. Y... soutient que l'état cirrhotique dont il est atteint, en relation avec sa contamination, peut conduire à un cancer du foie entraînant la mort, de tels préjudices sont purement éventuels ; qu'il résulte, toutefois, de l'instruction que l'état cirrhotique dont souffre M. Y... lui crée des manifestations physiologiques réelles, telles que nausées, fatigue et douleurs au niveau du foie, et lui impose une surveillance particulière ; qu'il ressort, en outre, du rapport d'expertise que "le statut psychologique de M. Y... est perturbé par la fixation qu'il fait sur sa maladie et la peur qu'il a de l'évolution de celle-ci" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ces chefs de préjudice en condamnant l'Etat (ministre de la défense) à verser à M. Y... une somme de 300 000 F au titre de ses troubles non physiologiques et une somme de 100 000 F au titre de ses troubles physiologiques ;
Sur les conclusions de M. Y... tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de condamner l'Etat (ministre de la défense) à verser à M. Y... une somme de 6 000 F au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Caen du 18 février 1997 est annulé.
Article 2 : L'Etat (ministre de la défense) est condamné à payer à M. Serge Y... une indemnité de quatre cent mille francs (400 000 F).
Article 3 : L'Etat (ministre de la défense) versera à M. Serge Y... une somme de six mille francs (6 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel .
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Serge Y... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Serge Y..., à la Caisse nationale militaire de sécurité sociale, à la Caisse nationale du gendarme et au ministre de la défense.