Conseil d'Etat, 9 / 8 SSR, du 6 octobre 1999, 185627, publié au recueil Lebon
Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 18 février 1997, 29 mai 1997 et 6 janvier 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Innocent X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 décembre 1996 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant sa requête tendant à l'annulation du jugement du 14 décembre 1994 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation d'un arrêté du ministre du budget du 24 septembre 1991, confirmé le 29 mars 1993, abrogeant un précédent arrêté du 7 octobre 1985 par lequel lui avait été reconnu le droit au bénéfice d'une pension de réversion du chef de son épouse décédée, à ce qu'il soit rétabli dans ses droits à pension et à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 472 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Guilhemsans, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Balat, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'accusé de réception de l'avis d'audience adressé par le greffe de la cour administrative d'appel à M. X... le 27 novembre 1996 et retourné à la cour le 16 décembre avec la mention "non réclamé, retour à l'envoyeur", ne comporte aucune mention établissant qu'il aurait été présenté au domicile de celui-ci ; que M. X... est, dès lors, fondé à soutenir que l'arrêt attaqué doit être annulé pour avoir été rendu selon une procédure irrégulière ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond, en application de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987 ;
Sur les conclusions de M. X... tendant au rétablissement de sa pension :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 7 octobre 1985, l'administration a concédé à M. X..., à sa demande, une pension de réversion de 50 % à la suite du décès de son épouse, institutrice en retraite, dont il était divorcé ; que cette pension a fait l'objet d'un arrêté d'annulation en date du 24 septembre 1991 ; qu'en exécution de cet arrêté, un ordre de reversement a été établi à l'encontre de M. X..., le 22 décembre 1992, pour un montant de 131 643 F ; que M. X... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cet arrêté et cet ordre de reversement ainsi que de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 000 000 F en réparation des préjudices subis ;
Considérant que, le 29 mars 1993, le ministre du budget a annulé l'arrêté du 24 septembre 1991 en tant qu'il prévoyait le recouvrement du trop-perçu, tout en le confirmant en tant qu'il annulait la pension de M. X... à compter du 1er juin 1985 ; qu'ainsi, les conclusions du requérant tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 septembre 1991 n'étaient devenues sans objet qu'en ce qui concerne les dispositions prévoyant le recouvrement du trop-perçu ; que c'est, dès lors, à tort que le tribunal administratif de Paris a, par le jugement attaqué, prononcé un non-lieu sur les conclusions de M. X... tendant au rétablissement de sa pension ; que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a prononcé un non-lieu sur ces conclusions ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer sur les conclusions de première instance de M. X... tendant au rétablissement de sa pension ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 50 du code des pensions civiles et militaires de retraite : "Le conjoint survivant d'une femme fonctionnaire ( ...) peut, sous lesréserves et dans les conditions fixées par le présent article, prétendre à 50 % de la pension obtenue par elle ( ...) La jouissance de cette pension est suspendue tant que subsiste un orphelin bénéficiaire des dispositions de l'article L. 42 (1er alinéa) ( ...)" ; qu'il ressort des dispositions combinées du premier alinéa de l'article L. 42 et de celles, auxquelles il renvoie, du premier alinéa de l'article L. 38 et des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 40 du même code, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 12 de la loi du 21 décembre 1973 dont sont issues les dispositions de l'article L. 42, que les orphelins majeurs infirmes d'une femme fonctionnaire décédée en jouissance d'une pension et qui sont dans l'impossibilité de gagner leur vie au jour du décès de leur mère, bénéficient, comme les orphelins âgés de moins de 21 ans, d'une priorité sur leur père pour l'attribution d'une pension de réversion ; que, dès lors, M. X... n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait commis une erreur de droit en estimant que la pension de réversion de sa femme revenait en priorité à ses orphelins majeurs infirmes ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite : "La pension et la rente viagère d'invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l'initiative de l'administration ou sur demande de l'intéressé que dans les conditions suivantes : A tout moment, en cas d'erreur matérielle ;/ Dans un délai de six mois à compter de la notification initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d'erreur de droit ( ...)" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le service des pensions ignorait, à la date à laquelle il a procédé à la liquidation de la pension de M. X..., que deux de ses enfants majeurs, atteints d'une infirmité permanente, étaient à la charge de leur mère au moment de son décès ; que, par suite, la révision faite par l'arrêté du 24 septembre 1991, confirmé par l'arrêté du 29 mars 1993, a eu pour seul objet de rectifier une erreur matérielle au sens de l'article L. 55 précité et non une erreur de droit ; que la circonstance que les enfants de M. X... n'avaient pas demandé de pension de réversion à la date à laquelle cette pension a été attribuée à celui-ci ne fait pas obstacle à ce que l'erreur commise soit constatée et réparée ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué, intervenu plus de six mois après la liquidation de sa pension, était tardif ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que MM. Jean-Claude et Henri X... étaient atteints, à la date du décès de leur mère, d'une infirmité permanente les mettant dans l'impossibilité de gagner leur vie ; que le requérant, qui ne fait état d'aucun élément de nature à remettre en cause cette appréciation, n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration en a déduit, conformément à l'avis de la commission de réforme, réunie le 29 juin 1990, qu'ils remplissaient les conditions posées par le troisième alinéa de l'article L. 40 du code des pensions relatif aux droits à pension des orphelins majeurs ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 24 septembre 1991, confirmé par l'arrêté du 29 mars 1993, en tant qu'il annule la pension de réversion qui lui avait été concédée et le rétablissement de cette pension ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'augmentation de l'indemnité accordée par le tribunal administratif et sur le recours incident du ministre :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la date à laquelle elle a concédé une pension à M. X..., l'administration ignorait le fait que ses deux fils majeurs étaient, à la date du décès de leur mère, dans l'incapacité de gagner leur vie en raison de l'infirmité dontils étaient atteints ; qu'ainsi, l'erreur matérielle dont était entachée la décision du 7 octobre 1985 concédant une pension à M. X... ne saurait constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il suit de là, d'une part, que les conclusions de M. X... tendant à ce que l'indemnité qui lui a été accordée par le tribunal administratif de Paris soit portée à 1 000 000 de francs ne peuvent qu'être rejetées et, d'autre part, que le ministre de l'économie, des finances et du plan est fondé à soutenir, par la voie du recours incident, que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné l'Etat à payer à l'intéressé une indemnité de 5 000 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 1994 ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à M. X... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, en date du 19 décembre 1996, est annulé.
Article 2 : Sont annulés l'article 1er, en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. X... tendant au rétablissement de sa pension, et l'article 2 du jugement du 14 décembre 1994 du tribunal administratif de Paris.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. X... devant le tribunal administratif de Paris, la cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Innocent X..., au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.