Cour Administrative d'Appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 08/12/2008, 06NC01507, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision08 décembre 2008
Num06NC01507
JuridictionNancy
Formation3ème chambre - formation à 3
PresidentM. VINCENT
RapporteurM. Michel BRUMEAUX
CommissaireM. COLLIER
AvocatsSCP BLOCQUAUX BROCARD

Vu I°) la requête, enregistrée sous le n° 06NC01507 le 27 novembre 2006 pour la télécopie et le 29 novembre 2006 pour l'original, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES, dont le siège est 45 avenue de Manchester à Charleville-Mézières (08000), par Me Bazin ; le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0102456 en date du 19 septembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamné à verser, au titre du préjudice moral, les sommes de 18 000 € à Mme Marie-Claude BAYX, 15 000 € à Mlle Dany BAYX et 3 000 € à M. Damien BAYX ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les consorts BAYX devant le tribunal administratif ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de vérifier que le cancer du sinus droit dont M. Albert BAYX a été affecté est la conséquence directe de son activité de menuisier ;

Il soutient que la faute inexcusable de l'employeur ne saurait fonder l'action en réparation ; que M. BAYX s'est abstenu de faire reconnaître le cancer dont il était atteint comme maladie professionnelle ; que ses ayants droit ne sauraient prétendre à l'application de la législation relative aux maladies professionnelles des agents publics ; que la commission de réforme, qui a rendu le 8 décembre 2000 un avis favorable à la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle présentée par les ayants droit de M. BAYX, a siégé dans une composition irrégulière ; que la menuiserie n'était que l'une des tâches confiées à cet agent, qui intervenait sur plusieurs sites ; qu'il était impossible pour l'employeur de vérifier si la poussière de bois justifiait un aménagement spécifique du poste de travail, compte tenu de la diversité des lieux d'intervention ; qu'indépendamment du cancer du sinus, M. BAYX a souffert de nombreuses pathologies ; qu'une dépression sévère a justifié un congé de longue maladie en 1993 ; que la cardiopathie apparue en mai 1995, le cancer du sinus en septembre 1995, les troubles épileptiques en 1996 et la dégradation intellectuelle en 1997 ont justifié la mise à la retraite pour invalidité à compter du 10 novembre 1998 ; que ces pathologies ont rendu nécessaire l'intervention d'une tierce personne ; qu'il a bénéficié d'une majoration à ce titre ; que ces diverses maladies ont été la cause de la cessation de son activité professionnelle et de son décès prématuré ; que les congés de longue durée ont été accordés pour des raisons neurologiques et psychiatriques ; que les époux BAYX étaient séparés de fait depuis 1993 ; que le cancer a été diagnostiqué en septembre 1995, alors que l'intéressé était déjà en congé de longue durée depuis deux ans ; que l'incidence de ce cancer sur son invalidité a été évaluée à
0 % ; que si M. BAYX est décédé d'une récidive de ce cancer, son espérance de vie était très limitée par les autres pathologies ; qu'à son décès, il bénéficiait d'une pension de retraite et des prestations liées à son invalidité ; que ses ayants droit n'ont subi aucun préjudice économique ; que l'article L. 46 du code des pensions civiles et militaires exclut du droit à pension le conjoint survivant qui vit en état de concubinage notoire ; que la fille de M. BAYX n'apporte pas la preuve qu'elle a poursuivi des études jusqu'à l'âge de 25 ans ; qu'elle aurait pu prétendre à la pension de réversion jusqu'à l'âge de 21 ans si sa mère avait déclaré sa situation de concubinage ; que le montant de la pension de réversion et le capital décès perçu ont indemnisé en totalité le préjudice économique allégué ;


Vu II°) la requête, enregistrée sous le n° 07NC01251 au greffe de la Cour le
4 septembre 2007, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES, dont le siège est 45 avenue de Manchester à Charleville-Mézières (08000), par Me Bazin ;

Le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0102456 en date du 3 juillet 2007 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamné à verser, au titre du préjudice économique, les sommes de 12 440 € à Mme Marie-Claude BAYX et de 14 522 € à Mlle Dany BAYX ;

2°) de réduire les indemnités fixées par le tribunal administratif ;



Il soutient que le pourcentage des revenus annuels de M. BAYX consacrés à son épouse doit être fixé à 15 % ; que les revenus à prendre en compte sont ceux perçus à son décès, puisque sa mise en invalidité n'a pas été provoquée par sa maladie professionnelle ; que le montant de la pension de réversion doit être fixé pour l'année 1999 à 5 275,12 €, somme supérieure au préjudice économique, qui peut être évalué à 2 179 € ; que Mme BAYX ne peut donc prétendre à l'indemnisation de son préjudice économique ; qu'à supposer que le pourcentage de 40 % soit maintenu, il conviendrait de déduire la pension de réversion et de limiter l'indemnité due à ce titre à la somme de 4 744,02 € ; que la preuve n'a pas été rapportée que Mlle BAYX a poursuivi ses études au-delà de ses 18 ans ; qu'ainsi, le préjudice de celle-ci ne peut dépasser la somme de 2 727,17 € ;


Vu les jugements attaqués ;


Vu le nouveau mémoire, enregistré le 19 janvier 2008, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES ; il conclut à ce que la Cour fasse injonction à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales de transmettre les expertises médicales concernant M. BAYX et ayant entraîné un congé de longue durée à compter du 10 novembre 1993, puis sa mise en invalidité à compter du 10 novembre 1998 ;

Vu l'ordonnance en date du 5 août 2008 par laquelle le président de la 3ème chambre de la Cour a prononcé la clôture de l'instruction à compter du 11 septembre 2008 ;

Vu l'ordonnance en date du 10 septembre 2008 portant réouverture de l'instruction ;

Vu le mémoire, enregistré pour la télécopie le 9 septembre 2008 et le 12 septembre 2008 pour l'original, présenté pour Mme Marie-Claude BAYX, Mlle Dany BAYX, et
M. Damien BAYX ;

Les consorts BAYX concluent :

- d'une part, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; à ce titre, ils soutiennent que la responsabilité de l'hôpital est engagée en raison de son refus de mettre en place, sur les machines utilisées par M. BAYX, un système d'aération des sciures et des poussières ; que le préjudice subi par la veuve et la fille de M. BAYX doit être évalué à compter de 1995 ; que
M. BAYX a été opéré en novembre 1995 et n'a plus retravaillé jusqu'à sa retraite pour invalidité en novembre 1998 ; que sa pension de retraite a été minorée en raison de sa mise à la retraite prématurée et ses revenus réduits pendant la maladie ; que ce préjudice résulte directement de la survenance de la maladie contractée dans l'exercice de ses fonctions ;

- d'autre part, par voie d'appel incident, à la réformation du jugement du 3 juillet 2007 en ce qu'il a statué sur leur préjudice économique et à ce que ce dernier soit fixé à 50 010 euros pour Mme BAYX et 44 515 euros pour Mlle BAYX ; à ce titre, ils soutiennent que le tribunal administratif a fait une évaluation insuffisante de leur préjudice ;

Vu les nouvelles pièces, enregistrées le 25 septembre 2008, produites pour Mme Marie-Claude BAYX, Mlle Dany BAYX et M. Damien BAYX ;

Vu les mémoires en réplique, enregistrés les 25 septembre et 8 octobre 2008, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES ; il maintient ses conclusions ; il fait valoir que les graves pathologies dont était atteint M. BAYX avant la survenance du cancer ont été passées sous silence ; que la pension de retraite de Mme veuve BAYX et les revenus de son concubin doivent être pris en compte pour arrêter le préjudice économique ; que le calcul du préjudice économique de Mlle BAYX auquel le tribunal administratif a procédé est inexact ; que Mme veuve BAYX devait faire bénéficier sa fille de la réversion de la pension de retraite jusqu'à ses 21 ans en raison de son concubinage notoire ; que Mlle BAYX a obtenu le diplôme professionnel de professeur des écoles en juin 2007, ce qui implique qu'elle a été rémunérée à compter du 1er octobre 2006 ; qu'ainsi, le préjudice économique de celle-ci doit être évalué sur la seule période du 20 août 2002 au 1er octobre 2006 ; que la capitalisation étant calculée sur la base de 19 051,20 F et à partir d'une valeur de point de 1,819, le préjudice économique de Mlle BAYX ne saurait excéder 5 283 € ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 novembre 2008 :

- le rapport de M. Brumeaux, président,

- et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement


Sur la jonction :

Considérant que les requêtes enregistrées sous les n°s 06NC01507 et 07NC01251 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt ;


Sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE- MEZIERES

Considérant que le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES interjette appel d'un jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 19 septembre 2006 qui l'a déclaré responsable du décès de M. BAYX, ancien agent hospitalier de cet établissement, et l'a condamné à verser les sommes de 18 000 € à Mme Marie-Claude BAYX, sa veuve, 15 000 € à Mlle Dany BAYX, sa fille, et 3 000 € à M. Damien BAYX, son frère, au titre du préjudice moral, et d'un second jugement du même tribunal en date du 3 juillet 2007 le condamnant à verser, au titre du préjudice économique, les sommes de 12 440 € à Mme Marie-Claude BAYX et 14 522€ à Mlle Dany BAYX ; que, par la voie de l'appel incident, ces dernières demandent la réformation du second jugement attaqué en ce qu'il leur a alloué une réparation qu'elles estiment insuffisante au titre de leur préjudice économique, qu'elles sollicitent être fixé à 50 010 € pour Mme BAYX et à 44 515 € pour sa fille ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'alors qu'il était en position de congé de longue durée pour dépression et en raison de complications cardiaques depuis le 8 décembre 1994 et avait été admis à la retraite pour invalidité le 9 novembre 1998, M. Albert BAYX, agent hospitalier en service au CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES, est décédé le 15 juin 1999 des suites d'une récidive diagnostiquée en mars 1999 d'un cancer du sinus droit apparu en 1995 ;

Considérant qu'en admettant même que M. BAYX effectuait également d'autres tâches que celles de menuisier, il est établi que les ateliers dans lesquels il a exercé régulièrement son activité professionnelle depuis 1974 n'étaient pas alors équipés d'appareils d'aspiration des poussières de bois au cours des travaux d'usinage du bois auxquels il se livrait ; qu'ainsi, le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE MEZIERES a commis une faute du fait de sa carence dans la prévention des risques pour la santé liés à l'exposition et à l'inhalation de poussières de bois, qui est de nature à engager sa responsabilité ;

Considérant que l'exposition et l'inhalation de poussières de bois peuvent être susceptibles de provoquer des cancers des sinus, qui sont reconnus comme maladie professionnelle chez les menuisiers ; qu'au cas particulier, la commission de réforme a émis le
8 décembre 2000 un avis favorable à la reconnaissance du cancer de M. BAYX en tant que maladie professionnelle ; qu'enfin, le médecin du travail du centre hospitalier a estimé qu'il existait une relation très probable entre ce cancer et le poste qu'il occupait ; que si le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE MEZIERES soutient que l'état de santé dégradé de M. BAYX aurait aggravé les effets pathologiques du cancer dont il était atteint, il résulte toutefois de l'instruction que celui-ci est décédé des seules suites de ce cancer et que rien ne permet d'établir que les autres maladies dont il était atteint auraient joué un rôle dans la survenance et la progression de ce cancer ; que, dans ces conditions, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise sur ce point, le lien de causalité entre ce cancer et l'activité professionnelle de M. BAYX doit être regardé comme établi ; qu'il suit de là que le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a reconnu responsable des conséquences dommageables du décès de M. BAYX ;


Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne le préjudice économique de Mme Marie-Claude BAYX et de sa fille Dany :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les congés de maladie de longue durée dont a bénéficié M. BAYX dès le 8 décembre 1994 jusqu'à sa mise à la retraite pour invalidité le 9 novembre 1998 ont été justifiés par des pathologies autres que son cancer du sinus, qui a été toutefois la cause de son décès, comme il a été dit ci-dessus ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu les revenus de l'année de son décès, dont le montant non contesté s'élève à 95 256 F (14 521,68 euros), pour calculer le préjudice économique des ayants droit de M. BAYX ; que le tribunal a pu, sans erreur d'appréciation, fixer à 40 % la part des revenus de M. BAYX revenant à sa veuve, alors même que celle-ci perçoit une pension de retraite ; que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, les premiers juges ont déduit la pension de réversion perçue par Mme BAYX pour le calcul de son préjudice économique ; qu'il n'est enfin pas établi qu'à la date du décès de son conjoint, Mme BAYX aurait bénéficié de ressources provenant d'une tierce personne ; qu'ainsi, les premiers juges ont procédé à une exacte évaluation du préjudice économique qu'elle a subi en le fixant, eu égard à la valeur du franc de rente tel que défini par le barème de capitalisation annexé au décret n° 86-973 du 8 août 1986, à la somme de 12 440 euros ; qu'en ce qui concerne Mlle Dany BAYX, âgée de 17 ans en 1999, il résulte de l'instruction qu'elle a continué ses études jusqu'à l'âge de 22 ans ; que, toutefois, la part des revenus de M. BAYX consacrée à son entretien doit être ramenée à
15 % ; qu'ainsi, le montant dû à Mlle BAYX par le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES au titre du préjudice économique doit être ramené à 10 890,54 € ;

En ce qui concerne le préjudice moral :

Considérant qu'en fixant aux sommes de 18 000 € et de 15 000 € l'indemnisation du préjudice moral subi respectivement par Mme Marie-Claude BAYX et par sa fille Dany, les premiers juges ont procédé à une évaluation excessive de ce préjudice ; qu'il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une suffisante appréciation de ce préjudice en ramenant les sommes allouées par le tribunal administratif à 12 500 € pour Mme BAYX et 8 500 € pour
Mlle Dany BAYX ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES est fondé à demander que les indemnités mises à sa charge soient ramenées à un montant de 10 890,54 € pour le préjudice économique de Mlle BAYX et de 12 500 € et de 8 500 € pour le préjudice moral subi respectivement par
Mme BAYX et sa fille ; qu'il y a par suite lieu de rejeter le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier et l'appel incident des consorts BAYX ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent les consorts BAYX au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Les indemnités mises à la charge du CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES sont ramenées à un montant de 10 890,54 € pour le préjudice économique de Mlle BAYX et de 12 500 € et de 8 500 € pour le préjudice moral subi respectivement par Mme BAYX et sa fille Dany.
Article 2 : Les jugements du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date des 19 septembre 2006 et 3 juillet 2007 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 3: Le surplus des conclusions du CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES et les conclusions incidentes des consorts BAYX sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER GENERAL DE CHARLEVILLE-MEZIERES, à Mme Marie-Claude BAYX, à Mlle Dany BAYX et à
M. Damien BAYX.

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N° 06NC01507