Cour Administrative d'Appel de Nantes, Formation plénière, 14/10/2010, 08NT00224
Date de décision | 14 octobre 2010 |
Num | 08NT00224 |
Juridiction | Nantes |
Formation | Formation plénière |
President | M. LOOTEN |
Rapporteur | M. Jean-Frédéric MILLET |
Commissaire | M. GEFFRAY |
Avocats | LE BRET-DESACHE ; ; LE BRET-DESACHE |
Vu l'ordonnance en date du 16 janvier 2008 par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour le jugement de la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 18 décembre 2007, présentée pour M. Jean-Jacques X ;
Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés respectivement les 28 janvier et 29 février 2008 au greffe de la cour, présentés pour M. Jean-Jacques X, demeurant ..., par Me Le Bret-Desaché, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; M. Jean-Jacques X demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 06-4637 du 4 octobre 2007 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 septembre 2006 du Premier ministre lui refusant le bénéfice de l'aide financière instituée par le décret du 27 juillet 2004 pour les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie pendant la deuxième guerre mondiale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 septembre 2010 :
- le rapport de M. Quillévéré, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Geffray, rapporteur public ;
- et les observations de Me Le Bret-Desaché, avocat de M. X ;
Considérant que M. Jean-Jacques X relève appel du jugement du 4 octobre 2007 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du Premier ministre lui refusant le bénéfice de l'aide financière en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie pendant la Deuxième Guerre mondiale ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'aux termes des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. / Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 27 juillet 2004 : Toute personne, dont la mère ou le père, de nationalité française ou étrangère, a été déporté, à partir du territoire national, durant l'Occupation pour les motifs et dans les conditions mentionnées aux articles L. 272 et L. 286 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et a trouvé la mort en déportation, a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue. / Ce régime bénéficie également aux personnes, mineures de moins de vingt et un ans au moment des faits, dont le père ou la mère, de nationalité française ou étrangère, a, durant l'Occupation, été exécuté dans les circonstances définies aux articles L. 274 et L. 290 du même code. (...) ;
Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et qu'il n'est pas contesté que le décès prématuré de Mme Renée X, à l'âge de quarante et un ans, alors même qu'il n'est survenu qu'en avril 1949, est directement imputable aux sévices dont elle a été victime, de novembre 1943 à avril 1945, dans des lieux de déportation figurant sur la liste des camps situés en territoire exclusivement administrés par l'ennemi considérés comme camps de concentration, au sens de l'annexe à l'arrêté du ministre des anciens combattants et victimes de la guerre du 15 décembre 1949, publiée au Journal officiel du 21 février 1950 ; que le refus de verser à M. X, fils de Mme Renée X, l'aide financière instituée par les dispositions précitées du décret du 27 juillet 2004 pour les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale repose exclusivement sur le constat que sa mère, dont pourtant l'acte de décès porte la mention morte pour la France et a été victime d'actes de barbarie durant la seconde guerre mondiale, n'est pas décédée sur son lieu de déportation ; qu'une telle différence de traitement entre des personnes également victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale pour l'attribution de l'aide financière en litige ne repose sur aucune justification objective et raisonnable ; que les dispositions du décret du 27 juillet 2004 étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées à celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention, elles ne pouvaient justifier le refus opposé par le Premier ministre à la demande présentée par M. X en vue de l'attribution de l'aide financière instituée pour les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. X de la somme de 1 500 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 06-4637 du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2007, ensemble la décision du Premier ministre du 12 septembre 2006, sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. X la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Jacques X et au Premier ministre.
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