Conseil d'État, 4ème sous-section jugeant seule, 26/11/2012, 333799, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 26 novembre 2012 |
Num | 333799 |
Juridiction | |
Formation | 4ème sous-section jugeant seule |
Rapporteur | M. Louis Dutheillet de Lamothe |
Commissaire | Mme Gaëlle Dumortier |
Vu le pourvoi, enregistré le 13 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par M. Jacques A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08/00012 du 28 septembre 2009 par lequel la cour régionale des pensions de Douai, infirmant le jugement du 15 septembre 2008 du tribunal départemental des pensions du Nord ayant fixé à 95 % le taux global de sa pension militaire d'invalidité par suite de l'aggravation de 15 % de l'infirmité d'hypoacousie bilatérale, a maintenu à 80 % le taux global de cette pension ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé au nom de l'Etat et de faire droit à son appel incident ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 octobre 2012, présentée par M. A ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Marchand-Arvier, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
1. Considérant que M. A, ancien lieutenant-colonel rayé des contrôles de l'armée active le 25 février 1991, s'est vu concéder, par arrêté du 14 mars 2005 du ministre de la défense, pris en exécution d'un arrêt du 25 octobre 2004 de la cour régionale des pensions de Douai, une pension militaire d'invalidité au taux de 65 % pour l'infirmité d'hypoacousie bilatérale, au taux de 10 % pour des acouphènes bilatéraux et au taux de 10 % pour des cervicalgies post-traumatiques, soit un taux global de 80 %, fixé à titre temporaire s'agissant des deux premières affections ; que, dès le 21 mars 2005, M. A a demandé la conversion en pension définitive de cette pension, entre temps renouvelée au titre des deux premières affections par un arrêté du 17 octobre 2005, et s'est prévalu à cette occasion d'une aggravation de 15 % de l'infirmité d'hypoacousie bilatérale ; que, cependant, par arrêté du 6 juin 2006, le ministre de la défense ne lui a concédé une pension définitive qu'au taux global de 80 % ; que, par un jugement du 15 septembre 2008, le tribunal départemental des pensions du Nord, saisi par M. A, a jugé que l'aggravation constatée à hauteur de 15 % de l'hypoacousie bilatérale était imputable au service et que, par suite, l'intéressé pouvait prétendre à une pension au taux global de 95 % ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 septembre 2009 par lequel la cour régionale des pensions de Douai, infirmant ce jugement, a jugé que le taux global de sa pension devait être maintenu à 80 % en l'absence d'imputabilité au service de l'aggravation constatée de l'infirmité d'hypoacousie bilatérale ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi ;
2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 11 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, dans sa rédaction, alors en vigueur, issue du décret du 30 octobre 1996 : " Les décisions du tribunal départemental des pensions sont susceptibles d'appel devant la cour régionale des pensions soit par l'intéressé, soit par l'Etat. L'appel présenté au nom de l'Etat est formé (...) par le ministre intéressé (...) lorsque la décision litigieuse a été prise par le ministre de la défense." ; que s'il résulte de la combinaison de cet article et des autres dispositions du décret du 20 février 1959, dans leur rédaction applicable au litige, que l'administration était représentée devant la cour régionale des pensions, comme devant le tribunal départemental des pensions, par un commissaire du gouvernement désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre, et que, notamment, c'est à lui qu'étaient notifiés les jugements du tribunal et les arrêts de la cour, il ne s'en déduit pas que ce fonctionnaire avait qualité, même sur instruction en ce sens, pour former appel au nom de l'Etat dans les cas où cette compétence était expressément réservée au ministre ; que dans ces cas, seul le ministre ou une personne ayant régulièrement reçu de lui délégation à cet effet avait compétence pour signer la requête par laquelle il était fait appel d'un jugement du tribunal départemental des pensions ;
3. Considérant que les arrêtés, en date des 17 octobre 2005 et 6 juin 2006, maintenant à 80 % le taux global de la pension militaire d'invalidité de M. A, ont été pris par le ministre de la défense ; qu'il est constant que l'acte par lequel il a été relevé appel, au nom de l'Etat, du jugement du 15 septembre 2008 du tribunal départemental des pensions du Nord qui, réformant ces arrêtés, a porté ce taux à 95 %, a été signé par le directeur interdépartemental des anciens combattants en sa qualité de commissaire du gouvernement près le tribunal départemental des pensions ; qu'il résulte de ce qui a été indiqué ci-dessus qu'en l'absence de régularisation devant la cour par le ministre de la défense ou par un fonctionnaire agissant régulièrement en son nom, cet appel était irrecevable ; qu'il appartenait à la cour de relever d'office ce moyen qui ressortait des pièces du dossier ; qu'à défaut pour elle de l'avoir fait, son arrêt doit être annulé ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant que, l'appropriation par le ministre, dans son mémoire en défense enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 10 juin 2010, des conclusions de la requête d'appel présentée à la cour régionale des pensions par le commissaire du gouvernement a pour effet de régulariser cet appel ;
6. Considérant que, pour réformer les arrêtés attaqués des 17 octobre 2005 et 6 juin 2006 et porter de 65 % à 80 % le taux d'invalidité de M. A au titre de l'affection d'hypoacousie bilatérale, le tribunal départemental des pensions s'est fondé sur la circonstance que, par son arrêt du 25 octobre 2004, la cour régionale des pensions de Douai aurait déjà reconnu tant l'existence d'une aggravation de 15 % de cette infirmité que l'imputabilité au service de cette aggravation ; qu'il résulte cependant de l'instruction que, par cet arrêt, la cour régionale des pensions s'est bornée à reconnaître un taux d'invalidité de 65 % au titre de l'hypoacousie survenue avant la radiation des cadres de M. A, sans se prononcer sur l'aggravation en cause dans la présente instance, postérieure à cette radiation, ni, par conséquent, sur son imputabilité au service ; que, par suite, en statuant comme il l'a fait, le tribunal départemental des pensions a dénaturé l'arrêt de la cour régionale des pensions du 25 octobre 2004 ; qu'il s'ensuit que c'est à tort qu'il s'est fondé sur le motif, tiré implicitement de l'autorité de chose jugée attachée à cet arrêt, pour faire droit à la demande principale de M. A ;
7. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A devant le tribunal départemental des pensions du Nord et la cour régionale des pensions de Douai ;
8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et notamment de celles de l'article L. 28, alors en vigueur, et des articles suivants, qui prévoient la révision des pensions lorsque l'infirmité vient à s'aggraver, ainsi que de celles de l'article L. 6, qui conduisent à apprécier les taux d'invalidité, non à la date à laquelle la blessure a été reçue ou la maladie contractée, mais à celle, qui peut être largement postérieure, du dépôt de la demande, que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé ; qu'ainsi l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension ; qu'en revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée ;
9. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du docteur Moreau que les autres pièces du dossier ne conduisent pas à écarter, que l'aggravation de l'hypoacousie bilatérale que présente l'intéressé, par rapport aux constatations ayant donné lieu à la fixation du taux d'invalidité de 65 % au titre de cette affection à la suite de l'arrêt précité du 25 octobre 2004 de la cour régionale des pensions de Douai, est liée à une presbyacousie ou à une labyrinthisation accompagnant une otospongiose ancienne à caractère héréditaire, c'est-à-dire à une infirmité distincte, liée au vieillissement physiologique de l'appareil auditif ; qu'ainsi, cette aggravation, qui n'est pas due uniquement au vieillissement du pensionné, ne peut être regardée comme imputable au service et justifier une révision du taux de 65 % fixé par les arrêtés contestés des 17 octobre 2005 et 6 juin 2006 ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal départemental des pensions du Nord a dit que l'aggravation constatée de l'infirmité d'hypoacousie bilatérale présentée par M. A était imputable au service et, réformant les arrêtés des 17 octobre 2005 et 6 juin 2006, a fixé à 95 % le taux global d'invalidité de l'intéressé ;
11. Considérant, par ailleurs, qu'il résulte des dispositions de l'article 5 du décret du 20 février 1959 que le recours devant les juridictions spéciales des pensions ne peut être formé que contre une décision ministérielle prise sur la demande de pension ; que, par suite, sont irrecevables les conclusions tendant au bénéfice de majorations de pension présentées directement devant le tribunal des pensions sans qu'il en ait été fait état dans une demande sur laquelle l'administration a été appelée à se prononcer ;
12. Considérant que le ministre de la défense soutient, sans être démenti, que M. A ne lui a pas soumis de demande tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 1 bis et L. 37 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; qu'il est, par suite, fondé à soutenir que les conclusions que l'intéressé a présentées à cette fin directement devant le tribunal départemental des pensions doivent être rejetées, en tout état de cause, comme irrecevables ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Douai du 28 septembre 2009 et le jugement du tribunal départemental des pensions du Nord du 15 septembre 2008 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A devant le tribunal départemental des pensions du Nord est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jacques A et au ministre de la défense.