Conseil d'État, 4ème sous-section jugeant seule, 23/10/2013, 356654, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 octobre 2013
Num356654
Juridiction
Formation 4ème sous-section jugeant seule
RapporteurMme Florence Chaltiel-Terral
CommissaireMme Gaëlle Dumortier
AvocatsSCP PIWNICA, MOLINIE

Vu le pourvoi, enregistré le 10 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de la défense et des anciens combattants ; le ministre de la défense et des anciens combattants demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11/00004 du 15 décembre 2011 par lequel la cour régionale des pensions de Riom a confirmé le jugement du 12 janvier 2010 du tribunal départemental des pensions de la Creuse accordant à M. A...B...la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, calculée initialement au grade de major de la gendarmerie nationale, en fonction de l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 56-913 du 5 septembre 1956 ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;

Vu le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Chaltiel-Terral, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. B...;




1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Les pensions militaires prévues par le présent code sont liquidées et concédées, sous réserve de la confirmation ou modification prévues à l'alinéa ci-après, par le ministre des anciens combattants et des victimes de guerre ou par les fonctionnaires qu'il délègue à cet effet (...). / Les concessions ainsi établies sont confirmées ou modifiées par un arrêté conjoint du ministre des anciens combattants et victimes de guerre et du ministre de l'économie et des finances. La concession ne devient définitive qu'après intervention dudit arrêté. / (...) / Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables aux militaires et marins de carrière (...), pour lesquels la pension est liquidée (...) par le ministre d'Etat chargé de la défense nationale (...), la constatation de leurs droits incombant au ministre des anciens combattants et victimes de la guerre. Ces pensions sont concédées par arrêté signé du ministre de l'économie et des finances. " ; que, d'une part, en vertu de l'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, dans sa rédaction alors en vigueur, l'intéressé dispose d'un délai de six mois pour contester, devant le tribunal départemental des pensions, les décisions prises en vertu du premier ou du dernier alinéa de l'article L. 24 précité ainsi que la décision prise en vertu du deuxième alinéa du même article, sauf si celle-ci a simplement confirmé la décision primitive prise en vertu du premier alinéa ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 78 du même code : " Les pensions définitives ou temporaires attribuées au titre du présent code peuvent être révisées dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation a été commise. / 2° Lorsque les énonciations des actes ou des pièces sur le vu desquels l'arrêté de concession a été rendu sont reconnues inexactes soit en ce qui concerne le grade, le décès ou le genre de mort, soit en ce qui concerne l'état des services, soit en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille, soit en ce qui concerne le droit au bénéfice d'un statut légal générateur de droits. / Dans tous les cas, la révision a lieu sans condition de délai (...) " ;

2. Considérant que le décalage défavorable entre l'indice de la pension servie à un ancien sous-officier de l'armée de terre, de l'armée de l'air ou de la gendarmerie et l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale, lequel ne résulte ni d'une erreur matérielle dans la liquidation de la pension, ni d'une inexactitude entachant les informations relatives à la personne du pensionné, notamment quant au grade qu'il détenait ou au statut générateur de droit auquel il pouvait légalement prétendre, ne figure pas au nombre des cas permettant la révision, sans condition de délai, d'une pension militaire d'invalidité sur le fondement de l'article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; qu'ainsi, la demande présentée par le titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée à titre temporaire ou définitif sur la base du grade que l'intéressé détenait dans l'armée de terre, l'armée de l'air ou la gendarmerie, tendant à la revalorisation de cette pension en fonction de l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale, doit être formée dans le délai de six mois fixé par l'article 5 du décret du 20 février 1959 ; que, passé ce délai de six mois ouvert au pensionné pour contester l'arrêté lui concédant sa pension, l'intéressé ne peut demander sa révision que pour l'un des motifs limitativement énumérés aux 1° et 2° de l'article L.78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

3. Considérant, par ailleurs, que les dispositions de l'article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre s'appliquent aux pensionnés comme à l'administration ; que si elles prémunissent cette dernière contre des contestations tardives pour des motifs autres que les erreurs et omissions matérielles évoquées ci-dessus, elles garantissent réciproquement aux titulaires de pensions d'invalidité que leurs droits ne pourront être remis en cause par l'administration, sans condition de délai, pour des erreurs de droit ; qu'en tout état de cause, elles ne font pas obstacle à ce que les pensionnés puissent faire valoir utilement leurs droits devant la juridiction des pensions, pour quelque motif que ce soit, dans le délai de recours prévu par l'article 5 du décret du 20 février 1959, dont la durée de six mois, dérogatoire au droit commun, n'apparaît pas manifestement insuffisante à cet effet ; que, par suite, ces dispositions ne sont pas contraires aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un recours effectif devant une juridiction ;

4. Considérant que la cour régionale des pensions de Riom a écarté la fin de non-recevoir opposée par le commissaire du gouvernement, tirée de la forclusion de la demande de M. B...tendant à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, au motif qu'une telle demande entrait dans les prévisions de l'article L. 78 précité permettant de solliciter la révision d'une pension militaire d'invalidité sans condition de délai ; que, toutefois, eu égard au motif invoqué par le pensionné, il lui incombait d'examiner si l'intéressé était recevable, compte tenu de la date et des conditions de la notification de l'arrêté lui ayant concédé sa pension, à solliciter la remise en cause de cette dernière ; qu'ainsi, la cour régionale a commis une erreur de droit ; que, par suite, le ministre de la défense et des anciens combattants est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

5. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. " ;

7. Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " La notification des décisions prises en vertu de l'article L. 24, premier alinéa, du présent code, doit mentionner que le délai de recours contentieux court à partir de cette notification et que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours " ; qu'ainsi, le délai de recours contentieux de six mois prévu à l'article 5 du décret du 20 février 1959 ne commence à courir que du jour où la décision primitive, prise en application du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, a été notifiée au pensionné dans les formes prévues à l'article L. 25 du même code ou, à défaut, du jour où l'arrêté par lequel cette pension a été concédée à titre définitif, en application du deuxième alinéa du même article L. 24, a été régulièrement notifié à l'intéressé ;

8. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, et qu'il n'est au demeurant pas allégué, que la décision primitive de concession de la pension d'invalidité de M.B..., prise en vertu du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, ait été notifiée à l'intéressé dans les formes prescrites par l'article L. 25 du même code ; que, cependant, il résulte de l'instruction que l'arrêté du 26 mai 2008 portant concession définitive de cette pension a, quant à lui, été régulièrement notifié à M. B..., avec mention des voies et délais de recours ; que, par suite, le délai de recours contentieux a, en tout état de cause, commencé à courir, au plus tard à compter de la notification, le 28 juin 2008, de l'arrêté du 26 mai 2008 sans que l'intéressé puisse se prévaloir, pour soutenir que ce délai n'a pas commencé à courir, d'un éventuel préjudice permanent et continu ; que le courrier que M. B... a adressé à l'administration le 7 avril 2009 en vue d'obtenir la revalorisation de sa pension et qui devait être regardé comme un recours gracieux contre l'arrêté du 26 mai 2008 a été présenté après l'expiration du délai de six mois fixé par l'article 5 du décret du 20 février 1959 ; que, par suite, le recours contentieux que l'intéressé a formé devant le tribunal départemental des pensions de la Creuse, le 21 septembre 2009, en vue, d'une part, de contester le refus implicite opposé à sa demande de revalorisation, d'autre part, d'obtenir la réformation de l'arrêté du 26 mai 2008 portant concession de sa pension à titre définitif, était tardif ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal départemental des pensions a fait droit à la demande de M. B...;

10. Considérant que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par l'avocat de M. B...;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Riom du 15 décembre 2011 et le jugement du tribunal départemental des pensions de la Creuse du 12 janvier 2010 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal départemental des pensions de la Creuse et les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M.B..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de la défense et à M. A...B....

ECLI:FR:CESJS:2013:356654.20131023