Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 10/03/2015, 13MA02665, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 mars 2015
Num13MA02665
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre - formation à 3
PresidentM. GONZALES
RapporteurMme Christine MASSE-DEGOIS
CommissaireMme HOGEDEZ
AvocatsPOUGET

Vu la requête, enregistrée le 1er juillet 2013, présentée pour M. A... B..., demeurant
..., par Me C... ; M. B...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1101856 en date du 14 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a limité à la somme de 117 500 euros le montant de l'indemnisation des préjudices consécutifs à l'accident de service dont il a été victime le 21 février 2003 ;
2°) de condamner l'Etat à la réparation intégrale des préjudices qu'il a subis à la suite de l'accident de service survenu le 21 février 2003 en lui versant la somme de 482 761,38 euros en réparation de ses préjudices personnels et la somme de 370 495,78 euros en réparation de ses préjudices financiers ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les dépens d'appel, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code des pensions civiles et militaires ;
Vu la loi n° 84-16 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu le code de justice administrative ;

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ayant été informées que la décision paraissait susceptible d'être fondée sur deux moyens soulevés d'office ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 février 2015,

- le rapport de Mme Massé-Degois, première conseillère,

- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour M. B...;




1. Considérant que M.B..., agent d'exploitation des travaux publics de l'Etat affecté à la subdivision de Villefort, a été victime d'un accident de service le 21 février 2003 alors qu'il participait à un chantier de renforcement du mur de soutènement de la route départementale 906, au lieu-dit La Ranchine sur le territoire de la commune de Villefort ; qu'il relève appel du jugement du 13 mai 2013 en tant que le tribunal administratif de Nîmes a limité à la somme de 117 500 euros le montant mis à la charge de l'Etat en réparation de ses préjudices consécutifs à son accident de service ; que, dans le dernier état de ses écritures, M. B...demande à la Cour de condamner l'Etat à lui payer 145 451,08 euros en réparation de son préjudice patrimonial et 482 761,38 euros en réparation de son préjudice personnel ;

2. Considérant que les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait ;

3. Considérant, en premier lieu, que M. B...s'est borné, dans son mémoire introductif d'instance enregistré le 11 juin 2011 devant le tribunal administratif de Nîmes à invoquer, à l'appui de ses conclusions à fin d'indemnité, la responsabilité sans faute de l'Etat ; que s'il a invoqué, dans son mémoire d'appel enregistré le 3 juillet 2013 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, la responsabilité pour faute de l'Etat, ce moyen, fondé sur une cause juridique distincte et qui n'est pas d'ordre public, constitue une demande nouvelle, irrecevable ; que, par suite, les conclusions présentées par M. B...tendant à la réparation de son préjudice professionnel doivent être rejetées ;


4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est constant et non contesté que l'accident survenu le 21 février 2003 dont la réparation est demandée par M. B...est directement lié à l'exercice de ses fonctions ; que celui-ci a ainsi droit, en vertu des principes susmentionnés, même en l'absence de faute de l'administration, à la réparation des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que les souffrances physiques ou morales, le préjudice d'agrément et les troubles subis dans les conditions d'existence ;


5. Considérant que M.B..., alors qu'il effectuait le 21 février 2003 avec trois autres agents des travaux de nettoyage des abords de la route départementale 906 a fait une chute dans un ravin sur plus de six mètres en lançant un câble destiné à remonter des troncs d'arbres ; qu'il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux de gendarmerie, tous concordants, d'une part, qu'aucun matériel de sécurité spécifique pour ce chantier n'avait été prévu hormis des casques individuels fournis à chaque agent, d'autre part, que M.B..., agent des services de la direction départementale de l'équipement depuis le 1er septembre 2000, était considéré tant par ses collègues que par sa hiérarchie " comme un employé présentant un retard technique par rapport à ses homologues qui voulait se montrer sous un meilleur jour en prenant des risques plus que nécessaires " et, enfin, qu'il portait des chaussures de sécurité ainsi que des gants de protection et une combinaison de couleur orange fluo mais était dépourvu de tout autre matériel de protection destiné à éviter ou limiter tout risque de chute ; que, dans les circonstances particulières de l'espèce ci-dessus rappelées et dès lors qu'il n'est nullement établi, contrairement à ce que soutient l'administration, que M. B...avait suivi une formation sur la sécurité des équipes le mettant à même d'apprécier les risques encourus en acceptant de travailler sans porter de casque protecteur ni de harnais de sécurité, ce dernier dont sa hiérarchie connaissait le manque de pratique professionnelle, ne saurait être regardé, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, comme ayant commis une quelconque imprudence de nature à exonérer son employeur de son obligation de le garantir contre les risques encourus dans l'exercice de ses fonctions ;


6. Considérant, en troisième lieu, que dans le dernier état de ses écritures, M. B...demande à la Cour de condamner l'Etat à lui payer 145 451,08 euros en réparation de son préjudice patrimonial et 482 761,38 euros en réparation de son préjudice personnel ;
7. Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, M. B...ne peut prétendre obtenir la réparation du préjudice patrimonial professionnel qu'il allègue avoir subi consécutivement à l'accident de service dont il a été victime le 21 février 2003 ;
8. Considérant, d'autre part, que, s'agissant du préjudice patrimonial non professionnel non réparé forfaitairement par la rente viagère d'invalidité majorée pour assistance d'une tierce personne, M. B...n'établit pas, en se bornant à demander la somme forfaitaire de 5 000 euros au tire des " frais de déplacement, de repas, de péage, de frais hospitaliers, de correspondance, de téléphone ... dont il est impossible d'établir la liste ", avoir exposé un tel montant en lien avec l'accident de service dont il a été victime par la production de photocopie de tickets de caisse de restaurants couvrant la période de mars à mai 2003 et de quatre reçus de vente de paquets de jetons datés des 17 avril 2003, 5 mai 2003, 9 mai 2003 et 26 juin 2003 qui ne mentionnent pas l'identité du payeur, ni par la production de la facture Cegetel libellée à son nom et retraçant de manière exhaustive ses appels téléphoniques locaux, nationaux et internationaux au cours de la période du 13 février au 12 avril 2003 ;


9. Considérant que, s'agissant du préjudice personnel, il résulte de l'expertise judiciaire diligentée devant le tribunal administratif de Nîmes, que M. B...a enduré, de la date de son accident le 21 février 2003 jusqu'à la date de la consolidation de son état le 4 novembre 2010, des souffrances physiques estimées à 4 sur une échelle de 1 à 7, un préjudice esthétique jusqu'à la date de la consolidation de son état de santé arrêté à 4 sur une échelle de 1 à 7 et est affecté, depuis la date de la consolidation de son état, d'un préjudice esthétique permanent évalué à 3 sur la même échelle ; qu'ainsi que le fait valoir l'intimé, et contrairement à ce que soutient M.B..., les premiers juges ont fait une évaluation excessive des souffrances endurées en l'arrêtant à la somme de 7 500 euros ; qu'il sera fait une plus juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à 5 000 euros ; que, contrairement à ce que soutiennent l'intimé et l'appelant, en arrêtant à 10 000 euros le montant total destiné à réparer les préjudices esthétiques temporaire et permanent, le tribunal n'en a fait ni une excessive, ni une insuffisante évaluation ; qu'il résulte, enfin, des mêmes éléments expertaux, que M.B..., né en 1961, souffre depuis son accident de service d'un trouble fonctionnel permanent de 85 % dont 5 % imputables à son état antérieur, qu'il n'a plus d'autonomie et qu'il se trouve dans un état de dépendance important nécessitant le recours à l'assistance d'une tierce personne 24 heures sur 24 ; qu'il résulte également de ce même rapport que M. B...endure un " préjudice sexuel global " et qu'il résulte de l'instruction que l'appelant, qui se livrait à des activités sportives et manuelles, se trouve désormais dans l'incapacité de poursuivre ces activités de sport et de loisir ; qu'il sera fait, en conséquence, eu égard aux éléments qui précèdent, une plus juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par M. B...en les fixant à 220 000 euros, du préjudice d'agrément subi par
M. B...en le fixant à 30 000 euros et du préjudice sexuel global subi par M. B...en le fixant à 10 000 euros ;
10. Considérant qu'en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ; que, compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle ; qu'ainsi, et contrairement à ce que M. B...soutient dans ses dernières écritures, il n'y a pas lieu de déduire de l'indemnité réparant les préjudices personnels subis par ce dernier consécutivement à l'accident de service dont il a été victime le 21 février 2003 le montant de la pension d'invalidité qu'il perçoit ; qu'en revanche, du montant de 275 000 euros réparant l'ensemble des préjudices personnels, doit être déduite la somme de 50 000 euros versée par l'Etat à titre de provision en application de l'ordonnance du tribunal administratif de Nîmes n° 1202044 du 23 octobre 2012 ;


11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes, a limité à la somme de 117 500 euros le montant de l'indemnisation de son préjudice et n'a pas condamné l'Etat à lui payer la somme de 275 000 euros de laquelle sera déduite l'allocation provisionnelle de 50 000 euros versée à titre de provision en application de l'ordonnance du tribunal administratif de Nîmes n° 1202044 du 23 octobre 2012 ; que l'Etat est seulement fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a fixé à la somme de 7 500 euros le montant de la réparation du pretium doloris de M.B... ;
Sur l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 035 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article R. 761-1 relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique ;







DÉCIDE :



Article 1er : La somme de 117 500 euros (cent dix-sept B...cinq cents euros) mise à la charge
de l'Etat par l'article 1er du jugement n° 1101856 du tribunal administratif de Nîmes du
14 mai 2013 en réparation du préjudice personnel de M. B...est portée à 275 000 euros
(deux cent soixante-quinze B...euros).
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1101856 du tribunal administratif de Nîmes du
14 mai 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. B...la somme de 2 035 euros
(deux B...trente-cinq euros) au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du
code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...et le surplus des conclusions incidentes présentées par l'Etat sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Copie en sera adressée à la Mutualité Fonction Publique.
''
''
''
''
N° 13MA02665 5
FS