Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre (formation à 3), 11/05/2015, 13BX00567, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision11 mai 2015
Num13BX00567
JuridictionBordeaux
Formation6ème chambre (formation à 3)
PresidentM. JOECKLÉ
RapporteurM. Olivier GOSSELIN
CommissaireM. BENTOLILA
AvocatsMESCAM

Vu I°), sous le n° 13BX00567, le recours enregistré le 21 février 2013, présenté par le ministre de la défense ;

Le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1004361 du 15 janvier 2013 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a excessivement indemnisé le préjudice subi par M. C...au titre de l'indemnisation complémentaire prévue à l'article L. 62 du code du service national ;

2°) de rejeter la demande indemnitaire de M. C...dans cette mesure ;
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Vu II°), sous le n° 13BX00801, la requête enregistrée le 14 mars 2013, présentée pour M. B... C..., demeurant au..., par Me Mescam ;

M. C... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1004361 du 15 janvier 2013 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a insuffisamment indemnisé son préjudice au titre de l'indemnisation complémentaire prévue à l'article L. 62 du code du service national ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 735 230,55 euros dont seront déduites des sommes allouées au titre des pertes de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle la pension militaire capitalisée qui lui a été allouée pour un montant de 54 110,33 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;


Vu le code de la sécurité sociale ;


Vu le code du service national ;


Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 avril 2015 :

- le rapport de M. Olivier Gosselin, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Pierre Bentolila, rapporteur public ;
- et les observations de Me A...intervenant en qualité de collaborateur de Me Mescam, avocat de M. C... ;



1. Considérant que M.C..., qui effectuait son service militaire au premier régiment d'infanterie de Marine d'Angoulême, a présenté une hernie inguinale gauche, pour laquelle il a été hospitalisé à l'hôpital d'instruction des armées Robert Piqué de Bordeaux en décembre 1999 ; qu'il a souffert de douleurs persistantes à la suite de l'intervention chirurgicale subie le 6 décembre 1999 et s'est vu attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 35 % à compter du 21 juillet 2000 ; qu'il a, en outre, demandé l'indemnisation complémentaire prévue par l'article L. 62 du code du service national ; que, dans la requête n° 13BX00567, le ministre de la défense relève appel du jugement du 15 janvier 2013 en tant que le tribunal administratif de Bordeaux a fait une appréciation excessive du préjudice subi par M. C...en condamnant l'Etat à verser à l'intéressé la somme de 20 180 euros au titre de l'indemnisation complémentaire prévue à l'article L. 62 du code du service national ; que M. C...fait appel incident du même jugement en tant qu'il a insuffisamment apprécié son préjudice et demande que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 765 742,62 euros ; que, dans la requête n° 13BX00801, M. C...relève appel du même jugement et demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 735 230,55 euros au même titre ;


Sur l'indemnisation des préjudices subis par M. C...:

En ce qui concerne le préjudice patrimonial :

2. Considérant qu'eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille ; que lorsque l'intéressé peut prétendre, en application de l'article L. 62 du code du service national, à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale ; que, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif ;


3. Considérant que, par suite, c'est à tort que les premiers juges ont jugé que la pension militaire d'invalidité servie à M. C...n'indemnisait ni la perte de gains professionnels ni l'incidence professionnelle de sa pathologie après consolidation et n'ont pas imputé la réparation de ces chefs de préjudice sur le capital représentatif de sa pension d'invalidité ; que le ministre de la défense est dans cette mesure fondé à demander la réformation du jugement en tant qu'il a condamné l'Etat à verser la somme de 15 000 euros à M.C... ;


4. Considérant que si M. C..., qui avait repris son emploi d'ouvrier conditionneur, soutient que sa perte de revenu a été insuffisamment évaluée, il résulte de l'instruction qu'entre le 27 juin et le 19 octobre 2000, il a été placé en congé de maladie et qu'il a été licencié à la fin du mois de novembre 2000 pour inaptitude définitive à tout poste au sein de l'entreprise qui l'employait ; que pour l'ensemble de cette période, son salaire aurait dû être de 3 408,30 euros ; qu'il n'a toutefois perçu, compte tenu de son arrêt de maladie et des congés payés dont il a pu bénéficier, que la somme de 2 964,68 euros ; que sa perte de revenus actualisée est donc de 554,96 euros ; qu'il n'a ainsi pas intérêt à soutenir qu'en évaluant ce chef de préjudice à la somme de 680 euros, somme non contestée par le ministre de la défense dans son appel, les premiers juges auraient fait une insuffisante évaluation de sa perte de revenus avant son licenciement ; que ce préjudice a été entièrement réparé par la pension militaire d'invalidité versée à M. C...au titre de son invalidité, dont le capital représentatif s'établit à la somme admise par les parties de 54 110,33 euros ;


5. Considérant par ailleurs que M. C...soutient que son préjudice professionnel n'a pas été suffisamment évalué et fait valoir que ses possibilités de réinsertion professionnelle sont très réduites compte tenu de ses aptitudes, de son niveau d'études et de la dyslexie dont il souffre, et qu'il n'a pas trouvé de travail depuis de nombreuses années ; que toutefois, il résulte de l'instruction que le requérant, qui reste atteint d'une incapacité permanente partielle au taux de 10 % et a été reconnu travailleur handicapé, n'est pas inapte à toutes professions et est capable d'effectuer une activité compatible avec un effort quotidien modéré impliquant un travail assis et la conduite automobile ; que, s'il fait état de l'appréciation d'un agent de Pôle Emploi sur ses difficultés à retrouver un emploi, il ne justifie pas des démarches qu'il aurait entreprises en ce sens et de l'impossibilité pour lui de retrouver un emploi ; que le préjudice résultant de la perte des gains futurs n'est donc pas certain ; que si M. C...soutient également que l'étendue des séquelles de l'accident ainsi que son histoire personnelle, son niveau de formation et son parcours professionnel privilégiant les métiers manuels qui ne lui sont plus accessibles laissent accroire que ses possibilités de retrouver un emploi sont précaires, il résulte cependant de l'instruction que l'expert a relevé que la dyslexie verbale et au niveau de la graphie ou de la lecture dont l'intéressé est atteint est légère ; qu'elle ne peut en conséquence être regardée comme étant de nature à empêcher toute réinsertion professionnelle de l'intéressé même si elle la rend plus difficile ;


6. Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction que l'intéressé a perdu, du fait de son handicap séquellaire, l'emploi en contrat à durée indéterminée qu'il occupait avant son service militaire et qu'il avait repris à son issue ; qu'il en a été licencié pour inaptitude en l'absence de possibilité de reclassement ; que dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation de son préjudice professionnel en en fixant la réparation à la somme de 15 000 euros ; que ce préjudice a été entièrement réparé par la pension militaire d'invalidité versée à M. C...au titre de son invalidité ; qu'il ne saurait, par suite, donner lieu à une indemnisation complémentaire ;

En ce qui concerne les préjudices personnels :

7. Considérant que M. C...soutient que, du fait de son hospitalisation et de sa convalescence, il a du rester immobilisé et a subi une désocialisation pendant près de dix mois ; que toutefois, le dossier médical de l'intéressé, qui avait poursuivi son service national sur un poste adapté et pu reprendre son travail, ne comporte aucun élément établissant que les vingt jours d'hospitalisation lui auraient occasionné une gêne dans les actes de la vie courante pouvant justifier l'indemnisation d'un déficit fonctionnel temporaire ;


8. Considérant que M. C...soutient que, du fait de son déficit fonctionnel permanent, il subi une perte importante de qualité de vie puisqu'il ne peut plus avoir d'activités sociales ; que si l'intéressé, qui présente un déficit fonctionnel permanent de 10 %, indique que le phénomène algique est devenu plus aigu et permanent, il résulte de l'instruction que les douleurs sont qualifiées d'intermittentes avec irradiation testiculaire gauche paroxistique entraînant une gêne modérée dans les actes de la vie quotidienne ; qu'il sera fait une juste appréciation de son préjudice en évaluant ce chef de préjudice à la somme de 15 000 euros ; que toutefois, ce préjudice ayant été entièrement réparé par la pension militaire d'invalidité versée à M. C...au titre de son invalidité, dont le capital représentatif s'établit à la somme admise par les parties de 54 110,33 euros, il ne saurait donner lieu à une indemnisation complémentaire ;


9. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise médicale que M. C...est atteint dans sa vie sexuelle et affective dès lors que, s'il n'y a pas atteinte de la libido et aux capacités de procréation, il existe, du fait de l'intervention chirurgicale subie en décembre 1999, une gêne douloureuse rendant difficile pour l'intéressé d'avoir une vie sexuelle normale ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces chefs de préjudice que la pension militaire d'invalidité qui lui a été servie au titre de son accident n'avait pas pour objet de réparer, en les évaluant à la somme de 16 000 euros ;


10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C...qui pratiquait des loisirs sportifs notamment le VTT justifie, par les témoignages qu'il présente, d'un préjudice d'agrément que la pension militaire d'invalidité qui lui a été servie au titre de son accident n'avait pas pour objet de réparer ; que ce préjudice doit être évalué à la somme de 2 500 euros compte tenu de son impossibilité de continuer à bénéficier de ces activités sportives de loisir du fait de l'accident dont il a été victime ;


11. Considérant que M. C...a enduré des souffrances physiques en raison notamment des hospitalisations subies évaluées par l'expert à 3 sur une échelle de 1 à 7 ; que dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation de ce chef de préjudice que la pension militaire d'invalidité qui lui a été servie au titre de son accident n'avait pas pour objet de réparer, en en fixant la réparation à la somme de 3 500 euros ;


12. Considérant que le préjudice esthétique subi par l'intéressé a été évalué par l'expert à 1 sur une échelle de 1 à 7 lié à une cicatrice discrète du pli inguinal gauche et à une gêne minime à la marche ; que si M. C...indique que son état occasionne une boiterie qui ne pourra que s'aggraver, il résulte de l'instruction que l'expert indique seulement une gêne minime à la marche ; que dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation de ce chef de préjudice que la pension militaire d'invalidité qui lui a été servie au titre de son accident n'avait pas pour objet de réparer, en en fixant la réparation à la somme de 1 000 euros ;


13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, l'Etat n'est pas fondé à se plaindre de la condamnation que le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé à son encontre et, d'autre part, que M. C...est seulement fondé à demander que l'indemnité complémentaire prévue à l'article L. 62 du code du service national, que le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser pour un montant de 20 180 euros, soit portée à la somme de 23 000 euros ; qu'il y a lieu de déduire de cette somme la provision de 4 573,47 euros accordée à l'intéressé le 18 février 2001 et de réformer le jugement attaqué en ce sens ;


Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


DECIDE :


Article 1er : La requête du ministre de la défense est rejetée.
Article 2 : La somme complémentaire prévue à l'article L. 62 du code du service national que l'Etat a été condamné à verser à M. C...est portée à la somme de 23 000 euros dont il y a lieu de déduire la provision de 4 573,47 euros accordée à l'intéressé le 18 février 2001.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus de l'appel incident et de la requête de M. C...sont rejetés.
Article 5 : L'Etat versera à M. C...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N°s 13BX00567 - 13BX00801