CAA de NANTES, 3ème chambre, 01/10/2015, 14NT00410, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 23 juillet 2013 par laquelle le ministre de la défense a opposé la prescription quadriennale à la demande formulée par lui dans son courrier du 16 juillet 2012 et tendant à obtenir une réparation complémentaire de la maladie qu'il a contractée au Congo en 1963 alors qu'il était appelé du contingent, en se fondant sur les dispositions de l'article L. 62 du code du service national.
Par un jugement n° 1302675 du 21 janvier 2014, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 13 février 2014 et le 4 août 2015, M. A...B...demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 janvier 2014 du tribunal administratif d'Orléans ;
2°) d'annuler les articles R. 432-1, R. 222-13 et R. 811-7 du code de justice administrative relatifs à l'obligation de ministère d'avocat ;
3°) de condamner l'État à lui verser la somme de 18 000 euros en réparation des pertes de rémunération subies au cours des arrêts de travail dus à l'aggravation de son invalidité imputable au service militaire, la somme de 70 000 euros au titre de l'incidence professionnelle et des souffrances subies en application de l'article L. 62 du code du service national, la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de souscrire une assurance dépendance et la somme de 5 000 euros en réparation des traitements inhumains et dégradants que le ministre de la défense lui a fait subir en refusant de faire droit à ses demandes, toutes sommes assorties des intérêts et des intérêts capitalisés, ainsi que de l'astreinte de 1% prévue à l'article R. 436-5 du code de la sécurité sociale ;
4°) d'enjoindre à différents fonctionnaires du ministère de la défense de se présenter à l'audience à des fins de condamnation personnelle à dommages et intérêts et de saisir le procureur de la République pour obtenir leur condamnation pénale ;
5°) d'enjoindre au ministre de la défense de lui délivrer un nouvel arrêté de concession de pension militaire d'invalidité, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui verser le rappel de pension militaire d'invalidité pour un montant de 12 860 euros, dans le même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ce montant étant en outre assorti des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2001, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés à compter du 11 août 2003.
Il soutient que :
- sa requête relative à un recours en excès de pouvoir et à un litige de pension est dispensée de l'obligation d'avocat et est recevable ;
- au titre de la réparation complémentaire prévue au 2ème alinéa de l'article L. 62 du code du service national prévoyant une réparation intégrale du préjudice subi par les appelés du contingent, il a droit à la somme de 70 000 euros pour les souffrances physiques et le préjudice moral résultant de son invalidité militaire au taux de 70 % depuis le 11 avril 2001 ; la prescription ne saurait lui être opposée du fait des multiples procédures contentieuses qu'il a engagées et de la demande indemnitaire qu'il a formée le 24 février 2010, demande reprise dans son courrier du 16 juillet 2012 et en application des articles 19 et 20 de la loi du 12 avril 2000 ; il entend invoquer l'excuse d'ignorance ; dès lors que sa pension forfaitaire pour invalidité a été révisée par une décision du 25 février 2008 pour aggravation en application de l'article L. 29 du code des pensions, le point de départ de la prescription est cette date du 25 février 2008 ;
- les demandes indemnitaires qu'il a formulées le 28 mars 2013 au titre de ses pertes de rémunération en raison de ses arrêts de travail et de sa mise à la retraite anticipée sont recevables puisqu'il n'a pas encore été statué sur ces chefs de préjudice.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 août 2014, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête n'est pas recevable faute d'être présentée par un avocat ;
- la consolidation de l'état de M. B...ayant été arrêtée au 21 décembre 1983, son action est forclose car si la pension militaire d'invalidité peut être réévaluée à tout moment du fait de l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités sans condition de délai, selon l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité, l'indemnisation de préjudices personnels autres que les souffrances endurées, le préjudice esthétique et d'agrément prévue par l'indemnisation complémentaire, n'est possible qu'en cas de faute du service et selon les règles de droit commun en matière de réparation des dommages et notamment en matière de prescription ; cette réparation, de même que la réparation prévue par l'article L. 62 du code du service national, est soumise au régime de la prescription quadriennale ; le courrier de M. B...en date du 24 février 2010 a été produit dans le cadre de l'instance ouverte pour obtenir la révision de sa pension militaire d'invalidité et non pour obtenir une indemnisation complémentaire de sorte qu'il ne saurait avoir interrompu le cours de la prescription puisque ces deux litiges relèvent de causes juridiques distinctes relevant de réglementations et de procédures distinctes ; la demande de M. B...relève de la prescription quadriennale et non de la prescription décennale prévue par l'article 2226 du code civil ;
- les autres moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code des pensions civiles et militaires ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, modifiée, relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine, premier conseiller,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de M.B....
1. Considérant que M.B..., appelé du contingent en 1962, a été rapatrié à titre sanitaire le 28 novembre 1963 après avoir contracté une affection au cours de son service au Congo et qu'il perçoit à ce titre une pension militaire d'invalidité, fixée au taux de 40 % depuis le 21 décembre 1983 par un arrêté du 2 octobre 1984 puis portée à 70 % à compter du 11 avril 2001 par un arrêté du 25 février 2008 pris en exécution d'un arrêt de la cour régionale des pensions d'Orléans du 17 septembre 2007 ; que, par un courrier du 16 juillet 2012, il a saisi le ministre de la défense d'une demande tendant à la réparation intégrale des préjudices subis à raison de la maladie contractée en service, notamment les souffrances endurées et le retentissement professionnel, et a sollicité le versement d'une somme de 70 000 euros au titre des dispositions du 2ème alinéa de l'article L. 62 du code du service national ; que, le ministre ayant rejeté sa demande puis, par une décision du 23 juillet 2013, le recours gracieux formé contre ce rejet, au motif que la créance dont se prévalait l'intéressé était atteinte par la prescription quadriennale, M. B... a saisi de ce refus le tribunal administratif d'Orléans qui, par un jugement du 21 janvier 2014 dont M. B...relève appel, a rejeté sa demande ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande et de la requête de M. B... ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service (...) " ; que de l'article L.62 du code du service national prévoit : " 2 ° Nonobstant les dispositions régissant les régimes de couverture sociale qui leur sont propres, les jeunes gens accomplissant les obligations du service national, victimes de dommages corporels subis dans le service ou à l'occasion du service, peuvent, ainsi que leurs ayants droit, obtenir de l'État, lorsque sa responsabilité est engagée, une réparation complémentaire destinée à assurer l'indemnisation intégrale du dommage subi, calculée selon les règles du droit commun. " ;
3. Considérant, d'une part, qu'eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille ; que lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne ;
4. Considérant, d'autre part, que les appelés du contingent effectuant leur service militaire qui subissent, dans l'accomplissement de leurs obligations, un préjudice corporel, sont fondés, ainsi que leurs ayants droit, et en l'absence même de toute faute de la collectivité publique, à en obtenir réparation, dès lors que, conformément à l'article L. 62 du code du service national, le forfait de la pension ne leur est pas opposable ; que, toutefois, ce droit à réparation n'est ouvert que lorsque le préjudice subi est directement imputable au service ;
5. Considérant, en premier lieu, que M. B..., appelé du contingent rapatrié à titre sanitaire en 1963 comme il a été rappelé au point 1, perçoit une pension militaire d'invalidité concédée, par arrêté du 6 mai 1980, à compter du 21 décembre 1974 pour des infirmités constatées par la commission de réforme militaire qui s'est tenue le 17 décembre 1975 et que cette pension a été régulièrement réévaluée ; que si M. B...demande le versement de 18 000 euros au titre de la réparation des pertes de rémunération pendant les arrêts de travail dus à l'aggravation de son invalidité militaire et de 70 000 euros au titre de l'incidence professionnelle de cette invalidité et des souffrances en lien avec celle-ci, ces chefs de préjudices sont déjà réparés par la pension militaire d'invalidité ainsi concédée ; que M. B...ne peut en obtenir une nouvelle indemnisation par le versement des sommes de 18 000 et 70 000 euros qu'il réclame ni, en l'absence de faute de l'administration, une indemnisation complémentaire ; que si, par ailleurs, M. B...demande le versement d'une somme de 100 000 euros au titre de la prise en charge de sa dépendance, il ne justifie d'aucun lien de causalité entre celle-ci et l'affection justifiant le versement de la pension militaire d'invalidité, alors au demeurant que cette pension n'est pas assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du même code en vue de la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne ; qu'au surplus, les invalidités pensionnées étaient consolidées à la date du 17 décembre 1975, ou au plus tard, à la date à laquelle la pension a été accordée à titre définitif le 21 décembre 1983 par arrêté du 2 octobre 1984 ; qu'ainsi, le délai de prescription de quatre ans prévu par les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 avait expiré le 1er janvier 1980 ou, au plus tard, le 1er janvier 1988 et ce délai n'a été ni rouvert ni prorogé par aucune des actions engagée postérieurement par M. B...pour obtenir le revalorisation de sa pension militaire d'invalidité ; que, de même, les souffrances dont M. B... demande l'indemnisation complémentaire en se fondant sur les dispositions de l'article L. 62 du code du service national ne constituent pas au sens de ces dispositions des dommages corporels susceptibles de lui ouvrir droit à un complément indemnitaire ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'en l'absence de lien de causalité direct entre la maladie imputable au service et le préjudice moral dont M. B...demande l'indemnisation, ses conclusions tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation des traitements inhumains et dégradants que le ministre de la défense lui aurait fait subir en refusant de faire droit à ses multiples demandes ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne relève pas de l'office du juge administratif d'ordonner à des agents de l'administration de comparaître devant lui ni de saisir le procureur de la République dans les conditions prévues par le second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale ; que la procédure d'enquête prévue par les dispositions des articles R. 623-1 et suivants du code de justice administrative relève de la seule appréciation du juge administratif, et qu'il n'y a pas lieu de l'utiliser en l'espèce ; que les conclusions tendant à l'annulation des articles R. 432-1, R. 222-13 et R. 811-7 du code de justice administrative, ainsi que les conclusions à fin d'injonction qui y sont adjointes, de même que celles tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de la défense de lui délivrer un nouvel arrêté de concession de pension militaire d'invalidité et de lui verser le rappel de pension militaire d'invalidité, qui sont dépourvues de lien avec le présent litige et dépourvues de tout fondement, ne peuvent, qu'être rejetées ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2015 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme Gélard, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller,
Lu en audience publique le 1er octobre 2015.
Le rapporteur,
F. LEMOINE
Le président,
I. PERROT
Le greffier,
A. MAUGENDRE
La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
''
''
''
''
2
N° 14NT00410