CAA de BORDEAUX, 3ème chambre (formation à 3), 26/04/2016, 14BX03082, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...F...et M. D...A...ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la commune de Pau à verser à Mme F...la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices résultant du décès de M. B...A....
Par un jugement n° 1300649 du 18 septembre 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 novembre 2014 et un mémoire présenté le 20 août 2015, Mme E...F...et M. D...A..., représentés par MeC..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 18 septembre 2014 ;
2°) de condamner la commune de Pau à verser à Mme E...F...la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice économique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens de l'instance.
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Vu :
- le code des assurances ;
- le code des marchés publics ;
- le code civil ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sabrina Ladoire,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- les observations de Mme E...F..., en présence de M. D...A....
Considérant ce qui suit :
1. Le 26 juin 2011, M. B...A..., employé titulaire de la commune de Pau, affecté au service des espaces verts, est décédé à la suite de la chute d'un arbre du domaine public sur le véhicule municipal dans lequel il se trouvait et qui était stationné dans la cour intérieure des ateliers communaux. Il a ainsi été victime d'un accident de service. MmeF..., son ex-épouse, déclarant agir pour son propre compte et pour le compte de leur fils, BenjaminA..., a demandé à la commune de Pau de l'indemniser des préjudices subis à raison des conséquences de cet accident de service. Elle relève appel du jugement n° 1300649 du 18 septembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Sur l'intervention de M. D...A... :
2. Aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct ". L'intervention de M. D...A...n'a pas été présentée par mémoire distinct mais dans la requête de Mme E...F.... Dès lors, elle n'est pas recevable.
Sur les conclusions indemnitaires de MmeF... :
En ce qui concerne l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions :
S'agissant de la recevabilité :
3. En premier lieu, la commune de Pau fait valoir qu'en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances, M. D...A...n'est plus recevable à solliciter l'indemnisation de ses préjudices économique et moral dès lors qu'il a reçu des sociétés Groupama et Areas, assureurs de la commune, des indemnités en réparation de ces chefs de préjudices.
4. Cependant, cette fin de non-recevoir ne peut qu'être écartée dès lors que les demandes indemnitaires présentées par Mme F...tendent uniquement à la réparation de son préjudice moral et de son préjudice économique propres.
5. En second lieu, la commune de Pau soutient que la demande de Mme F...tendant à l'indemnisation de son préjudice économique est irrecevable dès lors qu'elle avait uniquement sollicité, dans sa demande préalable, la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral.
6. Toutefois, le 24 décembre 2012, Mme F...a adressé à la commune un courrier destiné à obtenir l'indemnisation de divers chefs de préjudices qui résultaient de l'accident survenu à son ancien époux. Ce faisant, la requérante doit être regardée comme lui ayant réclamé réparation pour l'ensemble des conséquences dommageables de ce fait générateur. Cela l'autorisait à détailler ces conséquences devant le juge, en invoquant le cas échéant devant lui des chefs de préjudice dont elle n'aurait pas fait état dans sa réclamation préalable. Par suite, cette seconde fin de non-recevoir doit également être écartée.
S'agissant de la responsabilité :
7. En vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services. Les articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des agents affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales prévoient, conformément aux prescriptions du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, des règles comparables au profit de ces agents. En vertu des articles 40 et suivants du même décret, les ayants cause de ces agents et notamment les conjoints divorcés ont droit sous certaines conditions à une pension de réversion.
8. Les dispositions précitées du décret du 26 décembre 2003 déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un agent victime d'un accident de service peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que cet agent, qui a enduré, du fait de l'accident des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Il en va de même s'agissant du préjudice moral subi par ses ayants cause.
9. Il résulte de ce qui précède que, dans le cadre de ladite obligation, Mme F...ne peut prétendre à la réparation intégrale de l'ensemble du préjudice subi, mais seulement à la réparation de ses préjudices personnels et des préjudices patrimoniaux non réparés forfaitairement par la pension de réversion qu'elle perçoit et la pension temporaire d'orphelin dont elle bénéficiait pour le compte de son fils Benjamin.
10. En premier lieu, l'intéressée sollicite l'indemnisation de son préjudice matériel constitué selon elle, par le fait qu'elle doive élever seule son fils, sans l'aide financière du père de ce dernier. Cependant, à la suite du décès de M.A..., Mme F...a perçu une pension de réversion et, pour le compte de son fils, une pension temporaire d'orphelin. Or, l'objet de ces pensions est de réparer le préjudice de perte de revenus subi par les ayant-droits de l'agent décédé. Par suite, et en application de ce qui a été dit aux points 7 et 8, Mme F...ne peut prétendre à l'indemnisation de son préjudice économique dès lors que ce préjudice est de même nature que celui que le forfait de pension a pour objet de réparer.
11. En second lieu, s'agissant du préjudice moral, s'il est exact que Mme F...était divorcée depuis trois ans à la date de l'accident survenu à M.A..., il résulte de l'instruction que ce divorce par consentement mutuel n'avait pas mis fin à leurs relations, notamment en raison de ce qu'ils assuraient ensemble la prise en charge de leur fils Benjamin, âgé de 15 ans à la date du décès de son père, par un régime de garde alternée. Dans ces conditions, la requérante est fondée à demander la réparation de son préjudice moral. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui accordant à ce titre une somme de 3 000 euros.
En ce qui concerne la responsabilité de plein droit encourue par la commune à raison des dommages causés par des ouvrages publics :
12. Mme F...soutient que l'accident dont a été victime M. A...est dû à un défaut d'entretien normal de l'arbre qui a chuté sur la voiture dans laquelle il se trouvait, et qui constituait une dépendance de l'ouvrage public constitué par le terrain et les bâtiments abritant le service des espaces verts de la commune. Cependant, il résulte de l'instruction, et en particulier de l'expertise judiciaire remise le 3 février 2011, que si ce marronnier, qui était enraciné dans un volume de terre inapproprié et avait été élagué de manière déséquilibrée, souffrait de sécheresse, d'une insuffisance de lumière et d'une infection racinaire, la conjonction de ces différents facteurs n'était cependant pas de nature à rendre sa chute prévisible dès lors qu'en apparence, ses tiges étaient saines et porteuses de nombreux bourgeons, ce qui témoignait de son bon état physiologique. Si la requérante rappelle que la victime elle-même avait signalé, en mars 2007, sur le registre d'hygiène et sécurité du service des espaces verts de la ville, que ce marronnier présentait un danger, M. A...avait ensuite reconnu, lors de l'enquête diligentée sur ce point, qu'une branche seulement menaçait de tomber. Lors de l'élagage réalisé au mois de juin 2007, l'arbre avait été considéré en bon état. De plus, les services de l'Office national des forêts en contrôlant, en 2009, la santé des plantations de la commune pour la réalisation d'une étude paysagère, ont estimé que cet arbre ne présentait pas de dangerosité. Enfin, et contrairement à ce que soutient MmeF..., la plupart des témoignages versés au dossier, qui comportent au demeurant des éléments contradictoires concernant notamment l'inclinaison de l'arbre, ne mettent pas en exergue sa dangerosité. Dans ces conditions, la commune de Pau établit qu'elle a fait procéder à un entretien régulier de cet arbre et que sa chute, liée à une pathologie qui était indétectable, ne pouvait donc être regardée comme prévisible. C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont considéré que l'accident n'était pas imputable au défaut d'entretien normal, par la commune, de l'un de ses ouvrages publics.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande de réparation de son préjudice moral.
Sur les conclusions d'appel en garantie de la commune :
14. La commune appelle en garantie, en premier lieu, la compagnie d'assurances Groupama d'OC avec laquelle elle a passé en 2009 un marché soumis aux dispositions du code de marchés publics portant sur des prestations d'assurances de sa " flotte automobile ". Toutefois, comme le relève la compagnie Groupama d'Oc, la garantie couverte par ce contrat n'a vocation à être mobilisée qu'en application du régime des accidents causés par les véhicules.
15. La commune appelle en garantie, en second lieu, la compagnie Areas Dommages auprès de laquelle elle a souscrit en 2010, en application du code des assurances et du code des marchés publics, un contrat d'assurance " responsabilité civile générale ". La compagnie Areas Dommages ne conteste pas que le sinistre à l'origine du litige est couvert par la garantie ainsi souscrite. Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la commune tendant à être garantie par cette compagnie.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Mme F...n'étant pas la partie perdante, les conclusions de la commune et des assureurs tendant à sa condamnation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Pau le versement à Mme F...de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de M. D...A...n'est pas admise.
Article 2 : La commune de Pau est condamnée à verser à Mme F...une indemnité de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Article 3 : La compagnie Areas Dommages garantira la commune de Pau de la condamnation prononcée par l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 18 septembre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La commune de Pau versera à Mme F...la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
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