Cour Administrative d'Appel de Marseille, 9ème chambre - formation à 3, 10/06/2016, 14MA01337, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 juin 2016
Num14MA01337
JuridictionMarseille
Formation9ème chambre - formation à 3
PresidentMme BUCCAFURRI
RapporteurMme Fleur GIOCANTI
CommissaireM. ROUX
AvocatsSCP BAUDUCCO - PULVIRENTI & ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A...a demandé au tribunal administratif de Montpellier :
- d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Montpellier a rejeté sa demande préalable du 16 mai 2012 ;
- de condamner l'Etat à lui verser une somme de 91 309,47 euros en réparation du préjudice qu'elle impute à l'illégalité fautive de l'arrêté du 5 juin 2009 de l'inspecteur de l'académie de Montpellier ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1203490 du 28 février 2014, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mars 2014, Mme A..., représentée par la SELARL Bauducco-Pulvirenti et associés, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Montpellier en ce qu'il a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 1 000 euros, qu'elle estime insuffisante, en réparation de préjudices qu'elle a subis du fait du retrait illégal de l'arrêté du 8 décembre 2008 et des informations erronées qui lui ont été communiquées ;
2°) de porter le montant de son indemnisation à la somme totale de 51 628,64 euros ;
3°) d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Montpellier a rejeté sa demande préalable du 16 mai 2012 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la mise en retraite anticipée constituait une décision individuelle créatrice de droit qui, en dépit de son illégalité, ne pouvait faire l'objet d'un retrait à l'issue du délai de quatre mois ;
- l'administration lui a donné à partir de juin 2000 des informations erronées sur la durée des services en catégorie active ;
- elle a subi un préjudice matériel, moral et des troubles dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2015, la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Le mémoire, présenté pour Mme A... le 9 juillet 2015, n'a pas donné lieu à communication en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi modifiée n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi modifiée n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Giocanti,
- et les conclusions de M. Roux, rapporteur public.


1. Considérant que Mme A... demande à la Cour la réformation du jugement du 28 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros, qu'elle estime insuffisante, en réparation de préjudices qu'elle a subis du fait du retrait illégal, par un arrêté du 5 juin 2009, de l'arrêté du 8 décembre 2008 par lequel elle a été admise à la retraite et des informations erronées qui lui ont été communiquées à partir de l'année 2000 sur la durée de ses services en catégorie active ;



Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat résultant de l'illégalité de l'arrêté 5 juin 2009 :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite: " I.- La jouissance de la pension civile est immédiate : 1° Pour les fonctionnaires civils (...) qui ont atteint à la date de radiation des cadres, l'âge de soixante ans ou, s'ils ont accompli au moins quinze ans de services actifs ou de la catégorie B, l'âge de cinquante-cinq ans. Sont rangés dans la catégorie B, les emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles. La nomenclature en est établie par décrets en Conseil d'Etat. " ; qu'aux termes de l'article L. 73 du code des pensions civiles et militaires de retraite " (...) les avantages spéciaux attachés à l'accomplissement de services actifs ou de la catégorie B sont maintenus en faveur des fonctionnaires détachés dans un emploi classé dans cette catégorie pour exercer des fonctions de même nature que celles assumées dans le cadre d'origine (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A... a été titularisée au sein de l'éducation nationale comme institutrice le 1er novembre 1979 ; qu'après avoir été titularisée sur un poste de professeur d'enseignement général de collège en 1983, elle a été placée en position de service détaché auprès du corps des instituteurs de 1985 à 1987 ; qu'à la suite de sa réussite au concours, elle a intégré le corps des professeurs des écoles le 1er septembre 2000 ; que, née en juin 1954, elle a sollicité, le 11 juin 2008, le bénéfice de la jouissance immédiate de sa pension de retraite à l'âge de cinquante-cinq ans à compter du 2 septembre 2009 avec liquidation de la pension reportée au 28 novembre 2009 ; que, par un arrêté du 8 décembre 2008, l'inspecteur d'académie a fait droit à cette demande et l'a radiée des cadres à compter du 2 septembre 2009 ; que, toutefois, par un arrêté du 5 juin 2009 dont la requérante invoque l'illégalité, le recteur de l'académie de Montpellier a " annulé " l'arrêté du 8 décembre 2008, à compter du 5 juin 2009, au motif que Mme A... ne justifiait pas de quinze années de service actifs ou de catégorie B dès lors que les deux années au cours desquelles elle a été détachée de son corps d'origine de professeur d'enseignement général de collège, catégorie sédentaire, dans un emploi d'institutrice qui relève de la catégorie active, ne pouvaient être considérées comme des années de services actifs en application de l'article L. 73 du code des pensions civiles et militaires de retraite précité ;

4. Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle créatrice de droits que dans le délai de quatre mois suivant l'intervention de cette décision et si elle est illégale ; que la décision par laquelle un agent public est admis à faire valoir ses droits à la retraite, faisant ainsi passer cet agent de la position d'activité à celle de la retraite, présente le caractère d'un acte créateur de droit ; qu'ainsi, le recteur d'académie ne pouvait, comme il l'a fait par l'arrêté du 5 juin 2009, abroger, plus de quatre mois après son édiction, l'arrêté plaçant Mme A... à la retraite, et ce, même si l'arrêté du 8 décembre 2008 n'était appelé à prendre effet qu'au 2 septembre 2009 ; qu'il suit de là que Mme A... est fondée à solliciter l'indemnisation des préjudices qui résultent directement de la faute commise par l'Etat en procédant à l'abrogation de la décision l'admettant à la retraite au-delà du délai dans lequel il était légalement possible de le faire ;





En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat en raison des informations erronés :

5. Considérant, en premier lieu, que Mme A... fait valoir qu'elle aurait choisi de passer le concours en vue d'intégrer le corps des professeurs des écoles dès 2000 en raison d'une fiche de synthèse émise le 24 janvier 2000 par les services du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche lui indiquant qu'elle cumulait à cette date plus de quinze années de service actif ; que, toutefois, elle n'établit pas que cette information erronée aurait été déterminante et qu'elle aurait, en l'absence d'une telle information, attendu d'avoir cumulé un nombre supplémentaire d'années de service actif pour pouvoir prétendre à un départ à la retraite anticipée à l'âge de cinquante-cinq ans dans la mesure où l'intégration dans le corps des professeurs des écoles dès 2000 pouvait présenter des avantages immédiats pour Mme A... ; qu'elle n'est donc pas fondée à demander l'engagement de la responsabilité de l'administration sur ce point ;

6. Considérant, en second lieu, que, par courrier du 18 décembre 2006 intervenu en réponse à une demande d'information de Mme A... sur ses états de service, les services du ministère de l'éducation nationale lui ont transmis des documents l'informant clairement qu'elle capitalisait 16 années, 4 mois et 3 jours de services effectifs en catégorie active et que l'accomplissement de 15 années de services effectifs en catégorie active permettait un départ à la retraite anticipée à cinquante-cinq ans ; qu'en outre, la décision du 8 décembre 2008, admettant Mme A... à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 2 septembre 2009, a conforté la croyance légitime de Mme A... dans la véracité de ces informations ; qu'en transmettant ainsi des informations erronées de nature à créer chez l'intéressée la certitude, d'une part, qu'elle remplissait les conditions de départ à la retraite à cinquante-cinq ans et, d'autre part, qu'elle partirait effectivement à la retraite le 2 septembre 2009, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à réclamer la réparation des conséquences dommageables de la faute administrative ayant consisté à lui avoir communiqué, en décembre 2006, des informations erronées sur son droit au bénéfice d'un départ à la retraite anticipée et de l'illégalité fautive résultant de l'arrêté du 5 juin 2009 ;

Sur la réparation :

8. Considérant, en premier lieu, que Mme A... fait valoir qu'elle a subi une perte de salaire, d'une part, entre 2009 et le 1er décembre 2012, date à laquelle elle a été admise à la retraite pour invalidité et d'autre part, depuis 2012, dans la mesure où la pension d'invalidité qu'elle perçoit est d'un montant inférieur à la pension qu'elle aurait pu percevoir à partir de 2009 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du compte rendu de la simulation pour une fin de carrière de Mme A... en septembre 2009, que cette dernière n'était en droit de percevoir, dans ce cas, une pension de retraite qu'à compter du 28 novembre 2014 ; que, par conséquent, Mme A... n'a subi aucun préjudice financier jusqu'à la date du 28 novembre 2014 ; que, par ailleurs, il résulte de l'instruction que Mme A... perçoit depuis 2012 une pension d'invalidité d'un montant mensuel brut de 2 062,11 euros ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment si elle avait été admise à la retraite le 2 septembre 2009, elle aurait perçu une pension de retraite d'un montant mensuel brut de 1 927 euros à compter seulement du 28 novembre 2014 ; que, dans ces conditions, elle ne démontre pas l'existence d'un quelconque préjudice financier ;


9. Considérant, en deuxième lieu, que le contentieux qui oppose Mme A...à la Mutuelle Générale de l'Education Nationale (MGEN) relatif au versement d'une partie des cotisations sociales pour la période comprise entre 2009 et 2012 où elle a été placée en congé maladie, résulte de l'application du règlement mutualiste et ne présente pas de lien direct avec les fautes commises par l'Etat ;

10. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que, sur la foi de renseignements erronés et alors que Mme A... avait été admise à faire valoir ses droits à la retraite par un arrêté du 8 décembre 2008, l'arrêté litigieux du 5 juin 2009 a six mois plus tard remis en cause cette admission ; que Mme A... soutient que le renoncement à ses projets personnels et familiaux pour sa retraite a engendré pour elle une dépression nerveuse ; que, dans ces conditions et eu égard notamment à la brusque remise en cause des attentes de Mme A..., il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en lui allouant la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence qui sont directement en lien avec les agissements fautifs de l'administration ; qu'il y a donc lieu pour la Cour de réformer le jugement attaqué sur ce point en portant le montant de la condamnation prononcée par le tribunal administratif à hauteur de la somme de 2 000 euros ; que le surplus des conclusions indemnitaires doit en revanche être rejeté ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens ;


D É C I D E :

Article 1er : Le montant de 1 000 euros de la condamnation prononcée à l'encontre de l'Etat par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 février 2014 est porté à 2 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 février 2014 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A..., une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A...et à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2016, où siégeaient :

- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président-assesseur,
- Mme Giocanti, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 10 juin 2016.
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N° 14MA01337