Conseil d'État, 8ème chambre, 22/07/2016, 400496, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 8 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 170 de l'instruction fiscale publiée au bulletin officiel des impôts sous le n° BOI-IR-LIQ-10-20-20-20 du 29 février 2016 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts, notamment son article 195 ;
- la loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981;
- la loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 195 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 4 de la loi du 29 décembre 2015 portant loi de finances pour 2016 qui a abaissé à 74 ans la limite d'âge fixée au f du 1 : " Par dérogation aux dispositions qui précèdent, le revenu imposable des contribuables célibataires, divorcés ou veufs n'ayant pas d'enfant à leur charge, exclusive, principale ou réputée également partagée entre les parents, est divisé par 1,5 lorsque ces contribuables : (...) f. Sont âgés de plus de 74 ans et titulaires de la carte du combattant ou d'une pension servie en vertu des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; cette disposition est également applicable aux veuves, âgées de plus de 74 ans, des personnes mentionnées ci-dessus. (...) 6. Les contribuables mariés, lorsque l'un des conjoints est âgé de plus de 74 ans et titulaire de la carte du combattant ou d'une pension servie en vertu des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, bénéficient d'une demi-part supplémentaire de quotient familial (...) " ; qu'il ressort des travaux parlementaires de la loi du 30 décembre 1981 portant loi de finances pour 1982, dont le IV de l'article 12 a été codifié au f du 1 de l'article 195 du code général des impôts, que le législateur a entendu attribuer une demi-part supplémentaire aux anciens combattants remplissant certaines conditions, dont une condition d'âge, initialement fixée à 75 ans, puis à leurs veuves lorsqu'elles atteignaient le même âge ; qu'il résulte des travaux parlementaires de la loi du 30 décembre 1987 portant loi de finances pour 1988 que le 6 du même article a été introduit par cette dernière afin que, alors que la codification de l'amendement parlementaire issu de la loi du 30 décembre 1981 laissait subsister une ambiguïté sur ce point, les contribuables qui remplissaient les deux conditions prévues au f du 1 de l'article 195 puissent bénéficier de cette demi-part alors même qu'ils étaient mariés ;
2. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que sont incluses, parmi les veuves visées au f du 1 de l'article 195 du code général des impôts, celles qui relevaient, avant le décès de leur mari, du 6 de ce même article ; que la condition d'âge ainsi posée au f du 1 de l'article 195 du code s'apprécie, dans ce cadre, par référence à l'âge du mari au jour de son décès ; que, par suite, le bénéfice de la demi-part supplémentaire de quotient familial est seulement attribué aux veuves de plus de 74 ans dont le mari était lui-même âgé de plus de 74 ans au jour de son décès ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
4. Considérant que Mme A...soutient que les dispositions du f du 1 de l'article 195 du code général des impôts issues du IV de l'article 12 de la loi de finances pour 1982 et modifiées par la loi de finances pour 2016 sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 ;
5. Considérant, d'une part, que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que, d'autre part, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789 ;
6. Considérant que Mme A...soutient que les veuves, que leurs maris soient décédés avant l'âge de 74 ans ou après cet âge, sont placées dans la même situation au regard de l'objet des dispositions contestées qui est de manifester la reconnaissance de la Nation à ses anciens combattants et que ces dispositions ont pour effet de traiter plus favorablement la veuve d'un ancien combattant qui aurait survécu à la guerre et atteint l'âge de 74 ans que la veuve d'un ancien combattant qui serait mort au combat ou des suites de ses blessures de guerre ; que, toutefois, si le législateur a entendu, à travers cette mesure, témoigner la reconnaissance de la République française aux anciens combattants et victimes de la guerre, il n'en a étendu le bénéfice aux veuves des anciens combattants âgés de plus de 74 ans que dans l'objectif de leur éviter une perte de revenus à la mort de leur mari ; que la soumission de cet avantage à la condition, notamment, que leur mari ait été âgé de plus de 74 ans au moment de son décès, c'est-à-dire qu'il ait été éligible lui-même à la demi-part supplémentaire de quotient familial, répond à cet objectif ; qu'ainsi, la veuve dont le mari est décédé après l'âge de 74 ans est placée, au regard de l'objet du f du 1 de l'article 195 du code général des impôts, dans une situation différente de celle dont le mari est décédé avant cet âge ; qu'au demeurant, les veuves dont le mari est mort au combat ou des suites de ses blessures bénéficient d'une demi-part supplémentaire au quotient familial au titre du c du 1 de l'article 195 du code général des impôts ; que, par suite, les dispositions du f du 1 de cet article ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi ; que ces dispositions n'entraînent pas non plus de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; qu'ainsi la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le f du 1 de l'article 195 du code général des impôts porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
Sur la légalité du paragraphe attaqué :
7. Considérant que le paragraphe n° 170 de l'instruction fiscale n° BOI-IR-LIQ-10-20-20-20 datée du 29 février 2016, qui commente notamment l'article 4 de la loi de finances pour 2016 qui a abaissé à 74 ans, au lieu de 75 ans, l'âge à partir duquel une demi-part supplémentaire est accordée aux titulaires de la carte du combattant ou d'une pension militaire d'invalidité, prévoit que " la demi-part supplémentaire est également accordée aux veuves, âgées de plus de 74 ans des personnes ayant rempli les conditions énumérées aux IV-A et B § 150 [être âgés de plus de 74 ans] et 160 [titulaires de la carte du combattant ou d'une pension servie aux militaires invalides ou victimes de guerre]. " ;
8. Considérant que Mme A...soutient que ces énonciations restreignent le champ du f du 1 de l'article 195 du code général des impôts au motif que celles-ci doivent s'entendre comme ouvrant le bénéfice de la demi-part supplémentaire de quotient familial à la veuve dès lors qu'elle est âgée de plus de 74 ans et que son défunt mari était titulaire de la carte du combattant ou d'une pension servie aux militaires invalides ou victimes de guerre, peu important l'âge de ce dernier au jour de son décès ; qu'il résulte cependant de ce qui a été dit au point 2 que le paragraphe n° 170 de l'instruction n'a pas fait une interprétation inexacte de la loi ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de Mme A...doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par MmeA....
Article 2 : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.