CAA de NANTES, 5ème chambre, 02/11/2016, 14NT03337, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis du fait des circonstances dans lesquelles il a contracté une pathologie reconnue imputable au service à compter du 4 mai 2009.
Par un jugement n° 1107155 du 21 octobre 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 décembre 2014 et 5 juin 2015, M.B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 octobre 2014 ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Nantes a rejeté sa demande indemnitaire préalable ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 132 349,55 euros en réparation des préjudices subis du fait des circonstances dans lesquelles il a contracté sa pathologie reconnue imputable au service ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation, les premiers juges n'ayant pas statué sur la question de l'existence d'une responsabilité sans faute de l'Etat, qui leur avait pourtant été soumise ;
- son préjudice aurait nécessairement dû être reconnu, indépendamment de la question d'une faute commise par l'Etat, dès lors que son état psychique était directement en lien avec une pathologie dont le caractère imputable au service avait été constaté.
Une mise en demeure a été adressée le 14 septembre 2015 au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Par ordonnance du 9 mars 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 avril 2016.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2016, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions indemnitaires de M. B...sont irrecevables en tant qu'elles excèdent les 80 000 euros sollicités au titre de ses conclusions présentées en première instance ;
- aucune faute de l'Etat ne peut être caractérisée en l'espèce ;
- les préjudices patrimoniaux de M. B...sont déjà réparés par l'allocation d'une pension civile d'invalidité assortie d'une rente viagère d'invalidité ;
- la réalité du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence allégués n'est pas démontrée.
Un mémoire présenté pour M.B..., représenté par MeA..., a été enregistré le 1er juillet 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Massiou,
- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,
- les observations de MeA..., représentant M.B... ;
1. Considérant que M.B..., professeur en génie industriel structures métalliques, a été affecté au lycée professionnel Brossaud-Blancho de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) à la rentrée scolaire 2007 ; qu'il a été victime d'un syndrome anxio-dépressif qui a été reconnu comme étant imputable au service à compter du 4 mai 2009 ; qu'il a sollicité auprès du recteur de l'académie de Nantes, par un courrier reçu le 12 avril 2011 auquel il n'a pas été répondu, la réparation des préjudices ayant résulté pour lui de sa maladie professionnelle ; que M. B...relève appel du jugement du 21 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser de ces préjudices ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'en se bornant à relever que M. B...pouvait prétendre, au titre de la responsabilité sans faute, à l'indemnisation des préjudices liés à sa pathologie reconnue imputable au service qui n'auraient pas été réparés par l'allocation de la rente viagère d'invalidité, sans répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré par le requérant de ce que l'Etat avait engagé sa responsabilité à son égard sur ce fondement, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une insuffisance de motivation ; que celui-ci doit, par suite, être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes ;
Sur la responsabilité :
4. Considérant que les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle ; que les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; que ces dispositions ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ;
Sur la responsabilité sans faute :
5. Considérant qu'il résulte des énonciations du point précédent que la responsabilité de l'Etat peut être engagée à l'égard du requérant, même en l'absence de faute, dans l'hypothèse où celui-ci démontrerait avoir subi, du fait de la pathologie d'origine professionnelle dont il souffre, des préjudices non réparés par l'allocation de sa rente viagère d'invalidité ;
6. Considérant, d'une part, que M. B...s'est vu allouer, du fait de la reconnaissance d'une pathologie imputable au service et de sa mise à la retraite, une rente viagère d'invalidité qui permet de réparer le préjudice de carrière et la perte de revenus qu'il a subis et continue de subir ; qu'il ne peut, dès lors, prétendre à une indemnité complémentaire à ce titre ;
7. Considérant, d'autre part, que si M. B...soutient également qu'il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence que l'Etat devrait, même en l'absence de faute, réparer, il ne l'établit pas ; qu'il ne produit ainsi aucun élément permettant de démontrer que le montant d'une police d'assurance qu'il aurait souscrite dans le cadre d'un emprunt immobilier aurait vu son montant doubler du fait de son état de santé ; que si le requérant soutient, par ailleurs, qu'il ressent un profond sentiment d'injustice dont il est fait état dans les rapports médicaux versés au dossier, un tel sentiment ne saurait révéler l'existence d'un préjudice non déjà réparé par la reconnaissance du caractère professionnel de sa pathologie ; que M. B...n'établit ainsi pas qu'il pourrait prétendre à l'allocation d'une indemnité complémentaire à sa rente viagère d'invalidité ;
Sur la responsabilité pour faute :
8. Considérant que M. B...soutient que la pathologie d'origine professionnelle dont il souffre aurait pour origine l'attitude adoptée à son égard par le proviseur de son lycée, qui aurait confiné au harcèlement moral ; qu'il renvoie sur ce point aux pièces de son dossier, dont il ressort uniquement que M. B...a été réprimandé en novembre 2008 pour avoir tenu en classe des propos déplacés au sujet du décès d'un collègue, et que sa notation a subi une baisse de 0,3 points au titre de l'année 2008-2009 ; que si un courrier adressé en janvier 2009 par M. B...au recteur de l'académie de Nantes fait état d'importantes tensions au sein de son établissement, aucun autre élément du dossier ne vient étayer cette affirmation ; que ces seuls éléments sont insuffisants à établir l'existence d'un harcèlement moral au sens des dispositions de l'article
6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983, qui exige notamment la démonstration d'agissements répétés à l'égard du fonctionnaire, pas plus que celle d'une faute qui pourrait être à l'origine de la pathologie dont souffre le requérant ;
9. Considérant que M. B...n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la maladie professionnelle dont il est victime serait imputable à une faute de l'Etat ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que M. B...n'est pas fondé à solliciter l'allocation de dommages et intérêts au titre des préjudices qu'il estime liés à sa pathologie professionnelle ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. B...tendant à ce soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 octobre 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée, ainsi que ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l'audience du 14 octobre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Massiou, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 novembre 2016.
Le rapporteur,
B. MASSIOULe président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT03337