CAA de VERSAILLES, 4ème chambre, 20/12/2016, 15VE00365, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision20 décembre 2016
Num15VE00365
JuridictionVersailles
Formation4ème chambre
PresidentM. BROTONS
RapporteurMme Céline GUIBÉ
CommissaireMme ORIO
AvocatsBOUSQUET

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision par laquelle le ministre du budget a implicitement rejeté sa demande du 15 décembre 2011 tendant à la reconstitution de sa carrière pour la période du 1er mars 2007 au 1er septembre 2010 et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 79 122 euros en réparation des préjudices subis à raison de son éviction illégale et au titre de rappels de rémunération.

Par un jugement n° 1203360 - 1203361 du 2 décembre 2014, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à ses conclusions à fin d'annulation et a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 février 2015 et le 25 octobre 2016, Mme A..., représentée par Me Bousquet, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement, en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2° de faire droit à ses conclusions indemnitaires de première instance ;

3° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la décision du 1er mars 2007 par laquelle elle a été radiée des cadres au motif de son inaptitude totale et définitive est entachée d'erreur d'appréciation ; cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'administration ;
- elle a subi un préjudice financier correspondant à la perte de son traitement à hauteur de 59 122 euros et des troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de 20 000 euros.
..................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guibé,
- et les conclusions de Mme Orio, rapporteur public.

1. Considérant que, par arrêté du 2 avril 2008, MmeA..., agent administratif des finances publiques de 1ère classe, a été radiée des cadres à compter du 1er mars 2007 à raison de son inaptitude physique à l'exercice de ses fonctions ; que, par un arrêté du 28 mai 2010, le ministre du budget a " rapporté " l'arrêté du 2 avril 2008 ; que Mme A...a été réintégrée à compter du 1er septembre 2010 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps (...) peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office ; dans ce dernier cas, la radiation des cadres est prononcée sans délai si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité que son caractère définitif et stabilisé ne rend pas susceptible de traitement (...) " ; que selon l'article L. 31 du même code : " La réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions sont appréciés par une commission de réforme selon des modalités qui sont fixées par un décret en Conseil d'Etat. Le pouvoir de décision appartient, dans tous les cas, au ministre dont relève l'agent et au ministre des finances. " ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme a, lors de sa séance du 18 mars 2008, estimé que Mme A...était définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions au vu d'un rapport d'expertise médicale du 8 février 2008, dont les conclusions ont été confirmées par une deuxième expertise réalisée le 9 octobre 2009 ; qu'une contre-expertise réalisée le 10 novembre 2009 a toutefois conclu que l'état de Mme A...n'était pas incompatible avec une activité professionnelle d'agent d'administration prenant en compte son handicap physique, en particulier la nécessité de l'usage permanent du fauteuil et un accès aux moyens spécifiques indispensables aux personnes handicapées ; que Mme A...a été effectivement réintégrée dans les fonctions d'agent administratif des finances publiques à compter du 1er septembre 2010 ; que, par suite, en se fondant sur l'" inaptitude totale et définitive à l'exercice de toutes fonctions " pour prononcer la radiation des cadres de l'intéressée, le ministre du budget a entaché son arrêté du 2 avril 2008 d'une erreur d'appréciation ;

4. Considérant qu'en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A..., placée depuis le 1er janvier 1999 en situation de disponibilité pour convenances personnelles, avait sollicité le 20 janvier 2007 le renouvellement de cette disponibilité ; qu'en vertu des dispositions de l'article 44 du décret du 16 septembre 1985, un tel renouvellement est accordé sous réserve des nécessités du service dans la limite d'une durée totale de dix années pour l'ensemble de la carrière ; qu'il n'est pas soutenu en l'espèce, et il ne ressort pas des pièces du dossier, que les nécessités du service auraient fait obstacle à ce renouvellement ; que, par ailleurs, Mme A...n'a pas sollicité son placement en congé de maladie et n'a demandé sa réintégration que par lettre du 29 mai 2008 ; que, par suite, Mme A...n'est pas fondée à soutenir qu'elle a subi un préjudice financier à raison de l'absence de rémunération pour la période du 1er mars 2007 au 29 mai 2008 ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 49 du décret du 16 septembre 1985 prévoit que la réintégration d'un fonctionnaire placé en disponibilité pour convenances personnelles est de droit, sous réserve de la vérification de son aptitude physique par un médecin agréé et, éventuellement, par le comité médical compétent et que l'administration doit lui proposer l'une des trois premières vacances dans son grade ; que le ministre des finances et des comptes publics ne conteste pas les conclusions du rapport d'expertise du 10 novembre 2009 aux termes desquelles Mme A...était, à la date de l'examen, apte à l'exercice d'une activité professionnelle d'agent d'administration prenant en compte son handicap physique et que rien ne permettait de supposer que son état de santé ait fonctionnellement changé entre 1998 et 2009 ; que, par suite, l'administration était tenue de proposer à Mme A...l'une des trois premières vacances dans son grade à la suite de sa demande de réintégration du 29 mai 2008 ; qu'ainsi et alors que l'administration ne soutient pas qu'aucun poste n'était vacant à cette date, la requérante est fondée à demander le versement de la différence entre, d'une part, les sommes correspondant au traitement et aux primes et indemnités dont elle avait, entre le 30 mai 2008 et le 1er septembre 2010, une chance sérieuse de bénéficier et qui n'étaient pas seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions et, d'autre part, les revenus de toute nature qu'elle a réellement perçus au cours de la période en litige ; qu'en l'état de l'instruction, il n'est pas possible à la Cour de déterminer la somme exacte à laquelle Mme A... pouvait effectivement prétendre et qu'il y a donc lieu de renvoyer l'intéressée devant l'administration afin que celle-ci procède au calcul de la réparation qui lui est due ;

7. Considérant, en troisième lieu, que MmeA..., illégalement radiée des cadres, a dû entamer de nombreuses démarches afin d'obtenir sa réintégration ; que le préjudice moral subi à raison de l'illégalité fautive de l'arrêté du 2 avril 2008 doit être évalué à hauteur de 1 000 euros ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté l'intégralité de ses conclusions indemnitaires ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A...et non compris dans les dépens ;



DÉCIDE :



Article 1er : Le jugement n°1203360 - 1203361 du 2 décembre 2014 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de MmeA....
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A...la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Article 3 : Mme A...est renvoyée devant l'administration pour qu'il soit procédé, conformément aux motifs du présent arrêt, à la liquidation de l'indemnité qui lui est due au titre de la perte de rémunération pour la période comprise entre le 30 mai 2008 et le 1er septembre 2010, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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N° 15VE00365