CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 08/02/2018, 16VE00412, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision08 février 2018
Num16VE00412
JuridictionVersailles
Formation5ème chambre
PresidentMme SIGNERIN-ICRE
RapporteurM. Gildas CAMENEN
CommissaireMme MEGRET
AvocatsSELAFA CABINET CASSEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune d'Issy-les-Moulineaux à lui verser la somme de 350 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la maladie professionnelle dont il souffre depuis 2006, assortie des intérêts de droit à compter de la demande indemnitaire préalable et de mettre à la charge de la commune d'Issy-les-Moulineaux la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1300136 du 17 décembre 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune d'Issy-les-Moulineaux à lui verser la somme de 139 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2012, a mis les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros, à la charge de la commune ainsi que la somme de 35 euros au titre de la contribution pour l'aide juridique et celle de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 9 février 2016, M. C...B..., représenté par la Selafa Cabinet Cassel, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2° de porter la condamnation de la commune d'Issy-les-Moulineaux à la somme de 350 000 euros, avec intérêts de droit à compter de sa demande préalable ;

3° de mettre à la charge de la commune d'Issy-les-Moulineaux le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son préjudice de douleur doit être indemnisé à hauteur de la somme de 100 000 euros ;
- son préjudice esthétique, évalué à 4/7 après consolidation, doit donner lieu à l'allocation de la somme de 10 000 euros ;
- son préjudice d'agrément doit être évalué à 50 000 euros ;
- son préjudice psychologique s'élève à 40 000 euros ;
- ses troubles dans la qualité de vie justifient le versement de la somme de 100 000 euros ;
- enfin, compte tenu de ses difficultés à se laver, à s'habiller et à manger, en particulier pendant une période d'une année, une somme de 50 000 euros doit lui être allouée à ce titre.

Vu :

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ;
- l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1300142 du 18 avril 2014 ;
- l'ordonnance du juge des référés de la Cour administrative d'appel de Versailles n° 14VE01283 du 17 juillet 2014 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Camenen,
- les observations de MeA..., pour la commune d'Issy-les-Moulineaux.



1. Considérant que M.B..., agent de maîtrise principal titulaire, a été employé depuis 1970 par la commune d'Issy-les-Moulineaux en qualité de plombier ; qu'une tumeur maligne de son sinus maxillaire gauche a été diagnostiquée le 19 avril 2006 ; qu'elle a fait l'objet d'un traitement par chimiothérapie, chirurgie et radiothérapie ; que M. B...a été placé en congé de longue durée à compter du 1er mars 2006 ; que la commission de réforme interdépartementale de la petite couronne a émis, le 7 mars 2011, un avis favorable à la reconnaissance de maladie professionnelle avec laquelle les arrêts et soins reçus depuis 2006 sont en lien ; que la commission de réforme a estimé M. B...inapte à toute fonction, son taux d'incapacité permanente partielle s'élevant selon elle à 60 % ; que la commune d'Issy-les-Moulineaux a placé M. B...en congé de longue durée pour maladie professionnelle par une décision du 10 mai 2011 ; que M. B...a ensuite saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise aux fins de désignation d'un expert qui est intervenue par une ordonnance n° 1109405 du 16 décembre 2011 ; qu'il a ensuite saisi le juge des référés de ce même tribunal aux fins de versement d'une provision et la formation collégiale d'une demande au fond ; que, par une ordonnance n° 1300142 du 18 avril 2014, le juge des référés a condamné la commune d'Issy-les-Moulineaux à lui verser la somme de 175 000 euros à titre de provision ; que, par une ordonnance n° 14VE01283, le juge des référés de la Cour de céans a rejeté la requête de la commune d'Issy-les-Moulineaux tendant à l'annulation de l'ordonnance du premier juge ayant accordé cette provision ; que, par le jugement attaqué du 17 décembre 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune d'Issy-les-Moulineaux à verser à M. B...la somme de 139 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2012 ; que M. B...relève appel de ce jugement ; que, par la voie de l'appel incident, la commune d'Issy-les-Moulineaux doit être regardée comme demandant l'annulation du jugement en tant qu'il alloue à M. B...la somme de 35 000 euros au titre des souffrances endurées et la somme de 90 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et sa condamnation à ce titre à de plus justes proportions sans pouvoir excéder la somme de 30 000 euros pour les souffrances endurées ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif a alloué à M. B... une indemnité dans le quantum de sa demande ; qu'il n'a, par suite, pas statué ultra petita ; qu'au demeurant, la demande de M.B..., qui cite les termes du rapport d'expertise et fait notamment état de ce que son alimentation et son sommeil sont perturbés et qu'il s'habille désormais avec des vêtements aisés à mettre, doit être regardée comme tendant à la réparation du déficit fonctionnel permanent dont l'intéressé reste atteint, préjudice évalué par le jugement attaqué à la somme de 90 000 euros ; que, dans ces conditions, la commune d'Issy-les-Moulineaux n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient statué ultra petita en allouant cette somme à M. B...;

Au fond :

En ce qui concerne le droit à réparation de M.B... :

2. Considérant que, compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle ; que les dispositions qui instituent ces prestations, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; que ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...sollicite réparation des préjudices personnels résultant de la maladie professionnelle dont il a été atteint en 2006 ; qu'il résulte des principes rappelés au point 2 qu'il est fondé à obtenir de la commune d'Issy-les-Moulineaux, son employeur, réparation de ces préjudices, même en l'absence de faute, aucune faute n'étant d'ailleurs alléguée ;

En ce qui concerne les préjudices :

4. Considérant que M.B..., s'appuyant sur le rapport de l'expert, sollicite le versement de la somme de 100 000 euros au titre de son préjudice de douleur, 10 000 euros pour son préjudice esthétique, 50 000 euros pour son préjudice d'agrément, 40 000 euros pour son préjudice psychologique, 100 000 euros au titre des " troubles dans la qualité de vie " et une somme de 50 000 euros compte tenu de ses difficultés à se laver, à s'habiller et à manger, en particulier pendant une période d'une année ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, des conclusions de l'expert, en premier lieu, que M. B...a subi, avant la consolidation de son état de santé, une période d'incapacité temporaire de plus de 5 ans et 10 mois ; que, placé en congé de longue durée, il a subi, entre 2006 et 2011, de nombreuses hospitalisations et notamment trois cures de chimiothérapies de cinq jours chacune, des séances de radiothérapie sur sept semaines et seize opérations chirurgicales ; que des douleurs neuropathiques se sont installées, rebelles à tout traitement ; que l'expert a fixé les souffrances physiques et morales endurées, qu'il qualifie de majeures, à 7 sur une échelle de 7 ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme à la somme de 35 000 euros ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que M. B...a subi un préjudice esthétique temporaire qui a été fixé par l'expert à 5 sur une échelle de 7 compte tenu de la présence de cicatrices de la face et d'une asymétrie oculaire ; qu'il subit un préjudice esthétique permanent estimé à 4 sur une échelle de 7 par l'expert en raison de la persistance d'une cicatrice et d'une invagination de la face ; qu'ainsi, le montant total de ce préjudice doit être évalué à la somme de 10 000 euros ;
7. Considérant, en troisième lieu, que M. B...a cessé de pratiquer les activités de loisirs et sportives qui l'occupaient auparavant, en particulier, ainsi qu'il ressort du rapport d'expertise, la pêche, le football avec ses enfants, le vélo en famille et la marche ainsi que l'entretien de sa maison située dans l'Orne ; que, dès lors, il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme de 10 000 euros ;
8. Considérant en quatrième et dernier lieu que, suivant la typologie des préjudices retenue par l'expert, M. B...fait valoir qu'il souffre de troubles psychologiques liés à une altération de son image qui ont un retentissement sur sa relation avec ses enfants et son épouse ; qu'en outre, il éprouve des difficultés à se laver, à s'habiller et à manger ; que ces préjudices ne se confondent pas avec ceux réparés aux points 5 à 7 ci-dessus ; qu'il n'est pas contesté que la maladie professionnelle de M. B...a des répercussions importantes sur sa vie quotidienne ; qu'en effet, M.B..., marié et père de cinq enfants dont trois à charge en 2012, demeure atteint, depuis la consolidation de son état de santé, acquise en 2011 alors qu'il était âgé de 55 ans, d'une incapacité permanente partielle estimée à 60 % par la commission de réforme interdépartementale de la Petite Couronne dans son avis du 7 mars 2011 ; que reconnu inapte au travail, il a cessé toute activité professionnelle ; qu'il connaît des troubles importants affectant le goût, l'odorat et l'audition ; qu'il éprouve des difficultés pour s'alimenter et pour s'habiller ; qu'il dort peu et passe la majeure partie de ses journées devant son poste de télévision ; que, compte tenu de la gravité de sa maladie professionnelle et de l'importance du déficit fonctionnel permanent qu'elle a entraîné, il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en lui allouant la somme de 120 000 euros ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à soutenir que c'est tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune d'Issy-les-Moulineaux à ne lui verser que la somme de 139 000 euros ; qu'il y a lieu de porter cette somme à 175 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2012, sous déduction de la provision de même montant résultant de l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1300142 du 18 avril 2014 ; que, par voie de conséquence, les conclusions d'appel incident de la commune d'Issy-les-Moulineaux doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Issy-les-Moulineaux le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 139 000 euros que la commune d'Issy-les-Moulineaux a été condamnée à verser à M. B...par l'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1300136 du 17 décembre 2015 est portée à la somme de 175 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2012, sous déduction de la provision de même montant résultant de l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1300142 du 18 avril 2014.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1300136 du 17 décembre 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune d'Issy-les-Moulineaux versera la somme de 2 000 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions d'appel incident de la commune d'Issy-les-Moulineaux sont rejetées.
N° 16VE00412 2