Conseil d'État, 8ème chambre, 16/02/2018, 406219, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 février 2018
Num406219
Juridiction
Formation8ème chambre
RapporteurM. Vincent Uher
CommissaireM. Romain Victor

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal des pensions de Nîmes d'annuler la décision du 8 juin 2010 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'attribution d'une pension militaire d'invalidité. Par un jugement n° 11/00012 du 13 mars 2012, ce tribunal a fait droit à la demande de M.B....

Par un arrêt n° 12/00017 du 24 octobre 2016, la cour régionale des pensions de Nîmes, sur appel du ministre de la défense, a annulé ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 22 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a sollicité le 9 février 2007 l'attribution d'une pension militaire d'invalidité à raison de troubles consécutifs, selon lui, à une rupture du ligament croisé antérieur gauche survenue le 9 octobre 1997 à l'occasion d'un entraînement sportif dans le cadre du service. Il a saisi le tribunal des pensions de Nîmes d'un recours dirigé contre la décision du 8 juin 2010 par laquelle le ministre de la défense a rejeté cette demande. Par un jugement avant dire droit du 28 juin 2011, le tribunal des pensions a ordonné une expertise médicale, confiée au docteur Ascencio. Par un jugement du 13 mars 2012, ce même tribunal a, au vu du rapport d'expertise, fait droit aux conclusions de M.B.... Celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 octobre 2016 par lequel la cour régionale des pensions de Nîmes a, sur appel du ministre, annulé le jugement du tribunal des pensions et rejeté sa demande.

2. Il ressort du rapport d'expertise médicale rédigé le 3 octobre 2011 par le docteur Asencio, à la demande du tribunal des pensions, que ce médecin indiquait sans ambiguïté qu'il était possible d'établir l'imputabilité au service de la rupture du ligament croisé antéro-externe dont avait été victime M.B..., qui était survenue le 9 octobre 1997 à l'occasion d'une activité sportive liée au service et qui avait évolué vers une instabilité chronique du genou, opérée, pour la seconde fois, en septembre 2006 avec des complications opératoires infectieuses. En jugeant que le docteur Asencio, " après avoir longuement inventorié les nombreuses pièces médicales du dossier " ne s'était " pas montré affirmatif " sur la question de l'imputabilité de l'infirmité à l'accident de sport survenu le 9 octobre 1997, la cour régionale des pensions a dénaturé les pièces du dossier. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

4. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction applicable au litige : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / (...) 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée ".

5. Le ministre de la défense soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal des pensions, la preuve de la relation médicale certaine, directe et déterminante entre l'infirmité de M. B... et l'accident du 9 octobre 1997 n'est pas apportée. A l'appui de cette argumentation, il se prévaut de ce qu'aucune mention relative à une lésion articulaire ou ligamentaire n'a été portée au dossier médical de l'intéressé à la suite de cet accident de sport, de ce qu'il a été constaté lors de visites médicales annuelles en 1998 et 1999 que M. B...avait conservé une aptitude physique totale, de ce qu'un examen par IRM réalisé le 30 mai 2000 ne faisait état que d'une probable rupture du ligament croisé antéro-externe " dans sa portion haute " tandis que le même examen réalisé le 28 juin 2006, à la suite d'une chute de M. B...survenue à son domicile, en dehors du service, mentionnait une rupture de ce même ligament " dans sa partie moyenne ", et, enfin, de ce qu'aucune doléance n'apparaît au livret médical militaire de M. B...entre 2000 et 2006.

6. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise rédigé par le docteur Ascensio, que M. A...B...a été victime, le 9 octobre 1997, d'une entorse du genou gauche à l'occasion d'une séance de sport organisée dans le cadre du service. Si, en l'absence d'examen articulaire du genou, aucune rupture du ligament croisé antérieur gauche n'a alors été diagnostiquée, un examen par IRM effectué le 30 mai 2000 à la suite de douleurs ressenties par l'intéressé et de la sensation de " dérobement " de son genou gauche a révélé l'existence d'une rupture de ce ligament dont l'expert indique " qu'elle n'est pas une rupture récente ". Il ressort également du rapport d'expertise que l'examen effectué le 28 juin 2006 fait apparaître des images similaires de rupture ancienne du ligament croisé antéro-externe. Le rapport conclut à l'existence d'une entorse grave du genou avec lésion ligamentaire évoluant vers une instabilité chronique du genou ayant nécessité plusieurs intervention chirurgicales, dont l'une a donné lieu à des complications infectieuses.

7. Il résulte de ces éléments que la preuve d'une relation médicale certaine, directe et déterminante entre l'infirmité de M.B..., qui procède des séquelles d'une rupture du ligament croisé antéro-externe gauche, et l'accident de service survenu le 9 octobre 1997 doit être regardée comme apportée, sans que ni la circonstance que le dossier médical militaire de l'intéressé ne mentionne pas de doléances à ce sujet entre 2000 et 2006 ni le constat de son aptitude physique lors de visites médicales en 1998 et 1999 ne soient, par eux-mêmes, de nature à remettre en cause cette appréciation.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions, qui est suffisamment motivé.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 600 euros à verser à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Nîmes du 24 octobre 2016 est annulé.

Article 2 : Le recours du ministre de la défense devant la cour régionale des pensions de Nîmes est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à M. B...la somme de 2 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la ministre des armées.

ECLI:FR:CECHS:2018:406219.20180216