CAA de NANCY, 3ème chambre - formation à 3, 02/10/2018, 17NC00502, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision02 octobre 2018
Num17NC00502
JuridictionNancy
Formation3ème chambre - formation à 3
PresidentM. MARINO
RapporteurM. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
CommissaireMme KOHLER
AvocatsTADIC

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A...a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Bar-le-Duc à l'indemniser des conséquences dommageables de l'accident de service survenu le 12 décembre 2002.

Par deux jugements n° 1400160 du 26 mai 2015 et du 27 décembre 2016, le tribunal administratif de Nancy a condamné la commune de Bar-le-Duc à réparer les conséquences dommageables de l'accident de service du 12 décembre 2002 et à verser à ce titre la somme de 54 600 euros à M.A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 2017 et un mémoire en réplique enregistré le 5 septembre 2018, la commune de Bar-le-Duc, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler les jugements du tribunal administratif de Nancy du 26 mai 2015 et du 27 décembre 2016 et de rejeter la demande présentée par M. C...A...devant le tribunal administratif de Nancy ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer ces jugements en tant qu'ils la condamnent à réparer le déficit fonctionnel temporaire et le préjudice esthétique de l'intéressé ;

3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Bar-le-Duc soutient que :
- M. A...n'a droit, en complément de l'allocation temporaire d'invalidité, à aucune indemnité visant à la réparation de son déficit fonctionnel temporaire et permanent ;
- les premiers juges ont statué ultra petita dès lors que l'intéressé n'a jamais présenté de conclusions tendant à la réparation de son déficit fonctionnel ;
- les conclusions indemnitaires présentées à ce titre, après l'expiration du délai de recours, sont irrecevables ;
- la faute commise par M. A...est de nature à exonérer la collectivité de toute responsabilité ou, à tout le moins, de réduire sa part de responsabilité à 5 % ;
- M. A...ne saurait être indemnisé pour avoir subi un déficit fonctionnel total de 47 mois alors qu'il n'a pas été hospitalisé pendant toute la période litigieuse ;
- il n'a subi aucun préjudice esthétique ;
- les conclusions incidentes présentées par M. A...doivent être rejetées dès lors que le rapport d'expertise déposé devant les premiers juges est insuffisant.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2017, M. C... A..., représenté par Me D..., conclut :

1°) au rejet de la requête et, par la voie d'un appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité le montant des réparations à 54 600 euros ;

2°) de condamner la commune de Bar-le-Duc à lui verser la somme de 124 425 euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre les dépens à la charge de la commune de Bar-le-Duc, ainsi qu'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- il a présenté des conclusions devant le tribunal administratif tendant à l'indemnisation de son déficit fonctionnel ;
- aucune faute ne peut lui être reprochée ;
- l'accident de service dont il a été victime l'a privé de ses heures supplémentaires à raison de 275,41 euros par mois du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2006 et de 32,75 euros par mois du 1er janvier 2007 au 1er décembre 2015 ;
- cet accident lui a fait perdre une chance de progression professionnelle dont le préjudice doit être évalué à 10 000 euros ;
- ses souffrances physiques doivent être évaluées à la somme de 20 000 euros ;
- son préjudice d'agrément et son préjudice esthétique s'établissent respectivement à 6 500 euros et à 2 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des communes ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 63-1346 du 24 décembre 1963 ;
- le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., pour la commune de Bar-le-Duc.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., adjoint technique principal de la commune de Bar-le-Duc, a été victime d'un accident de service le 12 décembre 2002 et bénéficie à ce titre d'une allocation temporaire d'invalidité. S'estimant insuffisamment indemnisé par cette allocation, il a adressé à son employeur, le 10 juillet 2013, une demande tendant à la réparation de ses préjudices personnels. Cette demande a été rejetée par une décision du 5 septembre 2013. M. A...a formé un recours gracieux le 3 octobre 2013 qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Saisi par M.A..., le tribunal administratif de Nancy a, par un jugement avant dire droit du 26 mai 2015, déclaré la commune de Bar-le-Duc responsable, même en l'absence de faute, des préjudices personnels imputables à son accident de service et a ordonné une expertise aux fins de se prononcer sur l'évaluation de ces préjudices. L'expert a remis son rapport au greffe de la juridiction le 4 mai 2016. Par un jugement du 27 décembre 2016, le tribunal administratif a condamné la commune de Bar-le-Duc à verser la somme de 54 600 euros à M. A...en réparation de ses préjudices personnels. La commune de Bar-le-Duc fait appel des deux jugements en sollicitant leur annulation ou, à défaut, une réduction de la somme mise à sa charge. M. A...demande, par la voie d'un appel incident, que le montant de l'indemnisation soit porté à la somme de 124 425 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Dans son mémoire introductif d'instance devant le tribunal administratif de Nancy, M. A... a demandé la condamnation de la commune de Bar-le-Duc à réparer les dommages résultant de l'accident dont il a été victime le 12 décembre 2002 en se réservant de chiffrer définitivement ses préjudices, incluant son déficit fonctionnel temporaire et permanent, au vu des conclusions de l'expertise qu'il demandait aux premiers juges d'ordonner. M. A... pouvait donc fixer le montant de ces mêmes préjudices par référence à ce rapport d'expertise, ainsi qu'il l'a fait dans son mémoire complémentaire présenté le 19 juillet 2016. Le tribunal administratif pouvait à son tour, sans statuer au-delà des conclusions dont il était saisi, se prononcer sur le droit de M. A... à obtenir réparation de ses préjudices et, notamment, du déficit fonctionnel temporaire et permanent qu'il a subi.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Bar-le-Duc :

S'agissant du droit à réparation :
3. L'article L. 417-8 du code des communes et l'article 2 du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière imposent aux communes et à leurs établissements publics d'allouer aux fonctionnaires atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service entraînant une incapacité permanente d'au moins 10 % ou d'une maladie professionnelle une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec leur traitement et versée à compter de la date de reprise des fonctions. L'article 4 du décret du 24 décembre 1963 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux agents permanents des collectivités locales et de leurs établissements publics, puis l'article 4 du décret précité du 2 mai 2005 ont prévu que le montant de l'allocation est fixé à la fraction du traitement brut afférent à l'indice 100 correspondant au taux d'invalidité.
4. Compte tenu des conditions dans lesquelles elle est accordée et calculée, l'allocation temporaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions, rappelées ci-dessus, qui instituent cette prestation, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
5. Il résulte de ce qui précède que l'allocation temporaire d'invalidité dont bénéficie M. A... a pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de son incapacité physique et ne saurait faire obstacle à ce qu'il demande, même en l'absence de faute de la commune de Bar-le-Duc, la réparation de ses autres préjudices patrimoniaux ou de ses préjudices personnels. L'intéressé pouvait donc demander à ce titre la réparation de son déficit fonctionnel temporaire et permanent qui constitue une partie de ses préjudices personnels. La commune de Bar-le-Duc n'est donc pas fondée à soutenir que toutes les conséquences dommageables résultant de l'incapacité physique seraient réparées par l'allocation temporaire d'activité.
S'agissant de la faute reprochée à M.A... :
6. La commune de Bar-le-Duc soutient pour la première fois en appel que M.A..., chargé de réaliser une opération de salage sur la voie publique le 12 décembre 2002, ne pouvait ignorer la présence de verglas. La commune impute la chute dont il a été victime à une imprudence de sa part, de nature à l'exonérer de toute responsabilité ou, à tout le moins, à réduire sa part de responsabilité à 5 % du montant des préjudices. Il ne résulte cependant d'aucune pièce versée aux débats, notamment par l'administration, qu'une faute pourrait être reprochée à M. A...dans la survenue de l'accident de service dont il a été victime. Dans ces conditions, le moyen de la commune ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Bar-le-Duc n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a retenu sa responsabilité sans faute et l'a condamnée à indemniser M. A...des préjudices non réparés par son allocation temporaire d'invalidité.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices de M.A... :

8. En premier lieu, M. A...réitère en appel sa demande tendant à l'indemnisation des heures supplémentaires qu'il n'aurait pu effectuer en raison de son accident de service, ainsi que le préjudice résultant selon lui d'une perte de chance de progression professionnelle. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 4 que ces chefs de préjudices sont réparés par l'allocation temporaire d'invalidité qui lui a été accordée. Dans ces conditions, et alors que l'intéressé ne soutient pas qu'une faute aurait été commise par la commune de Bar-le-Duc, sa demande tendant à obtenir une indemnité complémentaire de ses préjudices professionnels ne peut qu'être rejetée.
9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que les conclusions chiffrées présentées par M. A...devant le tribunal administratif, après le dépôt du rapport d'expertise, en vue d'obtenir notamment la réparation de son déficit fonctionnel, n'étaient pas tardives. La commune de Bar-le-Duc n'est donc pas fondée à soutenir que les premiers juges se seraient prononcés sur des conclusions irrecevables.
10. A cet égard, les premiers juges ont alloué une somme de 18 800 euros à M. A...en réparation du déficit fonctionnel temporaire total qu'il a subi du 12 décembre 2002 au 20 février 2006 et du 23 avril 2008 au 3 février 2009, pendant une période de 47 mois. La commune de Bar-le-Duc conteste le montant de cette indemnisation en indiquant que M.A..., alors en congé de maladie, n'a pas été hospitalisé pendant l'ensemble de cette période. L'expert a toutefois estimé, dans ses conclusions, que l'intéressé avait présenté un déficit fonctionnel temporaire total au cours de la période litigieuse. L'avis établi le 21 février 2017 par un médecin de l'assureur de la collectivité ne démontre pas que le rapport d'expertise judiciaire, au vu duquel les premiers juges ont évalué le préjudice de M.A..., serait insuffisant ou erroné. Par ailleurs, si une hospitalisation conduit en principe à constater une incapacité totale du patient, l'absence d'hospitalisation n'implique pas pour autant que cette incapacité soit partielle. Dans ces conditions, eu égard à l'argumentation apportée sur ce point par la commune, celle-ci ne démontre pas que le tribunal administratif aurait accordé une indemnisation excessive à M. A...en réparation de son déficit fonctionnel temporaire.
11. En troisième lieu, l'expert désigné par les premiers juges n'a pas retenu de préjudice esthétique dans les conclusions de son rapport. Il ressort toutefois de ses propres constatations que M. A...présente trois cicatrices résultant des interventions chirurgicales qu'il a subies en conséquence de son accident de service. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la commune de Bar-le-Duc, M. A... était fondé à demander l'indemnisation de son préjudice esthétique, ainsi que le tribunal administratif l'a admis. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient procédé à une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice en allouant la somme de 300 euros à M.A..., dont la demande supplémentaire présentée en appel sur ce point ne peut qu'être rejetée.
12. En quatrième lieu, l'expert précité a évalué les souffrances endurées par M. A...en conséquence de son accident de service à 4 sur une échelle de 0 à 7. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif aurait procédé à une évaluation insuffisante de ces souffrances en accordant la somme de 7 500 euros à l'intéressé.
13. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que M. A...n'a mentionné la pratique d'aucune activité sportive ou de loisir régulière lors des opérations d'expertise. L'expert n'a fait état d'aucun préjudice d'agrément dans son rapport. Si l'intéressé a produit à l'instance des attestations émanant de proches, selon lesquelles il s'adonnait au cyclisme et au tennis de table avant son accident, ces éléments ne suffisent pas à démontrer qu'il pratiquait alors de façon régulière ces mêmes activités physiques. Par conséquent, sa demande tendant à obtenir l'indemnisation de son préjudice d'agrément ne peut qu'être rejetée.
14. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a limité le montant des réparations à la somme de 54 600 euros. Il s'ensuit également que la commune de Bar-le-Duc n'est pas plus fondée à soutenir que les premiers juges auraient procédé à une évaluation excessive de l'indemnisation allouée à M.A....
Sur la capitalisation des intérêts :

15. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.
16. M. A...a demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 12 juillet 2017. A cette date, les intérêts, qui courent depuis le 11 juillet 2013, étaient dus au moins pour une année entière. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

17. Le tribunal administratif a mis les frais d'expertise exposés en première instance à la charge définitive de la commune de Bar-le-Duc. En outre, la présente instance n'a donné lieu à aucun dépens. Par suite, les conclusions présentées sur ce point par M. A...ne peuvent qu'être rejetées.
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la commune de Bar-le-Duc demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Bar-le-Duc une somme de 1 500 euros à verser à M.A... sur le fondement des mêmes dispositions.





D E C I D E :


Article 1er : La requête de la commune de Bar-le-Duc est rejetée.

Article 2 : Les intérêts assortissant la somme de 54 600 euros mise à la charge de la commune de Bar-le-Duc par le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1400160 du 27 décembre 2016, qui sont échus à la date du 12 juillet 2017, seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1400160 du 27 décembre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune de Bar-le-Duc versera à M. A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de l'appel incident de M. A...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bar-le-Duc et à M. C... A....

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N° 17NC00502