COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON, 6ème chambre - formation à 3, 17/01/2019, 17LY02008, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 85 500 euros en réparation des préjudices subis résultant de la manipulation d'une grenade en Tunisie en 1943.
Par un jugement n° 1403856 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 4 mai 2017, M.A..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 85 500 euros en réparation des préjudices subis du fait de la manipulation d'une grenade en Tunisie en 1943 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'il a formé une réclamation préalable le 21 octobre 2016 qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet ;
- l'Etat ne saurait lui opposer la prescription de son action compte tenu de ce que l'expert a relevé que la consolidation de son état de santé est fixée au 31 mai 2012, date à laquelle il a bénéficié d'un appareillage auditif ;
- la grenade a été découverte non pas à l'occasion de combats entre les forces en présence mais alors qu'elle était abandonnée ; les opérations militaires ne sont pas visées dans le présent recours mais le terrain juridique invoqué est le risque encouru par les populations tunisiennes ; le principe de la responsabilité sans faute de l'Etat a vocation à s'appliquer ;
- les dommages subis sont en lien direct avec le risque encouru ;
- le déficit fonctionnel temporaire total sera évalué à 3 000 euros et le déficit fonctionnel temporaire partiel sera évalué à 4 500 euros ; le déficit fonctionnel permanent sera évalué à 23 000 euros ; les souffrances endurées seront évaluées à 15 000 euros ; le préjudice esthétique sera évalué à 5 000 euros ; le préjudice professionnel sera évalué à 50 000 euros ;
Par un mémoire enregistré le 5 juin 2018, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il est de jurisprudence constante que la responsabilité de la puissance publique ne peut être engagée du fait de dommages dont le fait générateur se rattache à la conduite de la guerre ou à des opérations de guerre ; en 1943, les Alliés étaient en conflit avec l'Allemagne et l'Italie et des combats se sont déroulés sur le territoire tunisien ; la France ne peut être tenue pour responsable des conséquences dommageables liées à ces affrontements militaires ;
- à titre subsidiaire, la demande de M. A...devant le tribunal administratif était irrecevable dès lors que M. A...a présenté une demande d'indemnisation le 16 février 2011 qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet ; M. A...a directement saisi le tribunal d'un recours en indemnisation sans avoir lié le contentieux ;
- si l'expert a fixé la date de consolidation des blessures de M. A...au 31 mai 2012, il ne s'agit que de séquelles auditives ; il ne s'est pas prononcé sur la consolidation des autres lésions ; les autres séquelles ont été consolidées au plus tard trois ans après l'accident, soit en 1946 ; la créance est donc prescrite depuis le 1er janvier 1951 conformément à l'article 148 de la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945 ;
- aucune pièce du dossier ne permet d'établir les circonstances exactes de l'accident ayant causé les blessures de M.A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 46-1117 du 20 mai 1946 portant remise en vigueur, modifications et extensions de la loi du 24 juin 1919 sur les réparations à accorder aux victimes civiles de la guerre ;
- la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945 portant fixation du budget général pour l'exercice 1946 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caraës,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant M.A....
1. Considérant qu'au printemps 1943, M. B...A..., né le 12 mars 1937 en Tunisie, a été, selon ses dires, victime de l'explosion d'une grenade qu'il manipulait et qui aurait été abandonnée à la suite de la bataille de Tunisie qui s'est déroulée entre le 17 novembre 1942 et le 13 mai 1943 ; que, le 16 avril 1951, M. A...a demandé l'attribution d'une pension militaire d'invalidité en qualité de victime civile de guerre ; que, le 29 juin 1964, le ministre des anciens combattants et des victimes de guerre a rejeté sa demande ; que la légalité de cette décision a été confirmée par un jugement du tribunal départemental des pensions militaires des Bouches-du-Rhône le 20 février 1969 ; que M. A...a présenté une nouvelle demande qui a donné lieu à un jugement de rejet rendu le 5 novembre 1998 par le tribunal départemental des pensions militaires des Bouches-du-Rhône le 5 novembre 1998, confirmé par la cour régionale des pensions militaires d'Aix-en- Provence le 7 mars 2003 ; qu'il a formé le 16 février 2011 une nouvelle demande d'indemnisation fondée sur le risque, que le ministre de la défense a implicitement rejetée ; que, par ordonnance du 3 mai 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, saisi par M.A..., a désigné le professeur Malicier en qualité d'expert ; que celui-ci a remis son rapport le 28 mars 2014 ; que M. A...relève appel du jugement du 9 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation, sur le fondement de la responsabilité sans faute, des préjudices subis du fait de l'explosion dont il aurait été victime ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 16 juin 1966, repris à l'article L. 733-1 du code de la sécurité intérieure, " les travaux de détection, d'enlèvement, de neutralisation, de stockage et de destruction des explosifs et pièges de guerre ont le caractère de travaux publics. La présente disposition s'applique aux dommages causés par les travaux postérieurs au 31 décembre 1961 " ; que, par cette disposition, le législateur a notamment entendu étendre les règles applicables à l'indemnisation des dommages de travaux publics aux dommages causés aux personnes et aux biens par la présence ou l'explosion d'engins explosifs postérieurement au 31 décembre 1961 ;
3. Considérant que, pour les dommages causés aux personnes par les explosions d'engins antérieurement au 31 décembre 1961, les règles d'indemnisation des victimes relèvent de la législation des victimes civiles de guerre issue de la loi n° 46-1117 du 20 mai 1946 portant remise en vigueur, modifications et extensions de la loi du 24 juin 1919 sur les réparations à accorder aux victimes civiles de la guerre qui a été reprise dans le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; qu'en application de l'article L. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, les contestations individuelles auxquelles donne lieu l'application des dispositions du livre Ier et des titres Ier, II et III du livre II sont jugées en premier ressort par le tribunal des pensions et en appel par la cour régionale des pensions ;
4. Considérant que M. A...entend se prévaloir devant la juridiction administrative de droit commun du régime jurisprudentiel de responsabilité fondée sur l'existence d'un risque excédant les limites de ceux qui résultent normalement du voisinage ; que, toutefois, il n'établit ni les circonstances exactes de l'accident dont il indique avoir été victime, notamment la date exacte des faits, ni même leur matérialité en se bornant à produire un document intitulé " rapport de la gendarmerie française du 8 septembre 1944 à Monsieur le juge de tribunal des victimes de guerre ", dont la valeur probante apparaît faible ; que, dès lors, M. A...n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête et sur l'exception de prescription opposées par le ministre, que M. A...n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président assesseur,
Mme Caraës, premier conseiller.
Lu en audience publique le 17 janvier 2019.
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N° 17LY02008