Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 28/06/2019, 422920

Information de la jurisprudence
Date de décision28 juin 2019
Num422920
Juridiction
Formation7ème - 2ème chambres réunies
RapporteurM. Marc Firoud
CommissaireM. Gilles Pellissier
AvocatsSCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 643 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont il a été victime. Par un jugement n° 1502165/5-1 du 11 février 2016, le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à M. B...la somme de 24 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2014 et de la capitalisation des intérêts, et a rejeté le surplus des conclusions de M.B....

Par un arrêt n° 16PA01283 du 5 juin 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la ministre des armées ainsi que l'appel incident de M.B....

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 août 2018 et 18 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M.B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Firoud, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. B...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces soumises au juge du fond que M.B..., caporal au sein du régiment d'infanterie de chars de marine de Poitiers, affecté sur la base opérationnelle avancée de Zouar au Tchad, a été blessé par des éclats de balles à la tête, le 7 avril 2012, à l'âge de 26 ans, à la suite d'une erreur de manipulation de son arme par un autre militaire qui a été reconnu coupable des chefs de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, d'usage illicite de stupéfiants et de violation de consignes par militaire, par un jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Paris du 1er avril 2014. M. B...a obtenu le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 40 %, à compter du 18 juillet 2012. Il a également présenté une demande d'indemnisation des préjudices subis, qui a été rejetée par le ministre de la défense. Par un jugement du 11 février 2016, le tribunal administratif de Paris, saisi par M.B..., a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 24 500 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant pour lui de cet accident. Par un arrêt du 5 juin 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la ministre des armées contre ce jugement, ainsi que l'appel incident formé par M. B...tendant à ce que le montant de l'indemnité soit porté à la somme de 789 724 euros. La ministre des armées se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ".

3. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité.

4. Pour déterminer si l'accident de service ayant causé un dommage à un militaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, de sorte que ce militaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par l'Etat de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour retenir l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, la cour administrative d'appel de Paris s'est bornée à relever que l'accident dont a été victime M. B...trouvait sa cause dans la faute commise par un autre militaire, qui a procédé au nettoyage de son arme sans respecter les consignes de sécurité applicables, et que cette faute, commise sur les lieux et durant le temps du service, avec une arme de service, présentait malgré sa gravité un lien avec le service suffisant à engager la responsabilité de l'Etat. En déduisant de la seule circonstance que la faute personnelle commise par cet autre militaire avait un lien avec le service que cette faute était de nature à engager la responsabilité de l'Etat, sans rechercher si l'accident de service dont a été victime M. B... était imputable à une faute commise par l'administration dans l'organisation ou le fonctionnement du service, la cour a commis une erreur de droit.

6. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la ministre des armées est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 5 juin 2018 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions formées par M. B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre des armées et à M. A... B....

ECLI:FR:CECHR:2019:422920.20190628