Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 04/10/2019, 426799, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 octobre 2019
Num426799
Juridiction
Formation10ème - 9ème chambres réunies
RapporteurMme Isabelle Lemesle
CommissaireM. Alexandre Lallet
AvocatsSCP BOULLOCHE

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 janvier, 29 mars et 12 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. BP... BK... et l'association Générations Harkis demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le rapport du groupe de travail présidé par M. L..., intitulé " Aux harkis, la France reconnaissante ", remis le 17 juillet 2018 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n°2018-1320 du 28 décembre 2018 instituant un dispositif d'aide à destination des enfants d'anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local et assimilés ;

3°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n°2019-01/0NACVG du 7 janvier 2019 relative au dispositif d'aide de solidarité à destination des enfants d'ex-membres des formations supplétives et assimilés ayant servi l'armée française pendant la guerre d'Algérie ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, notamment son article 223 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boulloche, avocat de M. BP... BK... et de l'association Générations Harkis ;




Considérant ce qui suit :

1. M. BK... et l'association Générations Harkis demandent l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, du rapport intitulé " Aux harkis, la France reconnaissante ", élaboré par un groupe de travail et remis le 17 juillet 2018 à la secrétaire d'Etat auprès de la ministre des armées et, d'autre part, du décret du 28 décembre 2018 instituant un dispositif d'aide à destination des enfants d'anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local et assimilés ainsi que, par voie de conséquence, de l'instruction n°2019-01/ONACVG du 7 janvier 2019 relative au dispositif d'aide de solidarité à destination des enfants d'ex-membres des formations supplétives et assimilées ayant servi l'armée française pendant la guerre d'Algérie.

Sur les interventions :

2. L'association Conseil des Harkis du Var justifie, eu égard à son objet statutaire, d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Par suite, son intervention est recevable.

3. En leur qualité d'enfants d'anciens harkis, MM. AI..., BZ..., BY..., BI..., AS..., AZ..., CP..., AC..., CH..., AJ..., AN..., AQ..., Q... et H... CR..., AR..., C..., CS..., CL... et I... AV... et CA... et Mmes CI..., CM..., AO... CB..., AI..., N..., CM..., AY..., AU... et BH... E..., BV..., CQ..., CC..., BR..., CO..., T..., Z... et X... CT..., CN..., CA..., AP... et BU... AJ..., CK... et U... AM..., AP..., BA..., BE... et AF... AQ..., J..., BG... et AE... CR..., Y..., BF..., AR..., BK..., O... et BB... et d'autre part, en leurs qualités respectives de gendre de harki, d'épouse de harki et de petit-fils de harki, M. N..., Mme M... CB... et M. BT... justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Par suite, leurs interventions sont recevables.

4. En revanche, ne sont pas recevables les interventions de M. CMmes et Mmes AA... BX..., BQ..., CD... et BW... B..., qui se bornent à invoquer une qualité de " sympathisants " des harkis.

Sur les conclusions dirigées contre le rapport remis le 17 juillet 2018 :

5. Le rapport mentionné au point 1 ne constitue pas un acte susceptible de recours pour excès de pouvoir. Il s'ensuit que la ministre des armées est fondée à soutenir que les conclusions tendant à son annulation sont irrecevables.

Sur les conclusions dirigées contre le décret du 28 décembre 2018 :

6. Aux termes de l'article 1er du décret attaqué : " Les enfants d'anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local et assimilés, qui ont séjourné pendant au moins quatre-vingt-dix jours dans un camp ou un hameau de forestage à la suite du rapatriement de leur famille sur le territoire national, et qui résident en France de manière stable et effective, peuvent demander, jusqu'au 31 décembre 2022, une aide de solidarité lorsque leurs ressources ne leur permettent pas de s'acquitter de dépenses ayant un caractère essentiel dans les domaines de la santé, du logement, de la formation, ou de l'insertion professionnelle. / (...) Nul ne peut bénéficier plus d'une fois d'une aide. Le montant de l'aide, qui fait l'objet d'un seul versement, ne peut être révisé ". L'article 3 du même décret dispose que : " (...) Pour attribuer l'aide et en déterminer le montant, le directeur général de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre prend en compte, d'une part, la durée de séjour du demandeur dans le camp ou le hameau de forestage et les conditions de scolarisation qu'il y a connues, d'autre part, l'ensemble des éléments de sa situation personnelle en ce qui concerne la composition de son foyer, le niveau de ses revenus et de ses charges, ainsi que la nature et le montant des dépenses mentionnées au deuxième alinéa de l'article 1er demeurant à sa charge après prise en compte, le cas échéant, des dispositifs de droit commun existants susceptibles de les couvrir ".

7. En premier lieu, si le décret attaqué a entendu, pour accorder l'aide qu'il prévoit, se fonder sur les difficultés particulières rencontrées par les enfants d'anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local et assimilés pouvant résulter de leurs conditions de vie lors de leur séjour prolongé dans des camps ou des hameaux de forestage à la suite du rapatriement de leur famille sur le territoire national, il ne modifie pas les conditions dans lesquelles les personnes qui s'y croient fondées peuvent engager des actions en responsabilité contre l'Etat. Ainsi, il n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 34 de la Constitution selon lesquelles : " La loi détermine les principes fondamentaux:/ (...) des obligations civiles (...) ". Aucune autre disposition de l'article 34 de la Constitution ne réserve au législateur la mise à la charge de l'Etat d'une telle prestation financière et la fixation des conditions de son attribution. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'incompétence ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, si l'aide financière dite de solidarité prévue par le décret attaqué est réservée aux enfants d'anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local ayant séjourné de manière prolongée dans des camps ou des hameaux de forestage à la suite du rapatriement de leur famille sur le territoire national et dont les ressources ne leur permettent pas de s'acquitter de dépenses ayant un caractère essentiel dans les domaines de la santé, du logement, de la formation, ou de l'insertion professionnelle, ces conditions visent à réserver le bénéfice de l'aide aux personnes rencontrant actuellement des difficultés sociales ou économiques en tenant compte de la circonstance que ces difficultés sont susceptibles de résulter des conditions de vie qui leur ont été réservées dans ces camps ou hameaux de forestage. Ainsi, la différence de traitement qui en résulte au détriment d'autres enfants d'anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local ne remplissant pas ces conditions ainsi que, plus généralement, des autres citoyens exclus du bénéfice de cette mesure est en rapport direct avec l'objet de l'aide, au demeurant ponctuelle et subsidiaire, et n'est pas disproportionnée eu égard à leur différence de situation. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité.

9. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent. Les conclusions dirigées contre l'instruction du 7 janvier 2019 de la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, dont l'annulation n'est demandée qu'en conséquence de l'annulation du décret, ne peuvent par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre des armées, qu'être rejetées, de même que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de l'association Conseil des Harkis du Var, ainsi que de MM. CE... AI..., S... BZ..., BP... BY..., BN... BI..., A... AS..., AH... AZ..., U... CP..., I... AC..., BC... CH..., I... AJ..., AB... AM..., CG... AQ..., Q... CR..., H... CR..., BP... AR..., A... C..., CS... AV..., I... AV..., CL... AV..., AX... CA..., K... N..., BD... BT... et CU... Mmes CW... CI..., AW... CM..., AO... CB..., M... CB..., V... AI..., G... N..., AW... CM..., BL... AY..., AU... E..., BH... E..., BS... BV..., AG... CQ..., BM... CC..., AL... BR..., D... CO..., T... CT..., Z... CT..., X... CT..., BO... CN..., T... CA..., AP... AJ..., BU... AJ..., CK... AM... , U... AM..., AP... AQ..., BA... AQ..., BE... AQ..., AF... AQ..., J... CR..., BG... CR..., AE... CR..., AD... Y..., R... BF..., CJ... AR..., U... BK..., AK... O... et AT... BB... sont admises.
Article 2 : Les interventions de M. W... CF..., et de Mmes CV... AA... BX..., BJ... BQ..., CD... B... et BW... B... ne sont pas admises.
Article 3 : La requête de M. BK... et de l'association Générations Harkis est rejetée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. BK..., à l'association Générations Harkis, à la ministre des armées et à M. CE... AI..., premier intervenant dénommé.
Copie en sera adressée au Premier ministre. Les intervenants n'étant pas représentés par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pourront prendre connaissance de la présente décision sur le site internet du Conseil d'Etat.

ECLI:FR:CECHR:2019:426799.20191004