CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 29/10/2019, 17BX02489, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 30 500 euros en réparation des préjudices subis du fait de la gestion fautive de l'aménagement de son poste de travail.
Par un jugement n° 141680 du 30 mai 2017, le tribunal administratif de Limoges a partiellement fait droit à sa demande en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation des souffrances physique et morale endurées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2014 ainsi que la capitalisation des intérêts, pour gestion fautive de l'aménagement de son poste de travail depuis le mois d'août 2013, illégalité fautive de la décision du 2 octobre 2012 par laquelle son employeur a refusé de reconnaître comme accident de service sa tentative de suicide survenue sur son lieu de travail le 17 janvier 2012, et pour agissement fautif de l'administration en privant l'intéressée, après son retour de congé après sa tentative de suicide, de tout aménagement de son poste de travail adapté à son handicap pendant une période de six mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 juillet 2017 et le 7 septembre 2017, Mme E..., représentée par Me H..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Limoges en tant qu'il a limité à 5 000 euros l'indemnité mise à la charge de l'Etat en réparation de ses préjudices ;
2°) de porter à la somme de 23 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2014 et de leur capitalisation, le montant de cette indemnisation, dans le dernier état de ses écritures ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier car sa minute n'est pas revêtue de la signature du président, du rapporteur et du greffier de chambre, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont répondu à tort à un moyen qu'elle n'avait pas soulevé en première instance tiré de ce qu'elle s'estimerait victime de harcèlement moral ;
- les premiers juges se sont livrés à une interprétation erronée des pièces du dossier sur la date à partir de laquelle l'administration engage envers elle sa responsabilité pour gestion fautive de l'aménagement de son poste de travail dès lors que sa responsabilité est engagée à compter du mois de juillet 2003, date de sa première alerte au ministre de l'économie et des finances, et non pas à compter du mois d'août 2013 ; en effet, les adaptations du poste qui ont été réalisées en 2007, puis en 2008, consistant en la pose de deux cloisons amovibles séparatives, ont été non seulement insuffisantes mais ont aggravé ses conditions de travail ; c'est à tort que l'administration s'est exclusivement appuyée sur l'appréciation erronée et biaisée du médecin de prévention, le Dr Ceolato, qui a toujours minimisé son handicap en niant la nécessité pour elle d'obtenir un bureau individuel et en considérant que les aménagements initiaux étaient suffisants ; l'administration ne pouvait ignorer la mésentente entre elle et le Dr Ceolato, de sorte qu'elle aurait dû organiser dès avant juillet 2013 une visite médicale avec un autre médecin de prévention ;
- les premiers juges ont commis une erreur dans l'appréciation des préjudices subis ; en effet, la dégradation de ses conditions de travail liée à l'absence d'aménagement suffisant de son poste durant dix ans, a engendré d'importantes répercussions sur sa santé physique liées à une gêne quotidienne occasionnée par le bruit et une luminosité excessive, et psychique car elle a souffert de troubles anxiodépressifs en relation avec l'attitude de l'administration vis-à-vis de son handicap, ayant entraîné des arrêts de travail et des cures thermales ;
- ses souffrances, tant physiques que psychiques, qui doivent être évaluées à 6 sur une échelle de 1 à 7, justifient une indemnisation à hauteur de 23 500 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2018, le ministre de l'économie et des finances conclut, à titre principal, au rejet de la requête de Mme E..., par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 30 mai 2017 du tribunal administratif de Limoges, et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme E... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le jugement n'est pas irrégulier et le moyen tiré du défaut de signature du jugement manque en fait ;
- la requérante n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient commis une erreur d'interprétation concernant le fondement juridique invoqué de l'inertie fautive de l'administration, constitutive d'une situation de harcèlement moral ;
- il n'a pas méconnu les dispositions de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 dès lors qu'il a pris en charge les prothèses auditives de l'intéressée dès l'année 2002 et a procédé en 2007 à des aménagements de son poste de travail consistant en la pose de deux cloisons amovibles séparatives d'une hauteur de deux mètres afin de limiter les nuisances sonores, lesquels aménagements ont été déclarés conformes aux préconisations du médecin de prévention ;
- si l'administration est tenue à l'égard de ses agents handicapés de trouver des solutions raisonnables et proportionnées ainsi que des modalités d'organisation du travail permettant à l'agent de poursuivre son activité professionnelle malgré son handicap, elle n'est tenue que d'une obligation de moyens et non pas de résultat ; en tout état de cause, l'administration ne pouvait, pour des raisons immobilières, logistiques et budgétaires, mettre un bureau individuel et isolé à la disposition de Mme E... ;
- la requérante ne saurait se prévaloir utilement de la méconnaissance de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983.
Par ordonnance du 13 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 décembre 2018 à 12h00.
Un mémoire a été produit pour Mme E... le 12 décembre 2018 qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... C...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., contrôleur des impôts titulaire depuis le 1er septembre 1993, a été affectée au centre des impôts d'Issoudun au 1er septembre 1995. Reconnue en tant que travailleur handicapé avec un taux d'invalidité de 35% par une décision de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel du 17 octobre 2002 en raison de problèmes auditifs liés à une hyperacousie, cette reconnaissance du statut de travailleur handicapé a été renouvelée à deux reprises les 31 octobre 2008 et 12 novembre 2013, son taux d'invalidité étant relevé entre 50% et 80%. Par un courrier en date du 17 mai 2014, Mme E... a adressé au ministre de l'économie et des finances une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices résultant pour elle du défaut d'aménagement de son poste de travail et de l'inaction de son employeur face à sa situation de personne handicapée. A la suite du rejet de sa réclamation préalable né du silence gardé par l'administration, Mme E... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 30 500 euros en raison des préjudices subis. Par un jugement n°141680 du 30 mai 2017, le tribunal administratif de Limoges a retenu la responsabilité de l'Etat pour gestion fautive de l'aménagement de son poste de travail et illégalité fautive du refus de reconnaître comme imputable au service la tentative de suicide de Mme E... et a condamné l'Etat à verser à cette dernière la somme de 5 000 euros au titre des souffrances physique et morale endurées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2014 ainsi que la capitalisation de ces intérêts. Mme E... relève appel du jugement du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 5 000 euros, qu'elle estime insuffisante, en réparation des souffrances physique et morale endurées. Le ministre de l'économie et des finances, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à verser une somme de 5 000 euros à Mme E....
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". En vertu de l'article R. 741-10 du même code : " La minute des décisions est conservée au greffe de la juridiction pour chaque affaire, avec la correspondance et les pièces relatives à l'instruction (...) ".
3. Mme E... soutient que le jugement attaqué est irrégulier dès lors que la copie qui lui a été transmise ne permet pas de s'assurer que sa minute comportait les signatures requises par les dispositions précitées de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Il résulte toutefois de l'examen du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte bien la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ses dispositions ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.
4. En second lieu, contrairement à ce que Mme E... prétend, elle a bien soutenu dans ses écritures présentées devant le tribunal administratif qu'elle avait été victime de harcèlement moral. Dans ces conditions, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait, à tort, examiné un moyen qu'elle n'aurait pas soulevé dans sa requête introductive d'instance. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier pour ce motif doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
S'agissant de la gestion fautive de l'aménagement du poste de travail à partir du mois d'août 2013 :
5. D'une part, aux termes des dispositions de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs visés à l'article 2 prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 323-3 du code du travail d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en oeuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, notamment compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. ". Ces dispositions imposent à l'autorité administrative de prendre tant les règlements spécifiques que les mesures appropriées au cas par cas pour permettre l'accès de chaque personne handicapée à l'emploi auquel elle postule sous réserve, d'une part, que ce handicap n'ait pas été déclaré incompatible avec l'emploi en cause et, d'autre part, que lesdites mesures ne constituent pas une charge disproportionnée pour le service.
6. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 23 de la même loi : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail. ". Aux termes des dispositions de l'article 26 du décret du 28 mai 1982 précité : " Le médecin de prévention est habilité à proposer des aménagements de poste de travail ou des conditions d'exercice de fonctions justifié par l'âge, la résistance physique ou l'état de santé des agents ". Il résulte de ces dispositions que les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents.
7. Il est constant que Mme E..., reconnue comme travailleur handicapé dont le dernier taux d'incapacité s'élève entre 50% et 80% et qui travaille dans une plate-forme technique en " open-space ", présente une surdité, une intolérance aux environnements bruyants, des troubles oculaires et une fatigue visuelle.
8. D'une part, Mme E... soutient qu'elle a alerté sa hiérarchie dès 2003 de sa situation de handicap et que les mesures d'aménagement de son poste de travail mises en place en 2007, consistant en la pose de deux cloisons amovibles séparatives, se sont révélées non seulement inutiles mais ont aggravé ses conditions de travail. L'administration fait valoir, sans être contredite, avoir financé les prothèses auditives de la requérante dès 2002 jusqu'en 2017, par l'intermédiaire de la cellule de recrutement et d'insertion des personnes handicapées du ministère des finances et des comptes publics. Conformément aux préconisations du médecin de prévention, le Dr Ceolato, de juillet 2007, deux cloisons amovibles séparatives en simple vitrage de deux mètres de hauteur, positionnées sur le devant et sur le côté gauche du bureau de l'intéressée, afin de limiter les nuisances sonores de l'espace de travail, ont été installées. Ces dispositifs ont été adaptés en novembre 2008 par l'aménagement d'un espace de travail isolé par la pose de parois en double vitrage ayant permis, après la réalisation de tests, d'améliorer la performance d'isolation phonique. Ces derniers aménagements ont ensuite été validés le 8 janvier 2009 par le médecin de prévention et par l'inspecteur en charge de l'hygiène et de la sécurité, qui, à la suite d'une visite sur les lieux, ont constaté au contradictoire de l'agent, que l'administration avait réalisé des " efforts significatifs " pour aménager le poste de travail de Mme E..., dont " le niveau de confort a été jugé " satisfaisant " par l'agent lui-même. En particulier, le cloisonnement du bureau par l'emploi d'une structure vitrée (...) a pour effet de neutraliser le dégagement sonore du plateau de travail du service. Dans ces conditions, l'aménagement réalisé ne nécessite ni modification, ni ajout d'équipement spécifique ". Mme E... a en outre bénéficié dans le cadre de l'aménagement de son poste de travail et de la surveillance médicale annuelle à l'égard des personnes handicapées, de visites médicales régulières avec le médecin de prévention, ce qu'elle ne conteste pas. Si Mme E... a toutefois continué à se plaindre et a refusé de rencontrer le Dr Ceolato à partir de 2010, l'administration a pris acte de ce refus en sollicitant une visite médicale auprès d'un médecin de prévention d'un autre département qui n'a pu se tenir, et en organisant des consultations avec deux médecins agréés, le Dr Lesage, médecin généraliste, et le Dr Ferron, médecin ORL, qui l'ont examiné les 22 et 23 juillet 2013, dont les conclusions font toutefois état de la nécessité de revoir les aménagements mis en place initialement et de mettre à la disposition de Mme E... un bureau individuel isolé. Par ailleurs, il ressort du compte rendu de la consultation s'étant tenue le 28 août 2014 avec le professeur Druet-Cabanac, du service de santé au travail du centre hospitalier universitaire de Limoges, que les dispositifs initiaux n'ont que momentanément amélioré la situation et que la mise à disposition d'un bureau isolé en dehors de l'open-space constituerait une meilleure solution. En se bornant à faire valoir que les préconisations médicales émises en 2013 sur la nécessité de mettre un bureau isolé et individuel à la disposition de l'intéressée ne pouvaient être suivies en l'absence de place disponible, l'administration n'établit pas que les charges consécutives à la mise en oeuvre de ces mesures prescrites auraient été disproportionnées eu égard aux aides qui peuvent compenser, en tout ou partie, les dépenses supportées à ce titre par le ministère de l'économie et des finances. Mme E... a ainsi été privée depuis août 2013, en méconnaissance des recommandations médicales prescrivant la mise à disposition à Mme E... d'un bureau individuel et isolé, d'aménagements appropriés de nature à limiter les nuisances sonores et visuelles auxquelles elle est particulièrement sensible.
9. Dans ces conditions, l'administration ne peut être regardée comme ayant pris, pour la période postérieure au mois d'août 2013, les mesures appropriées à l'exercice par Mme E... de ses fonctions et propres à garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des personnes handicapées énoncé par l'article 6 sexies susvisé de la loi du 13 juillet 1983, et à lui assurer des conditions de travail compatibles avec son handicap dans un cadre respectueux de sa santé et de sa sécurité, au sens de l'article 23 susvisé de la même loi. L'Etat a ainsi manqué à ses obligations au regard de ces dispositions et commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Par suite, le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables de l'absence de mesures appropriées à l'exercice par Mme E... de ses fonctions pour la période postérieure au mois d'août 2013.
10. D'autre part, si Mme E... soutient que son employeur n'a pas pris avant 2007 les mesures nécessaires visant à la protéger et à lui assurer des conditions de travail compatibles avec son handicap, en s'appuyant sur l'appréciation erronée et biaisée du médecin de prévention, le Dr Ceolato, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983, il est toutefois constant, compte-tenu de ce qui précède, que l'intéressée a bénéficié dès l'année 2002 de mesures de nature à la protéger et à lui assurer des conditions de travail compatibles avec son handicap. La circonstance invoquée qu'elle a rencontré des difficultés relationnelles avec le médecin de prévention est, en tout état de cause, sans incidence sur la responsabilité de l'administration. De même, le fait que plusieurs médecins, sollicités par Mme E..., ont ensuite insisté sur la nécessité de respecter les préconisations précédemment émises en ce qui concerne l'aménagement du poste de l'intéressée ne saurait suffire, à défaut de précision circonstanciée, à permettre de déduire que tel n'aurait pas été effectivement le cas. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que son employeur n'aurait pas, à compter de l'année 2003, pris les mesures appropriées à son handicap et à la préservation de sa santé et ainsi méconnu les dispositions de l'article 26 du décret susvisé du 28 mai 1982. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a limité la mise en jeu de la responsabilité de l'administration à la période postérieure au mois d'août 2013 au regard de sa gestion fautive de l'aménagement de son poste de travail.
S'agissant de l'illégalité fautive de la décision du 2 octobre 2012 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa tentative de suicide :
11. La circonstance que Mme E... n'ait pas contesté par la voie d'un recours pour excès de pouvoir la légalité de la décision du 2 octobre 2012 refusant de reconnaître comme imputable au service sa tentative de suicide survenue le 17 janvier 2012 ne faisait pas obstacle à ce qu'elle invoque, devant les premiers juges, l'illégalité fautive de ces mesures, même devenues définitives, à l'appui de conclusions tendant à l'indemnisation de ses préjudices. Par suite, le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à soutenir que la demande indemnitaire présentée devant le tribunal administratif fondée sur l'illégalité fautive de cette décision était irrecevable.
12. Aux termes des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ".
13. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. Il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service. Il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.
14. Il résulte de l'instruction que le 17 janvier 2012, Mme E... a tenté sur son lieu de travail de mettre fin à ses jours par intoxication médicamenteuse, tentative dont son chef de service a été immédiatement informée par une collègue de travail de l'intéressée qui a été transportée le même jour au service des urgences du centre hospitalier de Châteauroux. Cette tentative de suicide est intervenue alors que Mme E... venait d'avoir avec son chef de service un entretien ayant trait aux difficultés relationnelles rencontrées par Mme E... dans ses rapports avec ses collègues de travail. La matérialité de ces faits n'est pas sérieusement contestée par l'administration. Mme E... a demandé, par un courrier du 6 mars 2012, la reconnaissance de sa tentative de suicide en accident de service ou en maladie professionnelle. Mme E... a ensuite été examinée le 15 mai 2012 par le Dr Baconnais, médecin psychiatre agréé par l'administration, dont le rapport du 13 juin 2012 conclut à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa tentative de suicide, compte tenu de son état dépressif et de l'intoxication médicamenteuse. Il ressort en particulier du rapport du Dr Baconnais que l'intéressée avait présenté un premier épisode dépressif en 2010 justifiant des cures de repos qu'elle impute aux difficultés qu'elle rencontre dans son travail en relation avec son sentiment que son handicap n'est pas pris en compte par son employeur. Le 25 septembre 2012, la commission de réforme a toutefois émis à un avis défavorable à cette reconnaissance. Dans ces conditions, alors que le ministre n'établit ni même n'allègue que la tentative de suicide, survenue sur le lieu et dans le temps du travail, trouverait son origine exclusive dans la personnalité de l'intéressée ou résulterait d'une pathologie antérieure dépourvue de tout lien avec le service, et nonobstant le fait que la requérante n'ait pas adressé à son employeur une déclaration formalisée d'accident de service, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la tentative de suicide de Mme E... doit être regardée comme imputable au service et que l'administration a commis à ce titre une faute de nature à engager sa responsabilité.
S'agissant du défaut d'aménagement de son poste de travail à l'issue de son congé pour maladie après sa tentative de suicide :
15. Il résulte de l'instruction qu'après avoir proposé à Mme E..., par un courrier du 19 juin 2012, un poste d'enquêteur au centre des finances publiques de Châteauroux, par la voie du détachement, où elle serait dotée d'un bureau individuel mais non isolé, poste qu'elle a refusé le 2 juillet, son employeur lui a alors proposé un poste dans un autre service du centre des impôts d'Issoudun, étant prévu que son affectation serait assortie d'une " période d'essai " de six mois, comme l'atteste un courrier du directeur départemental des finances publiques de l'Indre du 25 juillet 2012. Par un compte-rendu d'entretien avec le directeur départemental des finances publiques s'étant tenu le 23 avril 2013, l'intéressée se voit confirmer dans son affectation à Issoudun. Pour contester sa responsabilité, le ministre de l'économie et des finances fait valoir que l'affectation provisoire a été prise dans l'intérêt du service et de l'agent afin de l'éloigner d'un climat professionnel conflictuel et que cette affectation, qui correspond à un emploi de son grade en application du décret n°2010-982 du 26 août 2010 portant statut particulier du corps des contrôleurs des finances publiques, ne portait atteinte ni à ses droits statutaires, ni à sa rémunération et n'a pas eu pour effet de dégrader ses conditions de travail. Toutefois, ainsi qu'en ont jugé à bon droit les premiers juges, l'administration ne pouvait sciemment subordonner la reprise du travail par Mme E... sur un poste à Issoudun à l'absence de tout aménagement de son poste en conformité avec son handicap, en méconnaissance des préconisations médicales, alors même qu'il était demandé à l'agent de faire ainsi les preuves, durant cette " période d'essai " de six mois, de sa capacité d'adaptation professionnelle. Par suite, le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que les premiers juges ont également retenu sa responsabilité fautive pour ce motif.
S'agissant de l'inertie fautive de l'administration :
16. Enfin, en se bornant à faire référence au moyen exposé par elle en première instance tiré de ce qu'elle aurait été victime de faits de harcèlement moral, sans autre précision, Mme E... ne met pas le juge d'appel en mesure d'apprécier l'éventuel mal-fondé des motifs retenus par le tribunal administratif pour l'écarter.
En ce qui concerne la réparation des préjudices :
17. Compte-tenu de son handicap, Mme E..., dont le taux d'invalidité a été en dernier lieu évalué entre 50% et 80%, souffre de surdité, d'intolérance aux bruits, de troubles oculaires et de fatigue visuelle. Il est, en outre, constant que les difficultés rencontrées par l'intéressée dans son environnement professionnel ont engendré des troubles anxiodépressifs pour lesquels elle bénéficie d'un suivi médical. Ainsi, en fixant à 5 000 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat en réparation des souffrances tant physiques que morales endurées par Mme E... du fait de l'absence d'aménagement adapté de son poste de travail après août 2013, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ses préjudices.
18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a fixé à 5 000 euros le montant de l'indemnité qu'il lui a allouée, et le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il condamne l'Etat à verser cette somme à Mme E....
Sur les frais d'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par le ministre de l'économie et des finances sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... et les conclusions d'appel incident du ministre de l'économie et des finances sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions du ministre de l'économie et des finances tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E... et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme D... G..., présidente-assesseure,
Mme A... C..., conseiller,
Lu en audience publique, le 29 octobre 2019.
Le rapporteur,
Agnès C...Le président,
Dominique NAVESLe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX02489