CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 06/07/2020, 18BX03259, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 31 décembre 2015, par laquelle le directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Seilhac l'a placée en congé de maladie ordinaire du 17 août 2015 au 31 janvier 2016, avec un demi-traitement à compter du 15 novembre 2015, ainsi que la décision du 2 février 2016, par laquelle le directeur de ce même EHPAD l'a déclarée totalement et définitivement inapte aux fonctions d'agent des services hospitaliers qualifié et l'a placée en congé de maladie ordinaire.
Par un jugement n° 1600396 du 28 juin 2018, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision précitée du 31 décembre 2015, ainsi que la décision du 2 février 2016 en tant qu'elle place Mme C... en position de congé de maladie ordinaire sans maintien de son plein traitement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 28 août 2018 et le 18 janvier 2019, l'EHPAD de Seilhac, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 28 juin 2018 ;
2°) de rejeter la demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif de Limoges ;
3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le recours de Mme C... ne visait aucune décision en particulier et ne comportait pas de moyens visant à obtenir l'annulation d'une décision ; par suite, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que sa demande était recevable et n'ont pas accueilli sa fin de non-recevoir ;
- les motifs du jugement relatifs au reclassement de l'intéressé sont erronés, dans la mesure où l'EHPAD ne conteste pas la nécessité de son reclassement et s'est d'ailleurs efforcé de la reclasser ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le comité médical, lors de sa séance du 12 janvier 2016, n'a pas constaté que l'inaptitude physique et définitive de Mme C... était imputable au service ; c'est donc à juste titre qu'elle a été, à partir de la date de consolidation de son état, placée en congé maladie ordinaire et a été placée à demi-traitement à compter du 15 novembre 2015.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 5 décembre 2018 et le 3 avril 2019, Mme C..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'EHPAD de Seilhac la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la fin de non-recevoir soulevée par l'appelant doit être écartée ;
- les autres moyens qu'il soulève doivent être écartés.
Par une ordonnance en date du 12 novembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., née en 1966, agent des services hospitaliers qualifié employée par l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Seilhac (Corrèze) depuis avril 2002, a été placée en arrêt de maladie à partir du 5 mars 2010. Par un arrêté du 1er juillet 2013, l'administrateur directeur de l'Ehpad a reconnu imputable au service la maladie de Mme C... constatée en mars 2010. Une expertise médicale réalisée en août 2015 a conclu que l'arrêt de travail de l'intéressée n'était plus médicalement justifié mais que les arrêts de travail à compter du 1er janvier 2014 étaient à prendre en charge au titre de la maladie professionnelle. Cette même expertise a estimé que l'état de santé de Mme C... lui permettait de reprendre une activité professionnelle à plein temps sur un poste adapté excluant le nursing aux personnes âgées, le port de charges lourdes supérieures à dix kilogrammes ou les gestes et postures répétés en désaxation du rachis lombaire. Elle a, enfin, fixé la consolidation de Mme C... au 17 août 2015. Par un arrêté du 30 novembre 2015, le directeur de l'Ehpad de Seilhac a placé Mme C... en congé de maladie, à demi-traitement, entre le 18 août 2015 et le 30 décembre 2015. La commission de réforme, réunie le 26 novembre 2015, a émis un avis favorable à la réintégration de l'intéressée sur son poste de travail à temps complet selon les préconisations de l'expert. L'avis du médecin du travail, qui a été sollicité le 15 décembre 2015, a estimé Mme C... apte à un poste respectant les restrictions envisagées par l'expert. Un nouvel arrêté du directeur de l'Ehpad de Seilhac du 31 décembre 2015 a placé Mme C... en congé de maladie du 17 août 2015 au 31 janvier 2016, avec un plein traitement jusqu'au 14 novembre 2015. Le comité médical départemental, consulté le 12 janvier 2016, a estimé que Mme C... était définitivement et totalement inapte à ses fonctions d'agent des services hospitaliers qualifié et indiqué qu'un reclassement professionnel était nécessaire. Par un arrêté du 2 février 2016, le directeur de l'Ehpad de Seilhac a déclaré Mme C... totalement inapte à ses fonctions d'agent des services hospitaliers qualifié et l'a placée en congé de maladie ordinaire. En 2017, l'intéressée a sollicité sa mise à la retraite pour invalidité. L'EHPAD de Seilhac fait appel du jugement du 28 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Limoges, après avoir regardée Mme C... comme demandant l'annulation des décisions du 31 décembre 2015 et du 2 février 2016, a annulé la première, ainsi que la seconde en tant qu'elle la place en position de congé de maladie ordinaire sans maintien de son plein traitement.
Sur la régularité du jugement :
2. Contrairement à ce que soutient l'EHPAD, les premiers juges, qui, en ayant regardé Mme C... comme demandant l'annulation des deux décisions du 31 décembre 2015 et du 2 février 2016 en tant qu'elles la placent en maladie ordinaire, ne se sont pas mépris sur la nature et la portée de la demande de première instance, n'ont pas statué au-delà des moyens et des conclusions dont ils étaient saisis.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge ".
4. Il ressort du recours formé par Mme C... devant le tribunal administratif de Limoges, sans l'aide d'un avocat, que celle-ci a fait part de ce qu'elle avait été placée en position de congé pour maladie ordinaire et de son incompréhension de la raison pour laquelle elle ne pouvait plus bénéficier de la reconnaissance en maladie professionnelle alors que son état de santé ne lui permettait plus d'exercer ses fonctions antérieures. A l'appui de ses écritures, intitulées " recours administratif ", elle a produit les décisions du 31 décembre 2015, la plaçant en congé de maladie ordinaire à compter du 17 août 2015 et à demi-traitement à compter du 15 novembre 2015, et du 2 février 2016 la plaçant, dans son article 2, en position de congé de maladie ordinaire. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont regardée comme demandant l'annulation de ces deux décisions en tant qu'elles la placent en maladie ordinaire en invoquant un moyen tiré de ce qu'elle devait encore bénéficier d'un congé de maladie pour maladie professionnelle. Par suite, L'EHPAD de Seilhac n'est donc pas fondé à contester le bien-fondé du jugement en ce qu'il a considéré cette demande comme recevable.
5. En deuxième lieu, si l'EHPAD de Seilhac conteste " les motifs du jugement relatif au reclassement de Mme C... ", en faisant valoir qu'il a rempli son obligation de recherche de reclassement, il résulte de la lecture du point 5 du jugement que les premiers juges ont précisément estimé le moyen de l'intéressée relatif à l'absence de reclassement inopérant à l'encontre des décisions attaquées. Par suite, le moyen soulevé par l'EHPAD est également inopérant.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa version alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (....) ". L'article 71 de cette même loi dispose que " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps, s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. / Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé ".
7. Contrairement à ce que fait valoir l'EHPAD, les premiers juges n'ont pas estimé que le comité médical départemental avait mentionné, dans son avis du 12 janvier 2016, que l'inaptitude de Mme C... à reprendre ses fonctions était imputable au service, mais seulement qu'il avait, par cet avis, constaté cette inaptitude définitive. En revanche, ils ont effectivement estimé qu'il ressortait des pièces du dossier, et notamment des expertises médicales y figurant que cette inaptitude était imputable au service. Et en effet, cette imputabilité ressort suffisamment desdites pièces. La circonstance que l'état de santé de Mme C... ait été déclaré consolidé au 17 août 2015 signifie seulement que cet état est considéré comme stabilisé à compter de cette date, mais nullement que la pathologie issue du service ait disparue, comme le montre d'ailleurs l'avis précité du comité médical. L'EHPAD ne démontrant, ni même n'alléguant, que cette inaptitude serait issue d'une autre pathologie que celle qui a été déclarée imputable au service, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que Mme C... tirait des dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 le droit d'être maintenue en congé spécial de maladie ordinaire, avec bénéfice de son plein traitement, sans autre limitation que celle tenant à sa mise en retraite ou au rétablissement de son aptitude au service, sur son emploi antérieur ou dans le cadre d'un reclassement et que dans ces conditions, en la plaçant, par la décision du 31 décembre 2015 et par l'article 2 de l'arrêté du 2 février 2016, en congé de maladie ordinaire sans maintien du bénéfice de son plein traitement, le directeur de l'Ehpad de Seilhac avait commis une erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l'EHPAD de Seilhac n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a fait droit à la demande de Mme C... en annulant la décision de son directeur du 31 décembre 2015, ainsi que celle du 2 février 2016 en tant qu'elle place Mme C... en position de congé de maladie ordinaire sans maintien de son plein traitement.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'EHPAD de Seilhac sur ce fondement. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'établissement une somme de 2 000 euros que demande Mme C... sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'EHPAD de Seilhac est rejetée.
Article 2 : L'EHPAD de Seilhac versera à Mme C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Seilhac et à Mme B... C....
Délibéré après l'audience du 8 juin 2020 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme Karine Butéri, président-assesseur,
Mme F..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 juillet 2020.
Le président,
Pierre Larroumec
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03259