CAA de DOUAI, 3ème chambre, 30/07/2020, 19DA01489 et 19DA01505, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision30 juillet 2020
Num19DA01489 et 19DA01505
JuridictionDouai
Formation3ème chambre
PresidentM. Albertini
RapporteurM. Marc Lavail Dellaporta
CommissaireM. Cassara
AvocatsSEINGIER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A..., par deux requêtes distinctes, a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er septembre 2016 par laquelle le recteur de l'académie d'Amiens a prononcé sa mise à la retraite d'office pour atteinte de la limite d'âge, ensemble la décision du 17 novembre 2016 rejetant son recours gracieux, d'enjoindre au même recteur de réexaminer sa situation, de le réintégrer en situation d'activité au sein de l'école de Breteuil et de reconstituer sa carrière ainsi que ses relevés de pension et d'autre part de condamner l'Etat à lui verser la somme de 222 810 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait des fautes commises dans la gestion de sa carrière et notamment sa mise à la retraite d'office, enfin, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement commun n° 1700500, 1701149 du 26 mars 2019, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 1er septembre 2016 portant mise à la retraite d'office et rétroactive pour limite d'âge de M. A..., ensemble la décision du 17 novembre 2016 rejetant son recours gracieux, et a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence et a renvoyé l'intéressé devant le recteur de l'académie d'Amiens pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité à laquelle il a droit au titre de la perte de revenus qu'il a subie du fait de l'intervention de l'arrêté du 1er septembre 2016 jusqu'à sa réintégration dans les cadres de la fonction publique en exécution du jugement. Le tribunal a aussi enjoint au recteur de l'académie d'Amiens de réintégrer juridiquement M. A... et de procéder à sa reconstitution de carrière et de ses droits sociaux, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Il a enfin mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au profit de M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions des requêtes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 juin 2019 et le 15 mai 2020, sous le n° 19DA01489, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour d'annuler les articles 1er à 4 de ce jugement.

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Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 octobre 2019 et le 2 avril 2020, M. C... A..., représenté par Me B..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la réformation du jugement en ce qu'il n'a pas reconnu la faute au titre du manquement au droit à l'information sur les retraites prévues par l'article L. 161-17 du code de la sécurité sociale et en ce qu'il n'a pas reconnu l'intégralité du préjudice qu'il a subi du fait des fautes de l'Etat et limité son préjudice moral à 2 000 euros ;

3°) à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros, au titre du préjudice moral et du trouble dans ses conditions d'existence du fait de l'ensemble des fautes commises par le ministre de l'éducation nationale ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


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II. Par une requête, enregistrée le 29 juin 2019, sous le n°19DA01505 M. C... A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) à la réformation du jugement du 26 mars 2019 en ce qu'il n'a pas reconnu la faute au titre du manquement au droit à l'information sur les retraites prévue par l'article L. 161-17 du code de la sécurité sociale et en ce qu'il n'a pas reconnu l'intégralité de son préjudice du fait des fautes de l'Etat, en limitant son préjudice moral à la somme de 2 000 euros ;

2°) à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros, représentant le préjudice moral et le trouble dans ses conditions d'existence qu'il a subis du fait de l'ensemble des fautes commises par le ministre de l'éducation nationale ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 ;
- le code des pensions civiles et militaires ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;
- le décret n° 54-832 du 13 août 1954 ;
- le décret n° 2009-1052 du 26 août 2009 ;
- le décret n°2009-1744 du 30 décembre 2009 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur ;
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;
- et les observations de Me B..., représentant M. C... A....

Des notes en délibéré présentées par Me B... pour M. A... ont été enregistrées dans les requêtes sous les ns°19DA01489 et 19DA01505 le 25 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui est né le 21 mars 1956, a été recruté comme fonctionnaire à compter du 20 octobre 1986, dans le corps des instituteurs. Par un arrêté du recteur de l'académie d'Amiens du 1er septembre 2016, il a été admis à la retraite pour atteinte de la limite d'âge, avec effet au 22 mars 2016. M. A... a formé un recours gracieux contre cet arrêté, rejeté par une décision du 17 novembre 2016. Par une première requête enregistrée sous le n°1700500, M. A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2016 et la décision du 17 novembre 2016 rejetant son recours gracieux. Il a par la suite adressé au ministre de l'éducation nationale une demande indemnitaire préalable le 24 janvier 2017, qui a été implicitement rejetée. Par une seconde requête enregistrée sous le n°1701149, M. A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 222 810 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Par un jugement du 26 mars 2019, le tribunal administratif a partiellement fait droit à ses demandes. D'une part, le tribunal a annulé l'arrêté du 1er septembre 2016 ainsi que la décision du 17 novembre 2016 rejetant son recours gracieux, et a enjoint au recteur de l'académie d'Amiens de réintégrer juridiquement M. A... puis de procéder à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement. D'autre part, il a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence. Il a également renvoyé M. A... devant le recteur de l'académie d'Amiens pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité à laquelle il a droit au titre de la perte de revenus qu'il a subie du fait de l'intervention de l'arrêté du 1er septembre 2016 jusqu'à sa réintégration dans les cadres de la fonction publique en exécution du jugement. Par la première requête susvisée, enregistrée sous le n° 19DA01489, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel de ce jugement et demande l'annulation des articles 1er à 4 du jugement. En défense, M. A... a formé des conclusions d'appel incident identiques à celles qu'il a présentées dans le cadre de sa requête d'appel principal. Par la seconde requête susvisée, enregistrée sous le n°19DA01505, M. A... demande la réformation du même jugement en ce qu'il n'a pas retenu la faute de l'Etat résultant du manquement au droit à l'information sur les retraites prévues par l'article L. 161-17 du code de la sécurité sociale et qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande de réparation de ses préjudices. Il demande aussi que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qu'il a subis.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées n°19DA01489 et n°19DA01505, présentées par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et par M. A..., concernent la situation d'un même fonctionnaire. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur la régularité du jugement :

3. Le tribunal administratif d'Amiens a omis de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le recteur de l'académie d'Amiens dans l'affaire n° 1700500, tirée de la tardiveté de la requête de première instance. Si le tribunal administratif a bien mentionné cette fin de non-recevoir dans les visas du jugement, il a toutefois omis de l'examiner expressément, alors qu'il a annulé les décisions contestées.

4. Le tribunal administratif ne peut, à peine d'irrégularité de son jugement, faire droit à une demande dont il est saisi sans avoir écarté un moyen invoqué en défense. Le jugement est donc irrégulier. Toutefois, cette irrégularité ne porte que sur une partie divisible des conclusions dont les premiers juges étaient saisis. En principe, à la différence du défaut de réponse à une partie des conclusions, le défaut de réponse à un moyen entraîne l'annulation totale du jugement. Il en va autrement lorsque, comme en l'espèce, le moyen auquel il n'a pas été répondu a été présenté à l'appui de conclusions divisibles. En l'espèce, la fin de non-recevoir sur laquelle le tribunal administratif a omis de se prononcer se rattache aux conclusions aux fins d'annulation présentées par M. A..., et non à ses conclusions indemnitaires. Les deux types de conclusions étaient d'ailleurs présentés, en première instance, par deux requêtes distinctes.

5. Il n'y a donc lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens qu'en tant qu'il a statué sur les conclusions aux fins d'annulation et celles accessoires à fin d'injonction, ce qui conduit la cour, dès lors, à annuler uniquement son article 1er, par lequel il a annulé l'arrêté du 1er septembre 2016 et la décision du 17 novembre 2016 rejetant le recours gracieux de M. A... et son article 3 par lequel il a accueilli ses conclusions accessoires à fin d'injonction, en enjoignant au recteur de l'académie d'Amiens de le réintégrer et de procéder à la reconstitution de sa carrière. Par voie de conséquence, il y a lieu de statuer par la voie de l'évocation partielle sur les demandes de première instance de M. A... à fin d'annulation et d'injonction, c'est-à-dire celles de sa requête enregistrée devant le tribunal administratif sous le n° 1700500, et par la voie de l'effet dévolutif de l'appel pour le surplus, à savoir pour le volet indemnitaire du litige.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. La cour statue par la voie de l'évocation partielle sur les conclusions présentées par M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er septembre 2016 portant mise à la retraite d'office et rétroactive pour limite d'âge et de la décision du 17 novembre 2016 rejetant son recours gracieux.

En ce qui concerne l'examen de la fin de non-recevoir opposée par le recteur de l'académie d'Amiens et tirée de la tardiveté de ces conclusions :

7. L'arrêté du 1er septembre 2016 en litige a été notifié à M. A... le 9 septembre 2016. Cette notification portait mention des délais et voies de recours contentieux, conformément aux dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative. M. A... a formé un recours gracieux contre cet arrêté dans le délai de recours, le 23 septembre 2016. Si le recours gracieux de M. A... a été rejeté par une décision du 17 novembre 2016, qui lui a été notifiée le 7 décembre 2016, le délai de recours de deux mois a recommencé à courir, la mention des voies et délais de recours dans la décision initiale suffisant à faire courir les délais à l'égard de la décision de rejet du recours gracieux, même si la notification de cette dernière le 7 décembre 2016 ne comportait pas les mentions requises. Le délai de recours a donc recommencé à courir, en l'espèce, à compter du 8 décembre 2016, pour s'achever le 8 février 2018 à minuit. A cet égard, l'article 18 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 alors en vigueur, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration, prévoit expressément que l'obligation d'accuser réception des demandes des administrés n'est pas applicable aux relations de l'administration avec ses agents, de sorte que l'absence d'accusé de réception ne peut faire obstacle à l'expiration du délai de recours de deux mois applicable à ces derniers.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a adressé une première requête aux fins d'annulation, enregistrée le 11 janvier 2017 au greffe du tribunal administratif d'Amiens, dans le délai de recours contentieux. Par une lettre du 18 janvier 2017, accusant réception de sa requête, le greffe du tribunal administratif d'Amiens lui a toutefois demandé de la régulariser dans le délai de 15 jours, car elle n'était, selon le greffe, pas régulière au regard des obligations liées à l'usage de l'application Télérecours quant aux signets utilisés pour les pièces jointes, en application des dispositions des articles R. 412-2 et R. 414-3 du code de justice administrative. M. A... n'a donné aucune suite à cette demande, dans le délai de 15 jours qui lui avait été imparti. La présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a alors pris une ordonnance le 17 février 2017, rejetant cette première requête pour irrecevabilité manifeste. M. A... n'a pas contesté cette ordonnance, qui lui a été notifiée le 24 février suivant. Son conseil s'est contenté d'un échange téléphonique avec le greffe, suivi d'un courrier adressé au greffe postérieurement à la notification de cette ordonnance, ce qui ressort de la lettre du 27 février 2017 qu'il a également adressée au greffe du tribunal, dans laquelle il fait référence à cet échange téléphonique et à la notification le 24 février 2017 de l'ordonnance du 17 février 2017.

9. Ensuite, M. A... a déposé une deuxième requête, enregistrée au greffe du tribunal le 27 février 2017, après l'expiration du délai de recours contentieux le 8 février 2017, qui était tardive. Les premiers juges ont pourtant ignoré les éléments précisés au point 7, en considérant implicitement, ce qui ne correspond pas à la réalité, que la date d'enregistrement de la requête était le 11 janvier 2017, ainsi que cela ressort clairement des visas du jugement en litige n° 1700500, alors que la première requête de M. A..., enregistrée le 11 janvier 2017, avait donné lieu à une décision juridictionnelle devenue définitive, s'agissant de l'ordonnance précitée du 17 février 2017 qui a nécessairement dessaisi le tribunal administratif du premier litige. Par suite, la requête sur laquelle la cour est appelée à statuer est nécessairement celle enregistrée le 27 février 2017, qui était tardive, comme le fait valoir le recteur de l'académie d'Amiens, et donc irrecevable. Il y a lieu par suite de rejeter pour ce motif les conclusions d'annulation et d'injonction présentées par M. A... à l'appui de la requête enregistrée sous le n° 1700500 devant le tribunal administratif d'Amiens.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu d'examiner les conclusions indemnitaires présentées par M. A..., en examinant cette fois-ci les arguments des deux requêtes d'appel, celle du ministre de l'éducation et celle de M. A..., tant à titre incident, en défense de la première requête, que dans la requête d'appel principal dont est saisie la cour.

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation :

11. Le ministre oppose une fin de non-recevoir selon laquelle un fonctionnaire n'est pas recevable à former des conclusions indemnitaires, en se fondant exclusivement sur l'illégalité d'une décision expresse définitive à objet purement pécuniaire, pour réclamer l'allocation de la même somme. Toutefois, l'arrêté du recteur de l'académie d'Amiens du 1er septembre 2016 en litige, admettant M. A... à la retraite pour atteinte de la limite d'âge à compter du 22 mars 2016, ne constitue pas une décision à objet purement pécuniaire. La fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être écartée.

En ce qui concerne les fautes de l'Etat :

12. D'une manière générale, à partir d'un certain âge, tout fonctionnaire ou agent contractuel est mis d'office à la retraite. Cet âge limite d'activité varie en fonction de la catégorie de l'emploi : active, c'est-à-dire lorsque l'emploi présente un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles, ou est sédentaire. Toutefois, certains agents, fonctionnaires et contractuels, peuvent poursuivre, sous conditions, leur activité professionnelle au-delà de cet âge limite d'activité. En l'espèce est en cause la question de la limite d'âge pour le corps des instituteurs.

13. Tout d'abord, le ministre de l'éducation et de la jeunesse conteste le fait que les premiers juges aient retenu une faute de l'Etat, résultant de l'inconventionalité de la réglementation nationale qui fixe à 60 ans la limite d'âge pour le corps des instituteurs. La directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail a pour objet, en vertu de ses articles 1er et 2, de proscrire les discriminations professionnelles directes et indirectes, y compris les discriminations fondées sur l'âge. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, elle ne consacre pas elle-même le principe de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, mais se borne à le mettre en oeuvre. Ainsi, le principe de non-discrimination en fonction de l'âge doit être considéré comme un principe général du droit communautaire.

14. Les mesures d'âge peuvent être cependant justifiées dans trois hypothèses. D'abord, l'article 2, paragraphe 5, dispose que la directive " ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Ensuite, aux termes de l'article 4, paragraphe 1, les Etats membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement ne constitue pas une discrimination " lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. ". Enfin, l'article 6, paragraphe 1, consacré spécifiquement aux différences de traitement fondées sur l'âge, permet aux Etats membres d'en instituer " lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. ".

15. Dans un arrêt du 12 janvier 2010 (aff. C-229/08), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'une limite d'âge inférieure au droit commun constitue une différence de traitement selon l'âge affectant les conditions d'emploi et de travail au sens des dispositions précitées des articles 1er et 2 de la directive 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000. La Cour précise néanmoins qu'une telle mesure peut cependant être justifiée si elle est nécessaire, aux termes du paragraphe 5 de l'article 2 de la directive, notamment à la sécurité publique ou si, en vertu du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive, elle est objectivement et raisonnablement justifiée par des objectifs légitimes de politique sociale ou de l'emploi et constitue un moyen approprié et nécessaire pour atteindre ces objectifs.

16. S'agissant ensuite de la législation et de la réglementation nationales, aux termes de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires : " Sont classés dans la catégorie active les emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles. La nomenclature en est établie par décret en Conseil d'Etat (...) ". L'annexe de ce code prévoit que les instituteurs sont placés dans une catégorie active, conformément à l'article 1er du règlement d'administration publique du 2 février 1937 pour l'exécution de l'article 75 de la loi du 31 mars 1932 et détermine les emplois classés dans la catégorie B (risque particulier ou fatigues exceptionnelles). La limite d'âge applicable à cette catégorie est de soixante ans.

17. Cette limite d'âge de 60 ans est donc dérogatoire au droit commun mentionné à l'article 1er de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public qui dispose que : " Sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à l'ensemble des agents de l'Etat, la limite d'âge des fonctionnaires civils de l'Etat est fixée à soixante-sept ans lorsqu'elle était, avant l'intervention de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, fixée à soixante-cinq ans. (...) ". Le corps des professeurs des écoles n'a pas été classé en catégorie active et relève de cette limite d'âge de droit commun.

18. Tout justiciable peut, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. Lors de la contestation d'une décision dont il est soutenu qu'elle serait empreinte de discrimination, doit attendre du requérant qui s'estime lésé par une telle mesure qu'il soumette au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes. Il incombe alors au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

19. En l'espèce, M. A... apporte des éléments suffisants susceptibles de faire présumer une atteinte au principe d'égalité de traitement des personnes. En réponse, le ministre chargé de l'éducation se borne à faire valoir devant la cour que la différence de traitement selon l'âge est justifiée dès lors que les membres du corps des instituteurs ne se trouveraient pas dans une situation objectivement comparable à celle des membres des autres corps enseignants et notamment du corps des professeurs des écoles. Il ajoute que cette différence de traitement, qui est nécessaire à la protection de la santé des membres du corps des instituteurs, est objectivement et raisonnablement justifiée par des objectifs légitimes de politique sociale ou de l'emploi et constitue un moyen approprié et nécessaire pour atteindre ces objectifs au sens du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive. Le ministre ne démontre cependant pas quelle pourrait être la différence de situation objective entre ces deux corps qui justifierait une telle différence de traitement, ni en quoi la protection de la santé des membres du corps des instituteurs serait en jeu plus que pour les professeurs des écoles, ni encore en quoi une différence de traitement fondée sur l'âge serait en l'espèce objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif relevant de la politique sociale ou de l'emploi. Sur ce dernier point, toutefois les moyens de réaliser cet objectif doivent être appropriés et nécessaires et les Etats membres jouissent d'une certaine latitude.

20. Les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation dans le choix des mesures susceptibles de réaliser leurs objectifs en matière de politique sociale et de l'emploi. Sont ainsi acceptés les dispositifs de mise à la retraite d'office des travailleurs ayant atteint l'âge permettant la liquidation d'une retraite de type contributif, dans le cadre d'une politique nationale visant à promouvoir l'emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations. Un tel objectif de répartition des emplois entre générations est d'ailleurs largement admis dans l'objectif d'établir une structure d'âge équilibrée afin de favoriser l'embauche et la promotion des jeunes. Il résulte des dispositions de l'article 6 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier par son arrêt n° C-411/05 du 16 octobre 2007 et ses arrêts n° C-159/10 et n° C-160/10 du 21 juillet 2011, qu'au nombre de ces objectifs légitimes figure, compte tenu de la marge d'appréciation dont disposent les Etats membres en matière de politique sociale, la politique nationale visant à promouvoir l'accès à l'emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations. Un tel objectif justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l'âge, telle que l'existence d'une limite d'âge plus basse pour un cadre d'emplois. En l'espèce, le ministre chargé de l'éducation pas plus qu'en première instance, n'apporte aucun commencement d'un début d'explication à cet égard. M. A... est donc fondé à soutenir que la limite d'âge de soixante ans qui s'applique aux instituteurs est incompatible avec l'objectif de non-discrimination en fonction de l'âge prévu par la directive du 27 novembre 2000, dès lors que cette mesure n'est pas nécessaire, notamment, à la sécurité publique, ni n'est objectivement et raisonnablement justifiée par des objectifs légitimes de politique sociale ou de l'emploi.

21. Par conséquent, il appartenait au recteur de l'académie d'Amiens d'écarter l'application des règles de droit national prévoyant une limite d'âge à 60 ans pour les instituteurs, de sorte que M. A... est fondé à soutenir que tant de l'arrêté du 1er septembre 2016 que la décision 17 novembre 2016 rejetant son recours gracieux sont illégaux pour ce motif. Cette illégalité constitue une première faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard.

22. Ensuite, M. A... n'a été informé de sa mise à la retraite d'office que par un courrier du 18 juillet 2016, peu de temps avant la rentrée scolaire, alors que cette mesure avait un effet rétroactif au 22 mars 2016. Dans ces conditions, M. A... est aussi fondé à soutenir que l'Etat a commis une deuxième faute dans sa manière de gérer sa mise à la retraite d'office, de nature à engager sa responsabilité, ce qui a été jugé à bon droit par le tribunal administratif et n'est pas contesté devant la cour par le ministre de l'éducation et de la jeunesse.

23. Pour le reste, M. A... fait valoir une troisième faute de l'Etat résultant du manquement au droit à l'information sur les retraites prévu par l'article L. 161-17 du code de la sécurité sociale, qui prévoit dans sa rédaction applicable : " I.- Les assurés bénéficient gratuitement d'un droit à l'information sur le système de retraite par répartition, qui est assuré selon les modalités suivantes. / (...) III.- Toute personne a le droit d'obtenir, dans des conditions précisées par décret, un relevé de sa situation individuelle au regard de l'ensemble des droits qu'elle s'est constitués dans les régimes de retraite légalement obligatoires. / Les régimes de retraite légalement obligatoires et les services de l'Etat chargés de la liquidation des pensions sont tenus d'adresser périodiquement, à titre de renseignement, un relevé de la situation individuelle de l'assuré au regard de l'ensemble des droits qu'il s'est constitués dans ces régimes. L'assuré bénéficie d'un service en ligne lui donnant accès à tout moment à son relevé actualisé, l'informant sur les régimes dont il relève et lui permettant de réaliser certaines démarches administratives et d'échanger avec les régimes concernés des documents dématérialisés. /IV.- Dans des conditions fixées par décret, à partir d'un certain âge et selon une périodicité déterminée par le décret susmentionné, chaque personne reçoit, d'un des régimes auquel elle est ou a été affiliée, une estimation indicative globale du montant des pensions de retraite auxquelles les durées d'assurance, de services ou les points qu'elle totalise lui donnent droit, à la date à laquelle la liquidation pourra intervenir, eu égard aux dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles en vigueur. Cette estimation indicative globale est accompagnée d'une information sur les dispositifs mentionnés aux articles L. 161-22, L. 351-15 et L. 241-3-1. (...) ".

24. Aux termes de l'article R. 161-2-1-8 de ce code, encore dans sa rédaction applicable : " Sous réserve de l'application des dispositions du 2° de l'article 3 du décret n° 2006-708 du 19 juin 2006 relatif aux modalités et au calendrier de mise en oeuvre du droit des assurés à l'information sur leur retraite et modifiant le code de la sécurité sociale (deuxième partie : Décrets en Conseil d'Etat), l'estimation mentionnée à l'article D. 161-2-1-7 est adressée, à l'initiative des organismes ou services, aux bénéficiaires atteignant, à partir du 1er juillet 2011, chaque année, l'âge de 55 ans. / La périodicité mentionnée au huitième alinéa de l'article L. 161-17 est fixée à cinq ans à compter de l'âge fixé au premier alinéa du présent article. / Les dispositions du sixième alinéa de l'article D. 161-2-1-5 et celles du II et du III de l'article D. 161-2-1-6 relatives à l'envoi du relevé de situation individuelle sont applicables à l'envoi de l'estimation. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 2 du décret du 26 août 2009 portant création du service des retraites de l'Etat : " (...) II. - Le service des retraites de l'Etat est responsable du processus de gestion des pensions de retraite et d'invalidité des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat. A ce titre : / 1° Il tient les comptes individuels de retraite, y enregistre et contrôle les droits à pension et assure l'information des ressortissants du régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat, notamment au regard du droit à l'information sur les retraites ; (...) ".

25. M. A... soutient à nouveau qu'il n'a pas bénéficié des informations prévues par les dispositions précitées. Cette affirmation, qui n'est pas non plus infirmée par les pièces du dossier, n'est pas sérieusement remise en cause en défense, de sorte qu'il est établi que l'Etat a aussi commis une troisième faute à cet égard.

En ce qui concerne le lien de causalité :

26. S'agissant du lien de causalité entre les trois fautes susvisées et les préjudices invoqués par M. A..., la première faute résultant de l'édiction de l'arrêté du 1er septembre 2016 plaçant M. A... à la retraite d'office, par application des dispositions nationales fixant la limite d'âge du corps des instituteurs, alors que ces dispositions méconnaissent les dispositions de la directive précitée du 27 novembre 2000, présente un lien de causalité direct et certain avec l'ensemble des préjudices invoqués par l'intéressé. M. A... n'a pas lui-même commis une faute à l'origine de ses préjudices, comme l'allègue le ministre chargé de l'éducation, en soutenant que la différence de traitement dont se plaint le requérant a été créée de son propre fait puisqu'il lui aurait été loisible d'intégrer le corps des professeurs des écoles prévu par le décret n° 90-680 du 1er août 1990, dès lors que le ministre n'offre même pas de démontrer que M. A... aurait eu une chance sérieuse d'intégrer ce corps. Une telle faut n'étant pas établie, elle ne peut dès lors exonérer l'Etat de sa responsabilité, même partiellement.

27. Pour ce qui concerne la deuxième faute de l'Etat, résultant de la mauvaise manière de gérer la mise à la retraite d'office de M. A..., il n'existe pas de lien de causalité direct entre cette faute et les pertes de revenus dont il demande l'indemnisation, qui ont trait à sa date de départ à la retraite pour atteinte de la limite d'âge et cela n'est pas contesté par M. A... devant la cour. En revanche, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence qu'il invoque par ailleurs sont imputables à cette faute.

28. Enfin, le tribunal administratif a considéré, s'agissant de la troisième faute invoquée, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre l'absence d'information délivrée par le service des retraites de l'Etat et la mise à la retraite d'office de M. A.... L'article 1-1 de de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public prévoit à cet égard que : " Sous réserve des droits au recul des limites d'âge reconnus au titre des dispositions de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires dont la durée des services liquidables est inférieure à celle définie à l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite peuvent, lorsqu'ils atteignent les limites d'âge applicables aux corps auxquels ils appartiennent, sur leur demande, sous réserve de l'intérêt du service et de leur aptitude physique, être maintenus en activité. (...) ". L'article 1-3 de la même loi dispose quant à lui : " Sous réserve des droits au recul des limites d'âge prévus par l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires régis par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires appartenant à des corps ou des cadres d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à la limite d'âge prévue au premier alinéa de l'article 1er de la présente loi sont, sur leur demande, lorsqu'ils atteignent cette limite d'âge, maintenus en activité jusqu'à un âge égal à la limite d'âge prévue au même premier alinéa, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, sous réserve de leur aptitude physique. (...) " et aux termes du I de l'article 4 du décret du 30 décembre 2009 pris pour l'application de l'article 1-3 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 : " La demande de prolongation d'activité est présentée par le fonctionnaire à l'employeur public au plus tard 6 mois avant la survenance de la limite d'âge. Il en est accusé réception. / La demande est accompagnée d'un certificat médical appréciant, au regard du poste occupé, l'aptitude physique de l'intéressé. Il est délivré par le médecin agréé prévu à l'article 1er du décret du 14 mars 1986 susvisé ou, le cas échéant, lorsque les statuts particuliers le prévoient, par le médecin habilité à apprécier l'aptitude physique du fonctionnaire. (...) ".

29. M. A... soutient que le défaut d'information sur ses droits à la retraite l'a empêché de demander son maintien en activité dans les délais prévus par les dispositions précitées. Toutefois, le défaut d'information, qui présente un caractère fautif, ne présente pas un lien de causalité avec le fait qu'il n'a pas demandé son maintien en activité dans les délais impartis. En effet, comme le faisait d'ailleurs valoir le recteur de l'académie d'Amiens en première instance, les informations contenues dans les documents qui auraient être adressés à M. A... sont déterminées par l'article D. 161-2-1-4 précité du code de la sécurité sociale. Or, ni parmi ces éléments d'information, ni parmi les données mentionnées à l'article R. 161-11 du même code dans sa rédaction applicable, auxquelles il est renvoyé, il n'est prévu que ces informations précisent la limite d'âge applicable à la situation de l'intéressé ou les conditions pour bénéficier d'un report de limite d'âge ou d'un maintien en activité. Dans ces conditions, la troisième faute de l'Etat, pour non transmission des informations précitées, ne présente pas un lien de causalité direct avec les préjudices invoqués par M. A....

Sur l'indemnisation du préjudice :

En ce qui concerne le préjudice matériel :

30. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité.

31. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction. La réparation intégrale du préjudice de l'intéressé peut également comprendre, à condition qu'il justifie du caractère réel et certain du préjudice invoqué, celle de la réduction de droits à l'indemnisation du chômage qu'il a acquis durant la période au cours de laquelle il a été employé du fait de son éviction de son emploi avant le terme contractuellement prévu.

32. Le tribunal administratif d'Amiens a d'abord jugé, à l'article 2 du jugement attaqué, que M. A... est en droit d'être indemnisé de la perte de revenus qu'il a subie du fait de l'intervention illégale de l'arrêté du 1er septembre 2016 le plaçant d'office à la retraite jusqu'à sa réintégration dans les cadres de la fonction publique en exécution du jugement qui a annulé cet arrêté. La situation est différente devant la cour, qui ne peut annuler l'arrêté du 1er septembre 2016 compte tenu de la tardiveté de la requête de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté, qui demeure dans l'ordonnancement juridique, ce qui exclut la reconstitution de la carrière de M. A... ainsi que la réintégration de ce dernier par voie de conséquence d'un telle annulation. Si l'article 2 du jugement attaqué, en tant qu'il a renvoyé M. A... devant le recteur de l'académie d'Amiens pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité à laquelle il a droit au titre de la perte de revenus qu'il a subie du fait de l'intervention de l'arrêté du 1er septembre 2016, jusqu'à sa réintégration dans les cadres de la fonction publique, ne peut être confirmé, puisqu'il n'y aura pas de réintégration, il n'y a pas lieu de l'annuler purement et simplement comme le demande le ministre de l'éducation et de la jeunesse, dès lors qu'en raison de sa mise à la retraite d'office illégale par application d'une limite d'âge inconventionnelle, et compte tenu du lien de causalité direct entre cette illégalité et les préjudices invoqués, M. A... a droit à la réparation intégrale de son préjudice, et notamment à être indemnisé des pertes de revenus qu'il aurait eu une chance sérieuse de percevoir sur la période en cause.

33. S'agissant de la détermination de la période d'éviction et donc d'indemnisation à prendre en compte, la date à laquelle débute cette période est nécessairement la date d'effet de l'arrêté illégal du 1er septembre 2016 plaçant d'office M. A... à la retraite à compter du 22 mars 2016. Il n'y a pas lieu d'aller jusqu'à la date à laquelle M. A... aurait atteint la limite d'âge de mise à la retraite en application du droit commun, soit 67 ans compte tenu de sa date de naissance en 1956, pour ne pas indemniser un préjudice seulement éventuel. M. A... ne justifiant pas d'une chance sérieuse de percevoir des revenus à un horizon aussi lointain, le terme de la période à prendre en compte peut être fixé à la date à laquelle il aurait lui-même souhaité poursuivre son activité, soit jusqu'à l'âge de 62 ans. M. A... pourrait ainsi prétendre au versement de cette somme en réparation du préjudice résultant de ses pertes de revenus sur la période considérée, soit, compte tenu des montants respectifs de son traitement mensuel brut de 2398,90 euros, la somme de 2039 euros nets, et du montant net de la pension qui lui est servie depuis le 22 mars 2016, la somme de 1 239 euros. Il justifierait dès lors d'un préjudice de 800 euros nets du 22 mars 2016 au 22 mars 2018, pendant 24 mois, auquel s'ajouterait un autre préjudice matériel tiré de la minoration de sa pension de retraite comme il l'a soutenu en première instance.

34. Toutefois, M. A... limite ses demandes indemnitaires en cause d'appel à la somme de 10 000 euros, en se bornant à critiquer l'évaluation faite par les premiers juges des autres préjudices invoqués, à savoir le préjudice moral et celui résultant des troubles dans ses conditions d'existence. Le tribunal administratif les a évalués à la somme de 2 000 euros. Dès lors qu'il ne fait pas valoir d'éléments nouveaux devant la cour, cette somme de 2 000 euros correspond à une juste appréciation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence. La cour ne pouvant pas statuer ultra petita sur les conclusions indemnitaires, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, elle ne peut allouer à M. A... une somme supérieure à la somme de 10 000 euros. M. A... n'étant de surcroît pas susceptible d'être réintégré, puisqu'il n'est pas recevable à demander l'annulation de l'arrêté du 1er septembre 2016 le plaçant d'office à la retraite, il n'y a donc pas de possibilité de fixer avec certitude la fin de la période d'éviction. Il y a lieu dès lors d'allouer à M. A..., pour la réparation intégrale de son préjudice, une indemnisation forfaitaire tous préjudices et intérêts confondus. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et notamment du calcul du préjudice matériel hypothétique de M. A..., en supposant qu'il exerce son activité professionnelle jusqu'à 62 ans, ainsi qu'il a été dit au point qui précède, et aussi en tenant compte aussi de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, il y a lieu de fixer la réparation intégrale du préjudice à la somme de 10 000 euros tous préjudices et intérêts confondus. Cette condamnation n'aura pas pour effet d'aggraver le sort de M. A... sur son seul appel puisque la cour est saisie de conclusions du ministre de l'éducation et de la jeunesse demandant l'annulation des articles 1er à 4 du jugement attaqué, y compris, donc, l'article 2 du jugement en litige.

35. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité son indemnisation à hauteur de 2 000 euros. Par conséquent, la somme à laquelle l'Etat est condamné, est portée à 10 000 euros tous préjudices et intérêts confondus. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.



DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 3 du jugement commun n° 1700500, 1701149 du 26 mars 2019 du tribunal administratif d'Amiens sont annulés.

Article 2 : Les conclusions d'annulation et d'injonction présentées par M. A... à l'appui de la requête enregistrée sous le n° 1700500 devant le tribunal administratif d'Amiens sont rejetées.

Article 3 : La somme de 2 000 euros toutes taxes comprises que l'Etat a été condamné à verser à M. A... par l'article 2 du jugement précité est portée à la somme de 10 000 euros tous préjudices et intérêts confondus et l'article 2 du jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire à ce qui précède.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et par M. A... devant le tribunal administratif d'Amiens et la cour est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à M. C... A...






N°19DA01489,19DA01505 14