CAA de PARIS, 1ère chambre, 01/10/2020, 19PA02227, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 643 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont il a été victime.
Par un jugement n° 1502165/5-1 du 11 février 2016, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. D... la somme de 24 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2014 et de la capitalisation de ces intérêts, et a rejeté le surplus des conclusions de M. D....
Par un arrêt n° 16PA01283 du 5 juin 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre des armées contre ce jugement ainsi que l'appel incident de M. D....
Par une décision n° 422920 du 28 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur le pourvoi du ministre des armées, annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris n° 16PA02125 en date du 5 juin 2018 et renvoyé cette affaire devant la même Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2016 et un mémoire enregistré le 4 octobre 2019, le ministre des armées demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1502165/5-1 du 11 février 2016 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. D... une somme supérieure à 500 euros et de rejeter le surplus de la demande présentée par M. D....
Il soutient que :
- aucune faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service n'est à l'origine de l'accident dont M. D... a été victime ;
- les consignes avaient été rappelées aux militaires qui étaient en charge de s'assurer du bon fonctionnement de leurs armes et de leur nettoyage régulier ;
- les manquements du caporal L. constituent une faute personnelle et ne révèlent aucune faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service ;
- s'agissant d'un accident dont la victime est agent public, et en l'absence de toute faute de l'Etat, le droit à indemnisation de M. D... est limité aux préjudices extra patrimoniaux distincts de l'atteinte à son intégrité physique, les préjudices correspondant aux déficits fonctionnels temporaire et permanent ainsi qu'à la perte de chance de devenir sous-officier étant déjà indemnisés par la pension militaire d'invalidité ;
- le protocole transactionnel signé par M. D... le 18 mai 2014 fait obstacle à ses demandes indemnitaires complémentaires ;
- subsidiairement, si une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service était reconnue, il y aurait lieu de déduire de la somme allouée à M. D..., le montant de la pension militaire d'invalidité qui lui est servie ; en conséquence, aucune somme ne lui est due.
Par un mémoire enregistré le 10 novembre 2016, M. C... D..., représenté par
Me E..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement attaqué pour porter l'indemnisation mise à la charge de l'Etat de la somme de 24 500 euros à celle de 789 724 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande amiable, et de leur capitalisation ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'Etat a commis une faute d'organisation et de surveillance à l'origine de l'accident ;
- il a droit à la réparation de l'ensemble de ses préjudices ;
- la transaction du 18 mai 2014 ne portait que sur l'indemnisation de ses souffrances ;
- il a subi un déficit fonctionnel temporaire total et reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 3 % et d'un préjudice esthétique et il a perdu une chance sérieuse de devenir
sous-officier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., caporal au sein du régiment d'infanterie de chars de marine de Poitiers, affecté sur la base opérationnelle avancée de Zouar au Tchad, a été blessé par des éclats de balles à la tête, le 7 avril 2012, à l'âge de 26 ans, à la suite d'une erreur de manipulation de son arme par un autre militaire, le caporal L., qui a été reconnu coupable des chefs de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, d'usage illicite de stupéfiants et de violation de consignes par militaire, par un jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Paris du 1er avril 2014. M. D... a obtenu le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 40 %, à compter du 18 juillet 2012. Il a également présenté une demande d'indemnisation des préjudices subis, qui a été rejetée par le ministre de la défense. Par un jugement du 11 février 2016, le tribunal administratif de Paris, saisi par M. D... sur le fondement de la responsabilité pour faute, a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 24 500 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant pour lui de cet accident. Par un arrêt du 5 juin 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la ministre des armées contre ce jugement, ainsi que l'appel incident formé par M. D... tendant à ce que le montant de l'indemnité soit porté à la somme de 789 724 euros. Par une décision du 28 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur le pourvoi du ministre des armées, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.
2. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ".
3. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité.
4. Pour déterminer si l'accident de service ayant causé un dommage à un militaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, de sorte que ce militaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par l'Etat de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.
5. En premier lieu, M. D... fait valoir que l'accident à l'origine de ses blessures s'est produit alors que les soldats avaient reçu l'ordre de nettoyer leurs armes, malgré des conditions climatiques extrêmes, la température extérieure étant supérieure à 63°C, et malgré la fatigue résultant d'une semaine d'opérations dans le désert. Il relève également que les opérations de nettoyage ont été réalisées dans la zone de bivouac, où les soldats étaient rassemblés et soutient que ces circonstances caractérisent une faute dans l'organisation du service. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que ces circonstances étaient exceptionnelles s'agissant d'une opération militaire au Tchad. En outre, il ressort du jugement de la 10ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris en date du 1er avril 2014 que les mesures de sécurité qui devaient être réalisées avant de démonter et de nettoyer 1'arme avaient été rappelées. Dans ces conditions, alors que le nettoyage de son arme afin de s'assurer de son bon fonctionnement fait partie des tâches habituelles dévolues aux soldats, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le fait d'avoir ordonné le nettoyage des armes malgré les circonstances serait constitutif d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service.
6. En deuxième lieu, M. D... fait valoir que le caporal L. fumait régulièrement du cannabis et que l'administration, qui ne pouvait l'ignorer, a manqué à son devoir de surveillance. Il ne l'établit toutefois pas, alors qu'il ressort au contraire du jugement correctionnel précité que la date de la consommation de cannabis par le caporal L. est indéterminée, celui-ci soutenant avoir consommé pour la dernière fois avant son départ en opération et un témoin ayant indiqué l'avoir déjà vu fumer en France mais jamais sur le théâtre des opérations.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris l'a condamné, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à verser à M. D... une somme supérieure à 500 euros en réparation des préjudices résultant pour lui de l'accident dont il a été victime.
8. Enfin, il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander, sur le fondement de la responsabilité pour faute, la majoration des sommes que l'Etat a été condamné à lui verser. Par ailleurs, sur le fondement de la responsabilité sans faute, il y a lieu de relever d'office que les premiers juges ont fait une juste appréciation de son préjudice esthétique évalué à 0 sur 7 par l'expert, en fixant à 500 euros la réparation due à ce titre, laquelle n'est plus contestée par le ministre dans le dernier état de ses écritures. Dès lors, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre en première instance, les conclusions d'appel incident présentées par M. D... ne peuvent qu'être rejetées, de même que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 24 500 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. D... par le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 11 février 2016 est ramenée à la somme de 500 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 11 février 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions incidentes de M. D... et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. C... D....
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris (Pôle contrôle fiscal et affaires juridiques - Service du contentieux d'appel déconcentré).
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diemert, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02227