CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 06/10/2020, 19MA04851 - 19MA05730, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision06 octobre 2020
Num19MA04851 - 19MA05730
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre
PresidentM. D'IZARN DE VILLEFORT
RapporteurMme Thérèse RENAULT
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsPAOLANTONACCI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal des pensions de Marseille d'annuler la décision du 21 décembre 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité.


Par un jugement n° 18/00020 du 31 janvier 2019, le tribunal des pensions de Marseille a, avant dire droit, d'une part, invité la ministre à conclure sur l'imputabilité au service de l'infirmité de " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule " dont souffre M. A... et, d'autre part, ordonné la recherche et la production par la ministre des armées de tout document relatif au suicide d'un légionnaire durant le plan Vigipirate en septembre 2012. Par un jugement enregistré sous le même numéro, en date du 8 août 2019, le tribunal des pensions de Marseille a annulé partiellement la décision ministérielle du
21 décembre 2017 rejetant la demande de pension formée par M. A... le 27 juillet 2015 et dit qu'à compter de cette date le requérant avait droit à une pension militaire d'invalidité pour les infirmités suivantes : - syndrome anxio-dépressif, au taux de 30% dont 20% imputable au service ; séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule au taux de 20%.






Procédure devant la Cour :

I. Par un recours, enregistré le 15 mars 2019 au greffe de la Cour régionale des pensions d'Aix-en Provence, la ministre des armées demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal des pensions de Marseille du 31 janvier 2019.
Elle soutient que :
- le jugement n'est pas motivé ;
- le taux de 20 % retenu pour les séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule est surévalué ;
- l'injonction qui lui a été faite de produire les documents relatifs au suicide d'un légionnaire en septembre 2012 est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'une telle demande revient à inverser la charge de la preuve.


Par un mémoire, enregistré au greffe de la Cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence le 2 avril 2019, M. A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de l'appel de la ministre des armées et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'appel de la ministre est irrecevable dès lors que le jugement attaqué ne tranche aucune partie du litige au principal ;
- les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.


Par acte de transmission du dossier, enregistré le 1er novembre 2019, et en application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Marseille est saisie de la présente affaire, enregistrée sous le n° 19MA04851.


Par des mémoires enregistrés au greffe de la Cour les 25 novembre et
16 décembre 2019, la ministre des armées réitère ses conclusions initiales, par les mêmes moyens.


Par un mémoire enregistré le 28 novembre 2019 par la Cour, M. A... réitère ses conclusions initiales, par les mêmes moyens.


II. Par un recours, enregistré au greffe de la Cour régionale des pensions d'Aix-en Provence le 11 octobre 2019, la ministre des armées relève appel du jugement du tribunal des pensions militaires de Marseille du 8 août 2019.
Elle soutient que :
- le jugement est dépourvu de base légale et que c'est au terme d'une erreur de droit qu'il a rejeté sa demande de sursis à statuer en attendant l'issue de l'appel qu'elle avait formé contre le jugement avant dire droit du tribunal en date du 31 janvier 2019 ;
- le taux de 20 % retenu pour les séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule est surévalué ;
- M. A... n'apporte pas la preuve de l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif dont il souffre.

Par acte de transmission du dossier, enregistré le 1er novembre 2019, et en application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Marseille est saisie de cette seconde affaire, enregistrée sous le n° 19MA05730.


Par des mémoires enregistrés au greffe de la Cour le 9 janvier 2020, le 20 janvier 2020 et le 10 février 2020, la ministre des armées demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal des pensions de Marseille du 8 août 2019.

La ministre soutient que :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation et ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, rejeter sa demande de sursis à statuer ;
- le taux d'invalidité de 20% retenu pour l'infirmité " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule " est surévalué et cette infirmité n'est en tout état de cause pas imputable au service ;
- le syndrome anxio-dépressif dont souffre M. A... n'est pas imputable au service.


Par des mémoires, enregistrés les 2, 16 et 23 janvier 2020, M. A..., représenté par
Me C..., conclut au rejet de l'appel de la ministre des armées et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'appel de la ministre est tardif et, par suite, irrecevable ;
- les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, notamment l'article 51 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.


La présidente de la Cour a désigné M. D... pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.





Considérant ce qui suit :

1. M. E... A..., né le 11 avril 1982, de nationalité ukrainienne, s'est engagé dans la légion étrangère, dont il a été radié le 1er avril 2013. Il a formé le 27 juillet 2015 une demande de pension militaire d'invalidité pour un syndrome anxio-depressif, des séquelles de scapulalgie droite et des séquelles de fracture de branche montante droite de la mandibule. Cette demande a été rejetée par décision de la ministre des armées du 21 décembre 2017. M. A... a formé un recours devant le tribunal des pensions de Marseille qui, par un jugement, avant dire droit, du
31 janvier 2019, a, d'une part, invité la ministre à conclure sur l'imputabilité au service de l'infirmité de " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule " dont souffre M. A... et, d'autre part, ordonné la recherche et la production par la ministre des armées de tout document relatif au suicide d'un légionnaire durant le plan Vigipirate en septembre 2012. Par un jugement du 8 août 2019, ce même tribunal a annulé partiellement la décision ministérielle du 21 décembre 2017 rejetant la demande de pension formée par M. A... le 27 juillet 2015 et dit qu'à compter de cette date le requérant avait droit à une pension militaire d'invalidité pour les infirmités suivantes : - syndrome anxio-dépressif, au taux de 30% dont 20% imputable au service ; séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule. Par deux recours enregistrés par la cour administrative d'appel de Marseille sous les nos 19MA04851 et 19MA05730, la ministre des armées relève appel de ces deux jugements.
Sur la jonction :

2. Les recours susvisés nos 19MA04851 et 19MA05730 concernent la situation d'un même militaire et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu par suite d'y statuer par un même arrêt.
Sur la recevabilité des recours de la ministre des armées :
3. Aux termes de l'article R. 731-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors applicable : " La procédure devant les juridictions des pensions est régie par les dispositions du présent code, par celles du code de procédure civile auxquelles les dispositions du présent code renvoient expressément et, dans le silence du présent code, par les règles générales de procédure applicables aux juridictions administratives. ". Aux termes de l'article R.732-1 du même code : " L'appel devant la cour régionale des pensions doit être motivé. (...) L'appel est introduit par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception, adressé au greffier de la cour dans les deux mois de la notification de la décision ou est déposé, dans le même délai, au greffe de la cour d'appel. L'autorité qui a fait appel au nom de l'Etat doit notifier, sous la même forme, son appel à l'intimé. ". Aux termes de l'article
R. 732-2 du même code, alors applicable : " Les règles posées au chapitre premier du présent titre pour la procédure à suivre devant le tribunal des pensions sont applicables devant la cour, à l'exception des dispositions des articles R. 731-9 à R. 731-14. ". L'article R. 731-3 du même code disposait que : " Le tribunal est saisi d'une requête remise au greffe ou adressée au greffe par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception. Cette requête doit indiquer les nom, prénoms, profession et domicile du demandeur. Elle précise l'objet de la demande et les moyens invoqués sous peine d'irrecevabilité. Sous réserve du cas où le demandeur dépose un recours contre une décision implicite, il produit la copie de la décision attaquée. Dans les huit jours qui suivent la réception de la requête, le greffe du tribunal communique la requête à l'auteur de la décision contestée et lui demande de produire, au plus tard dans les trois mois, le dossier avec ses observations et éventuellement ses propositions. ".
4. D'une part, à la date des jugements attaqués, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne prorogeait le délai d'appel contre une décision avant dire droit d'un tribunal des pensions jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre la décision de ce tribunal réglant le fond du litige. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'appel de la ministre des armées contre le jugement du tribunal des pensions de Marseille du 31 janvier 2019 ne serait pas recevable au motif que celui-ci n'a tranché aucune question au principal.
5. D'autre part, il résulte de l'instruction que le jugement du tribunal des pensions de Marseille du 8 août 2019 a été notifié à la ministre des armées le 12 août 2019. Il ressort des mentions et cachets figurant sur l'avis de passage du pli contenant l'appel de la ministre des armées que ce pli est parvenu à la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence le
11 octobre 2019. M. A... n'est, pas suite, pas fondé à soutenir que le recours de la ministre formé à l'encontre de ce jugement serait irrecevable pour tardiveté.
Sur la régularité des jugements :
En ce qui concerne le jugement du 31 janvier 2019 :
6. La ministre des armées soutient que le jugement avant dire droit du tribunal des pensions de Marseille ordonnant la recherche et la production de tout document relatif au suicide d'un légionnaire durant le plan Vigipirate en septembre 2012 n'a pour seul effet que d'inverser la charge de la preuve de l'imputabilité au service d'une blessure ou une maladie, qui revient au demandeur d'une pension militaire d'invalidité. Elle doit être regardée par là comme soutenant qu'une telle mesure d'instruction est frustratoire.
7. Il ressort des termes du jugement attaqué que la mesure, en s'étendant à la recherche de tout élément ou document relatif au suicide mentionné au point précédent, sans précision sur la recherche de lien entre cet événement et la pathologie présentée par M. A..., n'était pas utile à l'instruction de cette affaire. Dans ces conditions, le jugement attaqué, dont le dispositif se borne à ordonner une telle mesure d'instruction frustratoire, doit être annulé.
En ce qui concerne le jugement du 8 août 2019 :
8. Au nombre des règles générales de procédure que les juridictions des pensions sont tenues de respecter figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application. En se bornant à mentionner qu'il faisait application du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et du décret de 10 janvier 1992, le tribunal des pensions de Marseille n'a pas respecté cette obligation et a entaché son jugement, dans cette mesure, d'une irrégularité. Il résulte de ce qui précède que le jugement du 8 août 2019 doit être annulé.
9. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par
M. A... devant le tribunal des pensions de Marseille.
Sur les droits à pension de M. A... :
10. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa version applicable à l'espèce : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) " et aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. / Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage. ".
En ce qui concerne l'infirmité " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule " :
11. En premier lieu, il résulte de l'instruction, d'une part que M. A... a été pris en charge par le CHU de Nîmes le 18 septembre 2012 pour " oedème avec fracture de la branche montante droite de la mandibule ". M. A... soutient que cette infirmité est imputable au service dès lors qu'elle a pour origine l'agression d'un autre légionnaire sur sa personne lors d'une altercation survenue durant le service le 14 septembre 2012. Au soutien de ses allégations, il produit les attestations de trois autres légionnaires témoins de la scène, dont aucun motif ne permet de remettre en question la valeur probante bien qu'elles soient postérieures de plusieurs années à l'incident, qui sont concordantes et certifient que M. A... a été victime de l'agression et qu'il n'a pas lui-même riposté aux coups reçus. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que son infirmité est imputable au service, sans être remis utilement en question par les allégations de la ministre, qui ne sont appuyées sur aucun document, selon lesquelles la blessure a été provoquée par une " bagarre " entre légionnaires pour des motifs totalement étrangers au service.
12. En second lieu, l'expert mandaté par l'administration pour se prononcer sur le degré d'invalidité de M. A... au titre de cette infirmité, le docteur Chickly, a relevé " un claquement temporo-mandibulaire droit avec une subluxation de la mandibule et un cal vicieux en torsion de 25° qui entraîne un dysfonctionnement de l'articulé dentaire " et constaté " une subluxation temporo-mandibulaire ayant amené la mise en place d'une gouttière de relaxation nocturne, ainsi qu'une anomalie de l'articulé dentaire ". Au terme de cette analyse, l'expert a considéré que cette infirmité entraînait un taux d'invalidité de 20%. Alors que le taux retenu par l'expert s'inscrit dans la fourchette indiquée par le guide barème alors en vigueur, qui retient un degré d'invalidité de 10 à 50 % pour une luxation irréductible de l'articulation temporo-maxillaire, la ministre ne conteste pas utilement le bien-fondé de cette appréciation en faisant valoir que le médecin chargé des pensions militaires a, dans son avis du 26 septembre 2016, considéré, sans fonder sa position sur des considérations médicales étayées, que le degré d'invalidité à retenir au titre de cette infirmité, n'excédait pas 5%.
13. Il résulte des points 11 et 12 que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que la ministre a refusé de faire droit à sa demande de pension au titre de cette infirmité, aux taux de 20% et à en demander, par suite, le bénéfice.
En ce qui concerne l'infirmité " syndrome anxio-dépressif " :
14. Pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et de l'article L. 3 du même code, alors en vigueur, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie.
15. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3 citées ci-dessus que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut pas bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service, il incombe à ce dernier d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service. Lorsqu'il est établi que les troubles psychiques trouvent leur cause directe et déterminante dans une ou plusieurs situations traumatisantes auxquelles le militaire en opération a été exposé, en particulier pendant des campagnes de guerre, la seule circonstance que les faits à l'origine des troubles n'aient pas été subis par le seul demandeur de la pension mais par d'autres militaires participant à ces opérations, ne suffit pas, à elle-seule, à écarter la preuve de l'imputabilité.
16. Il résulte de l'instruction, en particulier du livret médical de l'intéressé, que les troubles qui seront par la suite diagnostiqués comme " syndrome anxio-dépressif " sont apparus au cours du mois d'octobre 2012. S'il n'est fait mention d'aucune souffrance psychique lors des consultations des 8 et 11 septembre 2012, il est fait état d'une demande de consultation psychiatrique le 31 octobre 2012 pour cauchemars avec scènes de guerre et est indiqué que l'intéressé " revoit sa mère ", décédée, qu'il présente des troubles de l'appétit et du sommeil, et manifeste des doléances répétées jusqu'à la décision de réforme en 2013. M. A... a été hospitalisé du 5 au 7 novembre 2012 pour syndrome anxio-dépressif. Dans une lettre du
28 novembre 2012, le docteur Granier, psychiatre, évoque un " trouble de l'adaptation " avec " humeur anxieuse " et une " personnalité marquée par l'immaturité affective " et constate que le 18 janvier 2013 M. A... demeure " anxieux, insomniaque et dysphorique ". Enfin, le docteur Aubry, expert mandaté par l'administration pour se prononcer sur le taux d'invalidité provoqué par l'infirmité en cause et son éventuelle imputabilité au service, après avoir fait état des doléances de l'intéressé et noté que ce dernier a une " présentation asthénique, affaissée " que " l'humeur est instable, morose, il existe un ralentissement cognitif, un isolement social et affectif, une irritabilité mêlée à des phobies sociales, le sommeil est instable, on note des consommations d'alcool irrégulières et massives ", conclut que M. A... présente un " syndrome anxio-disthymique sur trouble de la personnalité et conduites addictives ".
17. M. A... soutient que son infirmité, dont le taux de 30% n'est pas contesté, résulte, d'une part, du traumatisme qui a suivi le décès par suicide d'un de ses camarades de régiment, dont il était l'ami, le 4 septembre 2012, dans le cadre d'une opération Vigipirate à Paris, et, d'autre part, d'un vécu traumatisant lors d'opérations en Côte d'Ivoire où se serait trouvé en présence de nombreux cadavres. La ministre conteste l'existence de tout lien entre ces événements et l'infirmité de M. A... en faisant valoir, d'une part, que l'expérience traumatisante en Côte d'Ivoire n'est étayée par aucun élément permettant d'en apprécier la véracité et, d'autre part que l'intéressé n'établit pas avoir été personnellement affecté par le suicide de son camarade.
18. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A... ne fournit aucune précision sur les événements dont il aurait été témoin en Côte d'Ivoire. Le lien entre ces événements et l'état de santé du requérant n'est en conséquence pas établi. En ce qui concerne les conséquences, sur sa santé psychique, du suicide de son camarade de régiment, il résulte de l'instruction qu'il n'en a jamais fait état avant de présenter sa demande de pension militaire d'invalidité, mais en précise les conditions dans sa réponse au questionnaire qui lui a été adressé le 4 avril 2017 dans le cadre de sa demande de pension militaire d'invalidité. Pour établir le lien entre cet événement et son état de santé, il produit la copie d'un article de presse en faisant état mais sans jamais établir ni même alléguer, que ce soit par des certificats médicaux ou des attestations, documents qu'il était en mesure de recueillir par lui-même, sa présence sur les lieux du drame, sa proximité affective avec la personne concernée, ou encore le retentissement de cet événement dans sa vie personnelle. L'absence de commencement de preuve du lien entre cet événement et son état de santé, qui rendait inutile la production, ordonnée à la ministre, de documents relatifs à cet événement, ainsi qu'il a été dit au point 7, ne permet pas d'établir de lien direct et certain entre les événements et l'infirmité de M. A..., qui permettrait de la regarder comme une blessure trouvant son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service.
19. En second lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du docteur Aubry comme des mentions au livret médical de M. A... ou des autres documents médicaux produits et analysés au point précédent de cet arrêt, notamment le compte-rendu de la consultation du 31 octobre 2012 au cours de laquelle est relevée la présentation " triste " de l'intéressé, qualifiée de " récurrente ", que ce dernier souffrait, en dehors de tout fait de service, d'un trouble de la personnalité et d'une immaturité affective que les faits de service invoqués n'auraient en tout état de cause pas eu pour effet de provoquer, mais seulement d'aggraver. Par suite, en application des dispositions du 3° de l'article L. 4 du code précitées, l'aggravation de la maladie antérieure ou concomitante au service, à la supposer avérée, ne peut donner droit à pension que si elle atteint à elle-seule le taux de 30 %. M. A... ne contestant pas utilement le taux de 20% imputable au service retenu par le docteur Aubry, il n'était pas fondé, quels que soient les faits de service qu'il pouvait invoquer au soutien de l'établissement d'un lien entre sa maladie psychique et le service, à obtenir une pension au titre de l'infirmité résultant de cette maladie.
20. Il résulte des points 18 et 19 que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 21 décembre 2017 en tant qu'elle refuse de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité au titre de son infirmité " syndrome anxio-dépressif ".
Sur les frais liés au litige :

21. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D É C I D E :


Article 1er : Les jugements du tribunal des pensions de Marseille du 31 janvier 2019 et du
8 août 2019 sont annulés.
Article 2 : La décision de la ministre des armées du 21 décembre 2017 est annulée en tant qu'elle refuse d'accorder à M. A... un droit à pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule ".
Article 3 : M. A... a droit, à compter du 27 juillet 2015, à une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule ", au taux de 20%.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... devant le tribunal des pensions de Marseille et ses conclusions devant la Cour en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. E... A....


Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020, où siégeaient :

- M. D..., président,
- M. Ury, premier conseiller
- Mme B..., première conseillère.

Lu en audience publique le 6 octobre 2020.
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N° 19MA04851, 19MA05730